The damaged cars and buildings are seen in the besieged town of Douma, Eastern Ghouta, Damascus, Syria February 25, 2018. REUTERS/Bassam Khabieh

Cette semaine folle aura vu, sur tous les fronts, un déferlement d’événements d’une exceptionnelle gravité pour la stabilité et la paix du monde.

A peine était-il connu que le résultat du référendum des militants SPD, favorable à la poursuite de la grande coalition avec Angela Merkel, était bruyamment salué ce dimanche par le Président français.

Enfin! Après plus de cinq mois d’incertitude, l’Allemagne aurait donc un gouvernement et Emmanuel Macron pourra –espère-t-il– relancer son grand plan de refonte de l’Europe.

Ce « ouf » de soulagement sera pourtant la seule bonne nouvelle –au demeurant toute relative– à laquelle le Président pourra se raccrocher, à l’issue d’une semaine folle qui aura vu, sur tous les fronts, un déferlement d’événements d’une exceptionnelle gravité pour la stabilité et la paix du monde.

Qu’on en juge plutôt:

– Le dimanche précédent, le comité central du parti communiste chinois annonçait la dictature à vie du Président Xi Jinping, venant ainsi brutalement doucher tous les espoirs nourris en Occident depuis vingt ans de voir la Chine, à mesure qu’elle libéralisait son économie, s’ouvrir aussi sur le plan politique et rejoindre peu à peu l’ordre « libéral et démocratique » porté par les grandes nations démocratiques. Au lieu de cela, la Chine intensifie sa montée en puissance militaire (le budget de défense augmente cette année de 8%, deuxième budget après les États-Unis) et géostratégique en Asie mais également en Afrique et jusqu’en Europe, en faisant peser chaque jour davantage l’ombre portée de son immense puissance financière et commerciale. Peu à peu Américains et Européens commencent à ouvrir les yeux: la Chine se pose en compétiteur global, en future superpuissance dominante à l’échelle mondiale.

– Le lendemain, lundi, un rapport de l’ONU indiquait que la Corée du Nord, qui poursuit son programme nucléaire, contribuait directement à l’armement chimique du régime syrien, toujours utilisé contre les populations civiles.

– Mardi, devant le congrès américain, l’amiral Mike Rogers, patron de la NSA, annonce que faute de moyens supplémentaires alloués par le Président Trump, la Russie va continuer à mener une guerre cybernétique quasiment ouverte contre les démocraties occidentales. Quelques jours auparavant, le Procureur Spécial Mueller, fait sans précédent, avait inculpé treize ressortissants et organisations russes proches du Kremlin, pour avoir directement interféré de façon clandestine dans le déroulé de l’élection présidentielle américaine (l’acte d’inculpation de 37 pages a été publié sur le site du Ministère de la Justice américain et mérite d’être lu et médité…).

– Le lendemain, mercredi, dans son discours sur l’État de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, à quelques jours de l’élection présidentielle du 18 mars, annonce un programme de réarmement nucléaire sans précédent depuis la fin de la Guerre Froide. Jouant à fond de la fibre nationaliste du peuple russe, Poutine déclare que la Russie n’était pas considérée, ni même écoutée: « elle le sera désormais ».

Pour cela, Poutine commente lui-même des images de synthèse où sont montrés en action des armements radicalement révolutionnaires: nouveaux missiles intercontinentaux hypersoniques, nouveaux missiles de croisière à propulsion nucléaire (vous avez bien lu) et autres sous-marin miniatures robotisés.

Le tout étant destiné à rendre obsolètes toutes les défenses antimissiles actuellement déployées ou envisagées par les États-Unis. A montrer que la superpuissance russe est bien de retour. Bluff ou pas, la course aux armements nucléaires est donc relancée et prendra une toute autre dimension avec le développement ultra-rapide d’armements spatiaux, cybernétiques, et de l’intelligence artificielle.

Ce nouvel arsenal russe, combiné, si l’on ose dire, à la nouvelle posture nucléaire américaine annoncée le mois dernier, privilégiant l’emploi de nouvelles armes nucléaires de faible intensité, augure mal de la survie de la « vieille » stabilité stratégique de la guerre froide, au bon vieux temps de la doctrine « MAD » dite de la destruction mutuelle assurée. Pour l’Europe, qui ne s’en est pas encore rendue compte, c’est le retour (en pire) du cauchemar des Pershing et des SS-20 du début des années 1980, avec une nouvelle fois le spectre de servir potentiellement de champ de bataille nucléaire aux deux grands.

– Mais ce n’est pas tout. Le lendemain jeudi, Trump choisit de déclencher sans préavis une nouvelle guerre commerciale planétaire, avec l’annonce d’une augmentation spectaculaire des tarifs douaniers américains sur l’acier et l’aluminium importés, (respectivement +25% et +10%) entraînant une avalanche de menaces de rétorsion de la part des Européens et des Chinois.

A noter que tout cela se déroule sur un arrière-fond de crise financière et boursière larvée, comme on a pu le voir au cours des dix premiers jours de février, où, sans raison apparente et encore moins compréhensible, les cours de Wall Street et des principales places se sont brutalement effondrées.

– A la veille du week-end, le discours confus de Theresa May sur le Brexit n’a en rien éclairé la suite de ce premier divorce désastreux entre une Union européenne malade et l’un de ses membres.

– Et dimanche, l’Italie votait sur fond de crise migratoire, de souffrance économique et de sentiment anti-européen, en se dirigeant là encore vers une situation de crise permanente.

J’oubliais: pendant ce temps, les djihadistes attaquaient Ouagadougou, montrant toutes les limites de l’intervention militaire française Barkhane (décidée sous François Hollande) et hélas devenue permanente au Sahel, tandis que continuait la guerre en Syrie sur tous les fronts, Turcs contre Kurdes à Afrine, Russes et forces loyalistes contre les djihadistes et les civils de la Ghouta, banlieue de Damas, au mépris de la résolution que venait de voter à grand peine le Conseil de Sécurité de l’ONU. Avec en arrière-plan, le conflit larvé entre Iran et Arabie saoudite au Yémen et surtout le risque à tout moment d’une escalade entre Israéliens et Iraniens.

Dans ce contexte mondial d’une gravité sans précédent, de remontée du populisme et de régimes autoritaires, de crises financières et commerciales, de mouvements migratoires massifs, de nouvelles courses aux armements, la perte de contrôle des grandes puissances occidentales sur les nouveaux acteurs régionaux n’en apparaît que plus dangereuse.

Chaque jour qui passe donne à la Syrie et au Moyen-Orient de méchantes allures des Balkans du début du XXème siècle. Comme il y a cent ans, aucune des puissances extérieures ne souhaite l’escalade et la guerre totale, pas plus sans doute que la plupart (sinon tous) des dirigeants des puissances régionales directement impliquées dans le conflit.

Reste que, comme il y a cent ans, les dirigeants de notre monde réduits à l’impuissance ne contrôlent en rien les événements et donnent l’impression plutôt de les subir, de n’être en somme que des « somnambules » en quête de leurs rêves, comme l’analysait l’historien britannique Christopher Clark dans son magistral ouvrage sur les origines du premier conflit mondial.

Jamais, en tout cas depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la situation du monde n’a été aussi grave, aussi proche du précipice. Souhaitons que nos somnambules se réveillent avant qu’il ne soit trop tard.

Pierre Lellouche Ancien Ministre, ancien député, conseiller de Paris (LR)

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