Trois questions sur la crise entre la Pologne et l’Union européenne

La Pologne a décidé que le droit de l’UE ne primait plus sur sa constitution. Les Polonais, réputés europhiles, ont manifesté contre un éventuel « Polexit ». Mais la crise peut-elle faire tache d’huile? Concerne-t-elle la France ? Retour sur un bras de fer juridique potentiellement dévastateur.

La Pologne a-t-elle ouvert une brèche au sein de l’Union européenne ? En remettant en cause la suprématie du droit communautaire sur le droit national, le pays a mis l’UE face à ses limites et rappelé à l’actualité de façon aiguë qu’elle avait échoué (en 2005) à se doter d’une constitution.

Au-delà du cas polonais, que certains observateurs voient comme un « Polexit juridique » (si la Pologne ne reconnaît plus le droit européen, dans quelle mesure fait-elle encore partie de l’UE ?), cette crise entre Bruxelles et Varsovie pourrait faire des émules. Et les regards de se tourner vers l’eurosceptique Hongrie . En France, Marine Le Pen n’a pas tardé à féliciter la décision de la Pologne.

Qu’est-ce qui a provoqué cette crise ? Est-ce que la Pologne est susceptible de suivre le Royaume-Uni et de quitter l’UE ? En quoi cela concerne la France ? Réponses en trois points.

1. Quel est le point départ de ces tensions ?

Il n’y a pas eu vraiment de point de départ mais plutôt une escalade. Et un point d’orgue. Celui-ci a été atteint le 7 octobre lorsque la Cour constitutionnelle polonaise – saisie par le Premier ministre Mateusz Morawiecki – a affirmé la primauté du droit national sur le droit européen . Dénonçant « l’ingérence de la Cour de justice de l’UE dans le système juridique polonais », la présidente du tribunal, Julia Przylebska, a estimé que la Pologne ne pouvait pas fonctionner comme un Etat « souverain et démocratique » si l’UE avait son mot à dire dans ses affaires intérieures.

Le tribunal constitutionnel polonais conteste les articles 1 et 19 du traité de l’Union. « Dans le système juridique polonais, le traité de l’UE est subordonné à la constitution […] et, comme toute partie du système juridique polonais, il doit respecter la constitution », a commenté le juge Bartlomiej Sochanski. Pour le chef de file du PiS, la plus haute loi est la constitution, et toutes les normes européennes en vigueur en Pologne doivent respecter la constitution ».

La Pologne provoque une crise juridique majeure en Europe

Si la Pologne veut affirmer la primauté de sa constitution sur le droit européen, c’est notamment parce que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé non conforme, le 15 juillet , une réforme judiciaire polonaise instaurant un nouveau système de sanctions disciplinaires contre ses juges. Pour la CJUE, celui-ci « ne fournit pas toutes les garanties d’impartialité et d’indépendance ». Pour Varsovie, c’en est trop.

La mise au pas des juges a embrasé la relation entre Varsovie et Bruxelles mais d’autres faits ont attisé les flammes. En juillet, la commission européenne a par exemple lancé une procédure d’infraction contre la Pologne (et la Hongrie) en réaction à l’adoption de « zones sans idéologie LGBT » dans certaines villes.

Plus largement, le parti Droit et justice (PiS) au pouvoir en Pologne depuis 2015 (mais aussi de 2005 à 2007) est réputé eurosceptique. En 2017, les tensions entre les deux entités avaient déjà atteint un sommet avec le déclenchement, par l’UE, de l’article 7 du traité de l’Union . C’est la procédure la plus radicale prévue par les textes au cas où un Etat membre bafouerait les règles européennes. C’était la première fois de son histoire que l’Union déclenchait cette procédure.

2. La Pologne veut-elle sortir de l’Union européenne ?

Officiellement, non. Jaroslaw Kaczynski, le chef du PiS, a déclaré seulement vouloir stopper les « ingérences » de Bruxelles. « Il n’y aura pas de Polexit […] Nous voyons sans équivoque l’avenir de la Pologne dans l’Union européenne » a-t-il garanti. Dans un poste Facebook, il a aussi assuré que « la place de la Pologne est et sera dans la famille européenne des nations ».

Selon les derniers sondages, 80 % de la population soutient l’appartenance de la Pologne à l’Union européenne. Celle-ci a d’ailleurs eu l’occasion de le démontrer dimanche en manifestant dans les rues de plusieurs villes du pays . Mobilisés à l’appel du chef de l’opposition et ancien président du Conseil européen Donald Tusk, ils ont défendu une « Pologne européenne ».

La Pologne et d’autres pays d’Europe centrale et orientale ont rejoint l’Union européenne en 2004, quinze ans après que le mouvement syndical de Lech Walesa avait contribué à renverser le régime communiste. Aujourd’hui, le pays est l’un des principaux bénéficiaires des aides de l’Europe. Le plan de relance devant aider les Etats membres à se relever de la crise prévoit 23 milliards d’euros de subventions et 34 milliards de prêts bon marché pour la Pologne.

3. En quoi ce bras de fer juridique intéresse-t-il les autres pays ?

En l’absence de constitution européenne (rejetée par référendum en 2005), la primauté du droit européen peut sembler fragile. En la remettant en cause, la Pologne peut créer un précédent dont pourraient se saisir d’autres Etats membres eurosceptiques, à l’image de la Hongrie.

Pour le commissaire européen à la Justice Didier Reynders, la décision de la Pologne « met en cause plusieurs principes fondamentaux de l’organisation de l’Union », citant la primauté du droit européen sur le droit national et le caractère contraignant des décisions de la justice européenne. L’avocat Jakub Jaraczewski, cité par Bloomberg, y voit un « Polexit juridique ».

Ne plus reconnaître le caractère contraignant de l’Union européenne, est-ce finalement encore reconnaître l’Union ? Pour le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes Clément Beaune sur BFMTV, cette décision est « gravissime » en ce qu’elle est une « attaque contre l’UE ». Selon lui, « elle soulève le risque d’une sortie de facto de la Pologne de l’Union européenne ».

En France, Marine le Pen a témoigné son soutien à la Pologne. « En affirmant la primauté de son droit constitutionnel sur la législation européenne, la Pologne exerce son droit légitime et inaliénable à la souveraineté », a estimé la candidate du Rassemblement national dans un communiqué. Sans aller dans les extrêmes, Xavier Bertrand a émis quant à lui l’idée d’introduire dans la Constitution « un mécanisme de sauvegarde des intérêts supérieurs de la France ».

Après le Brexit, le risque est que la Pologne ait mis le doigt sur une brèche dans le fonctionnement de l’UE dont d’autres pays peuvent s’engouffrer. Cela pourrait l’affaiblir sur le plan international dans un contexte où elle cherche justement à s’affirmer entre les Etats-Unis et la Chine .

Thomas Pontiroli Mis à jour le 13 oct. 2021 à 15:53  www.lesechos.fr

Manifestation pro-Europe devant le château royal de la place centrale de Varsovie le 10 octobre 2021. (Wojtek RADWANSKI/AFP)

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