Norman Mailer, Les nus et les morts (nouvelle traduction), 2024.

Difficile d’apporter quelque chose de nouveau sur un homme si polyvalent, celui que les critiques avaient baptisé l’enfant terrible de la littérature américaine… A l’origine rien ne semblait destiner ce gamin juif de Brooklyn à devenir le plus grand romancier de son temps. Il étudiait à Harvard pour devenir ingénieur et en fin de compte, il ne trouve rien d’autre à faire que de s’encager dans l’armée pour vivre la guerre et ses horreurs au plus près. Je n’ose pas dire ; à bout portant…

Comme le soulignent la plupart des critiques, il y a de l’excès dans tout ce que cet homme fait: six mariages successifs, neuf enfants et deux Prix Politzer , mais surtout un succès mondial pour un premier livre sur la guerre du Pacifique, écrit à vingt-cinq ans, peu de temps après la fin de la guerre (1948).

Certains critiques, peu amènes avec l’écrivain, rappellent qu’il n’a pas dépassé le cadre des cuisines de son unité combattante et que tous ces récits sont redevables aux rapports d’autres soldats qui les ont vécus sur un vrai champ de bataille… Ce jeune homme était en quête de célébrité et a réussi à la gagner : issu de la petite bourgeoise juive du New Jersey, né en 1923, il suit ses parents qui décident de s’installer à New York. Ce fut pour lui le lieu idéal pour devenir écrivain et sortir d’un milieu un peu fermé, voire réducteur . Lorsque son maître-ouvrage parait, Mailer devint une star du jour au lendemain. Pour un tout jeune homme, ce ne fut pas tache facile. Ignorant les codes de la société dans laquelle il allait pénétrer, il eut presque autant d’admirateurs que de détracteurs.. Il nous a quittés en 2007.

L’intrigue, si j’ose dire, tient en peu de mots, tant elle est classique : une escouade de treize soldats américains sont envoyés derrière les lignes japonaises pour conquérir une pite île, , censée faire avancer le gros des troupes vers une victoire moins coûteuse en vies humaines. Mais, sur place, ce fut l’hécatombe. Ce que les soldats de ce petit corps expéditionnaire ont vécu , leurs témoignages et leurs réflexions dans le feu de l’action trahissent un vécu d’une incontestable authenticité. Comment s’explique cette fascination de la guerre et de la violence à très grande échelle ? Je rappelle que nous sommes à l’époque de la Seconde Guerre mondiale ; l’Amérique fait face à l’attaque de Pearl Harbor et l’opinion publique crie vengeance. Mais il y a aussi la nature profonde de l’écrivain qui recherchera toujours les violenters confrontations. J’en veux pour preuve ses nombreuses altercation publiques avec les associations féministes. Il y a aussi le fait d’avoir consacré huit cents pages à la description de scènes de guerre.. Il faut aimer..

Ce qui fait le grande valeur de ce livre, c’est aussi l’alternance de fascinantes peintures de caractères et de sentiments, et les angoisses des soldats qui savent que certains ne reviendront pas. Et quand on relaisse la somme de tous ces textes, on se demande comment un jeune homme de vingt-cinq ans a pu produire une telle œuvre.

Pourquoi cette traduction nouvelle, censée mieux adhérer à la langue spécifique de l’auteur ? Je dois avouer que je ne peux pas procéder à une comparaison, au motif que je ne dispose pas de l’ancienne version. Mais on peut supposer que les origines juives de Norman Mailer, ont exercé une certaine influence sur son maniement de sa propre langue anglaise. Et je n’évoque même pas l’accent de New York. Dois je aussi parler du yiddish dont certaines expresses typiques ont fusionné avec le vernaculaire de l’auteur ?

Je crois que cette œuvre monumentale justifie pleinement une traduction nouvelle et les éditions Albin Michel ont accompli un desideratum que tant de lecteurs attendaient et appelaient de leurs vœux…

Quelles en soient remerciées.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.

 

par Jforum.fr

Norman Mailer, New York, 2003 © AP Photo/Kathy Willens/Sipa

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