Il ne s’est encore jamais trompé. Ray Kurzweil, le futurologue de Google, a été l’un des premiers à prophétiser qu’un jour un ordinateur battrait un homme aux échecs. Cette fois-ci, il a développé la loi du retour accéléré, soit un progrès illimité de plus en plus rapide avec pour conséquence que l’immortalité devienne réalité.

Loi du retour accéléré : la théorie vertigineuse du futurologue de Google qui n’a jamais eu tort

Ray Kurzweil a théorisé la loi du retour accéléré. Elle fait écho à la loi de Moore du nom du co-fondateur d’Intel qui affirmait en 1965 que la puissance des ordinateurs allait croître de manière exponentielle. Que signifie la loi du retour accéléré ? Comment fonctionne-t-elle ?

Laurent Alexandre : C’est une extension de la loi de Moore à toutes les technologies liées aux nanotechnologies, aux biotechnologies, à l’informatique et aux sciences cognitives (les NBIC). Elle consiste à dire que toutes les activités humaines vont croitre dans les décennies qui viennent de façon absolument explosive comme la puissance des ordinateurs a cru de manière explosive depuis 1965. A son époque, Gordon Moore estimait que sa loi s’arrêterait en 1975.

 

Or, en 2015 elle tient toujours. On a toujours une progression exponentielle de la puissance des microprocesseurs.

Ray Kurzweil et les transhumanistes sont persuadés que les lois identiques à cette loi de Moore sont en train d’émerger dans les sciences du cerveau, dans les nanotechnologies, dans le séquençage et la manipulation de l’ADN… L’idée c‘est que l’évolution des capacités humaines suit une succession de courbes exponentielles. Il s’agit de courbes qui montent à la verticale et de plus en plus vite. Concrètement, la loi du retour accéléré donne un pouvoir à l’homme qui devient quasi illimité sur son cerveau et sur la matière.

On observe déjà cette courbe exponentielle en génétique. Le coût du séquençage ADN s’effondre. Il a été divisé par 3 millions en 10 ans. On séquence de plus en plus vite et de moins en moins cher. Dans le domaine des modifications de l’ADN, on a aussi une courbe exponentielle puisque le coût de la manipulation de l’ADN a été divisé par 10 000 en 7 ans.

 

Dans le domaine des nanotechnologies, nous en sommes au tout début donc il est difficile de dire s’il y a une courbe de même nature qui est en train d’apparaitre. Idem dans les sciences du cerveau. Mais Ray Kurzweil est persuadé que dans les nanotechnologies et dans ces sciences du cerveau on va voir apparaître la même explosion des capacités technologiques.

Vincent Pinte Deregnaucourt : Les « Lois de » sont des objets empiriques mais au demeurant scientifiques, qui permettent de théoriser des concepts. La loi de Moore la plus connue (car il y en a en fait 3) postule ainsi que tous les 18 mois, le nombre de transistors dans les microprocesseurs doublent. Et depuis près de 50 ans, cette loi ne se dément pas.

Ray Kurzweil, le « Grand Manitou du Futur » chez Google a ainsi récemment postulé une loi, celle du « retour accéléré ». Celui-ci étend en fait, la loi de Moore en l’incorporant dans sa propre loi : il valide cette dernière et postule que les conséquences sont elles même exponentielles. Par exemple, l’informatique s’est développé de manière exponentielle. La biologie a bénéficié de l’informatique « à plein rendement », et donc se développe également de façon exponentielle. Ainsi, si l’on prend le tout premier séquençage de l’ADN (dont on pensait encore en 1985 qu’il serait impossible), il aura coûté 3 milliards de dollars, sollicité 20 000 chercheur et duré 13 ans pour aboutir en 2003. En 2007, nous étions déjà à 1,5 million de dollars et nous sommes désormais sous les 1000 dollars en 2013. Il n’y a pas de raison de croire que nous ne serons pas sous les 5 dollars dans un avenir proche.

Cette loi pourrait s’énoncer sous une forme plus explicite : l’utilisation de technologiques dont la croissance est exponentielle, permet, lorsqu’elle est le moyen d’étude d’un sujet, de faire progresser la connaissance de ledit sujet de façon également exponentielle.

Bien évidemment, le caractère exponentiel de ces changements, qui est une première dans l’histoire de l’humanité, change toute la donne, y compris en terme de civilisation. Imaginez par exemple que demain il n’y ait tout simplement plus de maladie. C’est d’ailleurs ce qui va se produire d’ici 5, 10 ou 30 ans. Demain, donc ! Que fera-t-on des centaines de milliers d’hôpitaux à travers le monde, et que feront les millions de médecins et personnels associés, infirmières, mais aussi, de façon connexes, les industries spécialistes de la constructions de bâtiments de santé ?

