Dieu ? Le philosophe et le rabbin (III)

Dieu ? Le philosophe et le rabbin - broché - Michel Onfray, Michael Azoulay - Achat Livre ou ebook | fnac

Les considérations du rabbin sur la science divine en général, la prédestination et l’omniscience incitent à une clarification, tout en concédant, par avance, le caractère très ardu de la question. Mais nous tenons là un excellent exemple d’une simplification excessive en parlant de problématiques que les sages du Talmud ne pouvaient saisir dans toute leur acuité. Il faut une approche théologico-philosophique que les docteurs juifs ne pouvaient ni ne voulaient saisir dans leur totalité. En revanche, les philosophes-herméneutes juifs du Moyen Âge se sont permis de s’aventurer sur ce terrain mouvant…

Maimonide dans son Guide… a décrié les philosophes qui ont attribué aux créatures une science plus grande et plus étendue qu’à leur Créateur. En gros et puisqu’l faut dire sans tenir compte de toute la complexité, je résumerai la position maïmonidienne ainsi : la science divine est créatrice d’être et peut même porter sur le non-existant. Cette posture sera vertement critiquée par Gersonide (o. 1344) dans son ouvrage Les guerres du Seigneur, ce qui équivaut, à ses yeux, à combattre les idées fausses…

Mais après la mort du Guide… il y eut une nuée de commentateurs juifs, disciples d’Averroès, qui allèrent beaucoup plus loin que leur source et bâtirent toute une théorie liant la science divine à l’essence divine : Dieu crée les êtres existants en les intelligent ; il lui suffit de les penser pour que les choses de la création existent. Pour connaître le monde, Dieu n’a qu’à les penser ou les intelliger pour les créer. Lorsqu’ill s’auto-intellige, il pense les êtres sous leur forme la plus éminente. C’est là son essence. Mais nous ne sommes pas au bout de nos peines car Dieu, conçu comme l’intellect cosmique suprême, ne saurait être édifié par moindre que lui et en outre, son essence est éternelle et ne saurait être soumise aux variations du monde extra divin. Pourtant, il n’est pas question de le priver de la science des particuliers soumis aux lois de l’évolution historique… On le voit, nous sommes à des années-lumière de l’univers talmudique et Maimonide le savait bien puisque, comme ce sera le cas dans le traitement de la Providence débine (intimement liée au thème de la science de Dieu), il distinguera entre l’opinion de notre Torah et la sienne propre. C’est dire combien la question était délicate. .

Et il en ira de même du traitement des miracles puisque cela impliquerait un changement dans l’essence divine alors que la volonté de Dieu cst censée être éternelle ( retsono ha-kadoum). Si vous suspendez le cours naturel de l’univers, il faut admettre que des faits suffisamment graves ont conduit Dieu, instaurateur du cours naturel, à changer, donc à se déjuger. Ce qui explique que le Guide.. adopte un profil bas dans ce domaine comme en tant d’autres…

Pour les miracles, les grands penseurs juifs médiévaux ont préféré s’en référer aux interprétations homilétiques, et le Guide ne fait pas d’exception à la règle : ainsi, pour le miracle de la Mer rouge, on évoque une sort e de contrat ou de convention entre Dieu et la mer selon laquelle l’eau devait se retirer à un instant convenu d’avance afin que les enfants d’Israël puissent traverser à pied sec…

Déjà Saadya Gaon (ab.942) avait usé de cette méthode en disant que dès le moment de la création Dieu avait prévu la survenue des miracles au moment opportun. La tâche incombant aux différents prophètes étant de faire coïncider les dates, celle de la demande du miracle et celle de sa survenue. On devine l’embarras des intellectuels juifs de l’époque lorsqu’il s’agissait d’intégrer les miracles à leur système théologique ou philosophique.

Ce que nous avons fait jusqu’à présent, c’est d’exposer la confrontation entre la Raison et la Révélation. Et il faut bien reconnaître que la seconde est plus à l’aise que la première lorsqu’il s’agit des fins dernières (Die Frage nach dem Unbedingten, ultimate concern) : la mort, le mal, Dieu etc… Le mal, en particulier, continue d’intriguer la conscience humaine, tout comme la théodicée. Certes, pour un athée, ce problème n’existe pas, ou, du moins, ne se pose pas dans les mêmes termes. Pourtant, dans la Bible, des livres comme celui de Job et celui de l’Ecclésiaste se sont penchés sur ce problème qui implique aussi le monothéisme éthique. Comment se fait-il qu’on ne puisse pas supprimer le mal et l’injustice de la surface du globe ? Comment se fait-ilt que la Shoah ait pu se tenir en Europe et durer autant d’années ? Questions sans réponse comme dans l livre de Job où Dieu ne donne pas de réponse. IL se contente de dédommager son serviteur bien-aimé Job comme si un être cher qui a péri peut vous faire oublier un autre être cher qui vous a quitté précédemment…

Il est temps de conclure : ce que j’ai lu n’était pas ce que j’attendais, par contre, les développements de M.O. qui a survolé tout le champ des opérations m’a appris bien des choses ou plutôt m’a incité à repenser certaines choses. Évidemment, pas suffisamment pour que je rejoigne la confrérie des athées. J’ai bien ri en parcourant ses histoires d’ADN

