Platon (Gallimard, Jean Fauconnier)

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Il y a un peu plus de vingt-cinq siècles vivait à Athènes un homme qui allait jouir d’une postérité à nulle autre pareille, une postérité aujourd’hui encore : il se nommait Platon, nom qui signifie une carrure athlétique, surnom que lui avait donné son professeur de gymnastique.

En réalité, il se nommait Aristoclès. Ce penseur dont dépend toute la philosophie occidentale, jusques et y compris Martin Heidegger (e.g. sa relecture de Parménide) au point d’avoir fait dire à certains que toute la pensée spéculative de l’Occident n’est qu’une note infra paginale renvoyant à ses œuvres quasi impérissables.

Dans ce livre bien documenté et facile à lire, tant le style est fluide et les phrases sensiblement courtes, l’auteur retrace en quelques chapitres succincts et sobres à la fois la vie et la pensée de Platon dont le moindre des mérites n’est pas de nous avoir transmis l’essentiel de la noétique de son maître et ami, Socrate, surnommé à son tour le «taon d’Athènes», car il piquait la curiosité de ses compatriotes en les poussant par ses questions dans leurs derniers retranchements. Et cela touchait beaucoup de gens, y compris le jeune Platon.

La rencontre du jeune homme, issu des meilleures familles patriciennes d’Athènes, avec ce penseur qui se produisait dans l’agora, ou au coin des rues, pour dispenser son enseignement, marque un tournant décisif dans sa vie.

Élevé comme un prince, le jeune Aristoclès rêvait de gloire et de notoriété. Il voulait, entre autres, écrire des pièces de théâtre, attirer sur lui l’attention du public, bref prendre toute la lumière.

Et l’audition de l’enseignement éthique (le bien, le mal, la nécessité d’une bonne gouvernance de la cité, la loyauté, le patriotisme, etc…) prodigué par ce «clochard philosophique» dans les rues d’Athènes, le convainquit de l’inanité de son projet initial. Changement du tout au tout : il y aura donc dans la vie de Platon un avant et un après la rencontre avec Socrate.

Mais il y avait aussi la situation politique de la cité, notamment la guerre du Péloponnèse qui se solda après bien des péripéties par la défaite cuisante d’Athènes face à Sparte, les dérapages répétés et de plus en plus inquiétants dans la gouvernance d’Athènes, bref une instabilité politique dangereuse, jointe à une politique étrangère aventureuse, notamment sous la conduite incompétente mais aussi très intéressée d’Alcibiade dont la personnalité donna même lieu à un proverbe : durant son adolescence, alors qu’il était encore imberbe, Alcibiade fut la femme de tous les hommes faits d’Athènes et d’ailleurs, et lorsqu’il le devint enfin lui-même un homme, il fut l’homme de toutes les femmes…

Ce sont tous ces dysfonctionnements, tant internes qu’externes, qui firent haïr le régime démocratique par l’auteur de l’Apologie de Socrate…

Ce qui ne permet pas de faire de lui un anti démocrate mais simplement un citoyen qui dénonce les excès et les défauts d’un régime qui favorise tour à tour l’anarchie ou la tyrannie : la succession des régimes politiques à Athènes même le prouve.

Cette désespérance politique aura traumatisé Platon, toute sa vie durant et ne sera étrangère à ses goûts politique ; A ses yeux, l’aristocratie était le régime idéal, comparé à tous les autres…

Après cette rencontre déterminante avec Socrate dont il se fera le thuriféraire en lui accordant une place centrale dans ses fameux dialogues, Platon n’aura de cesse de dénoncer l’activité des sophistes qui se faisaient fort de tout justifier, une chose et son contraire, grâce à leurs grandes qualités de rhéteurs.

La tromperie et l’efficacité prenaient donc la place de l’honnête quête de la vérité, quintessence de la pensée socratique.

A noter que le «taon d’Athènes» a toujours mis l’accent plus sur la philosophie morale, sur l’éthique, que sur la recherche des lois de la nature. Et ce renforcement du pôle éthique de sa philosophie a fini par le conduire à opposer métaphysique et éthique à la politique en général, donc à la conduite de la cité.

Et ceci nous conduit au second grand événement majeur et marquant dans la vie du philosophe devenu un adulte ayant acquis grâce à sa spéculation reconnaissance et célébrité.

C’est l’exécution de Socrate en 399 avent notre ère. Ce fut pour le disciple un choc à nul autre pareil et qui ne le quittera jamais, de toute sa vie. La condamnation de Socrate par un tribunal inique à boire la cigüe révéla à Platon les fondements malsains de sa cité natale. Comme bien d’autres disciples ou admirateurs du philosophe-martyr, il décida de prendre le large et de se réfugier à Mégare.

Certes, quelques personnalités haut placées dans le gouvernement d’Athènes, proposèrent au condamné de s’évader. Ils lui promirent une exfiltration qui, disons le, arrangeait tant de monde, y compris les gouvernants.

Mais Socrate comprit que c’était un piège apte à ruiner sa postérité philosophique s’il s’y précipitait à pieds joints : ses adversaires auraient alors décrédibilisé son enseignement en arguant qu’il donnait le mauvais exemple, faisant passer sa vie ou sa survie avant ses idées éthiques et le respect des lois de la cité, quand bien même elles seraient, de l’avis de tous, iniques. Et de fait, Socrate sera le premier grand martyr de la philosophie.

L’exemple, la conduite exemplaire de Socrate, sont présents dans la totalité des dialogues platoniciens, donnant du maître une image très flatteuse et parfaite, qui sera un peu écornée par ses adversaires qui souligneront sa laideur repoussante et la propreté douteuse de ses vêtements…

Mais le pire, ce sont les accusations du tribunal et notamment, la corruption de la jeunesse. On sait que Socrate se plaisait en la compagnie d’éphèbes, ce qui fit planer sur lui le reproche ou l’accusation d’homosexualité.

On se souvient du dialogue où il vante la beauté physique et la grâce d’Alcibiade lequel, après une carrière bien remplie, faites de trahisons et de retournements de tuniques mourra assassiné en Perse à l’âge de quarante-deux ans…

Ce même Alcibiade avait cru bon de témoigner que Socrate était resté insensible à ses charmes alors qu’il s’offrait à lui…

Mais par delà les vicissitudes personnelles ou nationales, Platon va fonder son Académie non loin d’Athènes, alors qu’il a quarante ans, une décennies après le supplice de son maître, ce qui se vérifie par la phrase du grand orientaliste judéo-hongrois Ignaz Goldziher : Tant que le maître est vivant, on reste un disciple (Solange der Lehrer lebt, bleibt man Schüler).

Et c’est dans cette institution qui se promet de dispenser la sagesse et la vertu à ses auditeurs que Platon trouvera un élève qui répond au nom d’… Aristote lequel , né à Stagire, en Macédoine, deviendra par la suite, durant trois ans, le précepteur du futur Alexandre le grand.

Mais ces hautes fonctions l’exposeront à la vindicte des Athéniens à la mort de son protecteur, Alexandre, qui ne laissa pas que de bons souvenirs sur place. C’est ainsi qu’Aristote dut prendre la fuite et s’abriter sous des cieux plus cléments.

Je ne peux pas dans le cadre de cet article énumérer les divergences entre les deux penseurs ; disons qu’à l’idéalisme et à la dichotomie de Platon s’oppose le pragmatisme et le réalisme du Stagirite.

Ce fut assez bien vu, car au cours de sa longue carrière, Platon traversa une crise spirituelle, conscient qu’il était de la difficulté à fonder cette division de ‘être entre le monde des Idées et le monde réel ou le monde de la diversité.

Cela va poser la question de l’être et du non-être que Martin Heidegger tentera de surmonter en parlant de l’étant (das Seiende). Et au fond, comment croire ce mythe de la caverne où l’humanité enchaînée dans son obscurité originelle ne voit que le reflet des choses et non leur essence ?

Mais passons à une problématique qui, comme on l’a vu plus haut, a hanté le philosophe, à savoir la gouvernance.

Au fond, quel était le régime politique qui avait les faveurs de Platon ? Contrairement à son maître, Aristote optait pour la démocratie (honnie par Platon), mais à une seule condition : que ce régime soit éclairé et guidé par la philosophie.

Et au cours du Moyen Age, les philosophes théologiens, musulmans, chrétiens ou juifs opteront pour cette formule : le roi- philosophe-homme d’état…

Comme si la politique pouvait se laisser discipliner par le droit et la sagesse… même deux millénaires et demi plus tard. Mais chez les philosophes médiévaux, cette union de la politique et de la spéculation sera adoptée à l’unanimité.

L’un des plus beaux dialogues platoniciens, en plus de Phèdre, n’est autre que le Banquet (Symposium) où il est question d’amour ; largement débattu au cours des siècles, elle couvre tant de choses, aussi différentes, allant de l’homosexualité ou de l’hétérosexualité (alors largement admise à l’poque) à l’amitié platonique entre deux adultes ou entre maître et disciple.

Mais dans le Banquet, cet amour est défini de manière bien plus éthérique, spirituelle, sans que l’on sache vraiment s’il s’agit d’une approche théorique ou d’une réalité factuelle…On a déjà évoqué rapidement cette question, et on a constaté que les témoignages étaient très contrastés.

Mais en somme, la position officielle est que l’amour véritable selon Platon est sublimé par la sagesse.

Si je comprends bien une citation du Banquet, l’amour est une sorte d’ascèse : on commence par admirer le beauté des corps, la beauté physique, donc le niveau le plus bas, de la relation, et ensuite on s’élève graduellement, étape après étape, jusqu’à parvenir au sommet de l’amour, qui est l’essence même de l’amour.

Donc, on aboutit à une réalité supra sensible, parfois intelligible. Au fond, l’amour bien compris n’est autre que l’Idée de l’amour. C’est du platonisme pur.

On a laissé loin derrière soi cette passion démesurée, porche de l’hubris. Mais parvenu à ce niveau suprême, inatteignable pour la plupart d’entre eux, on découvre aussi la grandeur d’âme, la reconnaissance, la justice, l’équité, la générosité… On aboutit donc à l’idéalisme si caractéristique de la pensée de Platon.

La dernière œuvre, la plus volumineuse n’est autre que la République. Impossible, pour moi, d’entrer dans les détails, alors que le compte rendu est déjà très long. Mais après avoir énuméré les différents régimes politiques, Platon se demande comment sélectionner la personne digne de conduire la cité ?

Là, la philosophie spéculative rejoint la philosophie politique. Sans oublier que quiconque veut transposer du ciel sur terre le meilleur des régimes finit par sombrer ans la tyrannie. Tous ceux qui ont voulu imposer aux autres leur idée du bonheur ont produit des monstruosités…

Surpris par la mort à l’âge de quatre-vingts un an (un beau multiple de neuf), Platon laisser son dernier ouvrage inachevé, les Lois.

Que devons nous retenir d’une vie si bien remplie ? L’influence de Platon s’est concrétisée, entre autres, dans ce qu’on a nommé le néoplatonisme, un fleuve immense qui charrie tant d’éléments et qui offre un tableau gigantesque qui domine toute la pensée occidentale. Même la pensée philosophique arabo-musulmane lui avait réservé un très bon accueil sous le nom d’Aflatone…

Sans même parler des néoplatoniciens juifs, voire de Maimonide lui-même.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

 

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