Le rabbin a mérité mon attention, même si je m’attendais à tout autre chose, par exemple des idées nouvelles en matière de pensée juive vivante, moins de recours presque abusif aux sources juives anciennes, alléguées sans effort herméneutique suffisant pour sortir des sentiers battus. Il est temps que la survie laisse la place à la vie, mais pour ce faire, il faudrait dominer l’ensemble de la philosophie juive qui s’est ouverte aux influences étrangères. Jamais elle ne s’est jetée dans les bras de l’autarcie spirituelle. Encore faut il dominer les langues (notamment l’allemand) pour aller au fond de la Science du judaïsme. Je croyais trouver ici une réappropriation du legs spirituel et intellectuel du judaïsme allemand, ou de l’aire culturelle germanique. Je croyais aussi y trouver la démonstration de la compatibilité de l’essence du judaïsme avec la culture européenne.

A ce sujet, je remercie M.O. qui utilise souvent l’expression le judéo-christianisme, prouvant que cette source d’eaux vives existe bien et fécondera un jour prochain les religions et les philosophies juive et chrétienne.

Au fond, c’est une question de culture. Me revient en mémoire un bon mot du rabbin Léo Baeck (ob. 1956), homme de religion mais aussi de grande culture qui définissait ainsi la différence entre ashkénases et séfarades : les premiers pratiquaient la culture de la piété (hassidime) et les seconds la piété de la culture (philosophie).

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

 

 

Reprise des conférences du professeur Maurice-Ruben HAYOUN à la mairie du XVIe arrondissement, 71 avenue Henri Martin 75116, salle des mariages : 

Le jeudi 19 janvier 2023 à 19 heures

Le jeudi 23 mars à 19 heures 

Contactez: Raymonde au 0611342874

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3 Commentaires
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habibi

La foire stérile aux illusions…une grande spécialité du mental humain.

?

JE M’EXCUSE MAIS APRES AVOIR DIT CE QU’IL A DIT,CE MONSIEUR N’A CERTAINEMENT PAS INVENTE LA POUDRE.C’EST PLEIN DE BON SENS,SANS PLUS !!!!!!

Photini Mitrou

« Le mal, en particulier, continue d’intriguer la conscience humaine, tout comme la théodicée. Certes, pour un athée, ce problème n’existe pas, ou, du moins, ne se pose pas dans les mêmes termes. » Dans l’hypothèse où dieu existe, la réponse semble simple, sans passer pour toute cette herméneutique qui n’est pas du niveau du premier venu. On n’a pas besoin d’avoir toute cette science, fascinante même si on ne comprend pas tout, pour avoir aussi ses propres réponses, moins savantes mais pas moins sottes. Pour moi, c’est simple. Dieu existe. Je n’ai pas dit que j’y crois même si j’aimerais y croire. Il a créé l’homme, l’anthropos, cela évite de dire l’homme et la femme, l’homme entre guillemets, avec signe des doigts, ou celles et ceux pour être in, ce que je ne suis pas… Il a créé l’homme, un homme libre, qu’il a voulu libre, capable de compassion mais aussi capable du mal le plus abject. Il aurait pu faire le contraire, le faire bien comme il faut, propre sur lui avec toutes les qualités et toutes les vertus. Dans ce cas, il n’aurait aucun mérite à être bon et la vie serait monotone. Ca, la propreté sur soi, c’est la société qui se chargera pour en faire un bon sujet, un bon citoyen, un bon électeur et un bon croyant. Dieu n’intervient pas dans la vie de ses créatures à qui il fait confiance et qui ont le choix entre le bien et le mal. C’est à nous de ne pas être au mauvais endroit, au mauvais moment pour éviter une mauvaise rencontre. Mais rien n’est écrit. Tout relève du hasard. Inutile, donc, de lui adresser des prières, qui doivent le saouler, soit pour une guérison, soit pour gagner au loto. S’il intervient dans une vie, dans un soucis d’équité, il faudrait qu’il fasse la même chose pour toutes les autres vies en répondant à toutes les demandes. Il est donc équitable en n’intervenant pas mais ce n’est pas, non plus, une preuve de son existence. Dieu me fait penser aux pissenlits du Larousse qui, d’un souffle, répand ses graines au petit bonheur. Dieu sème à tous vents. Certaines graines tomberont sur des terres fertiles, d’autres sur des terres ingrates et infertiles. Ce déterminisme n’est pas total car l’homme a la possibilité de réparer son infortune de la naissance. Je pense à une personne qui aurait eu une enfance difficile, avec des coups et sans amour. Adulte, il a deux possibilités. J’en ai chié, j’en ai bavé, il n’y a pas de raison que mes enfants n’en souffrent pas aussi. Et, il va leur faire une vie impossible. L’actualité nous en apporte souvent la preuve. Mais il peut aussi choisir de faire le contraire. J’en ai bavé mais je veux pas ça pour mes enfants. En leur donnant en bien le mal qui lui a été fait, il prend une revanche sur la vie en se sauvant lui-même pour entrer dans une nouvelle vie. Le dessein de dieu ne serait-il pas, peut-être, que la suppression du mal et de l’injustice de la surface du globe soit l’oeuvre de l’homme, lui-même?