Concrètement, quelles implications peut avoir cette théorie dans notre quotidien ? 

Laurent Alexandre : Dans la partie qui a déjà démontré sa véracité à savoir la loi de Moore, on a observé un bouleversement de pans entiers de l’économie. Internet, l’ordinateur individuel, le smartphone, les réseaux sociaux sont des enfants de la loi de Moore. Dans le domaine de la biologie, si les coûts continuent de s’effondrer comme c’est le cas jusqu’à présent, notre capacité de bricoler le vivant va être illimitée. Le champ des possibles va donc exploser. Il sera alors envisageable de modifier notre ADN à un prix raisonnable, de traiter beaucoup de maladies, d’augmenter l’espérance de vie humaine, d’augmenter nos capacités, etc. 

Dans l’hypothèse où les lois explosives de cette nature-là se poursuivent, l’homme va avoir une capacité quasi-illimitée de modifier sa propre nature et de modifier la matière physiqueL’idée des transhumanistes est que cette loi du retour accéléré va permettre de tuer la mort, d’augmenter les capacités humaines en branchant de l’intelligence artificielle sur le cerveau humain et donc de faire un humain 2.0 pour reprendre le titre du livre de Kurzweil « L’humanité 2.0 ». L’objectif des transhumanistes est de surfer sur cette loi pour changer l’homme et lui donner un pouvoir démiurgique.

L’immortalité ne serait plus un fantasme, la capacité d’augmenter le fonctionnement de nos yeux, de notre cerveau, de nos muscles deviendrait réalité. Et nos capacités intellectuelles grâce à l’interfaçage entre notre cerveau et des microprocesseurs deviendraient des millions de fois plus puissantes qu’aujourd’hui. Tout ceci à l’horizon de la fin du siècle.

Le développement exponentiel du progrès technique va-t-il bouleverser notre économie ? De quelle façon ?

Laurent Alexandre : A travers cette loi, on va assister à un bouleversement de notre économie par le développement de l’intelligence artificiel et de la fusion de l’intelligence artificiel ave la robotique. Le marché du travail tel qu’on le connait va être entièrement bouleversé. Comme le dit Larry Page, le président de Google, 9 emplois sur 10 sont automatisables à relativement brève échéance. L’arrivée de robots intelligents va entrainer un bouleversement absolument gigantesque du marché du travail d’ici 2050. Que l’on parle de chauffeurs de taxi avec les voitures autonomes, que l’on parle de tous les métiers automatisables, cela va entrainer des déplacements d’emplois considérables et on ne sait pas encore quels sont les emplois qui pourraient être créés.

 

Quand Bill Gates dit qu’en 2035 il n’y aura plus d’infirmières parce qu’elles auront été remplacées par des automates c‘est un risque à prendre très au sérieux. Et nous ne savons absolument pas ce que l’on va faire pour nous adapter à des technologies aussi explosives. Nous n’avons pas le début du commencement d’un plan pour faire face au tsunami technologique qui est en train d’arriver. Cela ne veut pas dire que l’homme n’aura plus sa place dans cet univers mais plutôt qu’on ne sait pas quel sera sa place. La multiplicité des chocs technologiques sur si peu de décennies fait qu’aujourd’hui personne n’est capable de prévoir ce que cela va entrainer et comment s’y préparer.      

On va donc assister à un bouleversement complet du monde du travail et de ses hiérarchies et je n’exclus pas que cela entraine la mort de l’argent. A partir du moment où l’intelligence artificielle est en 2045, si l’on en croit Ray Kurzweil, un milliard de fois plus puissante que la réunion des 8 milliards de cerveaux d’êtres humains, comment justifier des différences de revenus entre deux hommes ? La différence d’intelligence entre deux individus étant devenue infime comparée à la différence de capacité entre un cerveau humain et une intelligence artificielle, plus rien ne justifiera des inégalités salariales.

 

Dans l’hypothèse où cette loi exponentielle durerait quelques décennies, nous ne sommes pas face à un bouleversement économique mais bien un changement radical de civilisation. Tout ce qui bâti notre société depuis des millénaires est bousculé en 50 ans : la mort, la façon de procréer, le travail, la hiérarchie entre les gens. Tout sera bouleversé en très peu de temps.

Selon sa théorie, la courbe de la loi du retour accéléré atteindrait un point dit de la « Singularité ». A ce moment-là, l’intelligence artificielle supplantera l’intelligence humaine. A quel moment cette période pourrait-elle être atteinte ?

Laurent Alexandre : Pour les transhumanistes, selon la loi du retour accéléré, apparait un moment vers 2045 où l’intelligence artificielle se mettra à croitre de façon exponentielle. Et en quelques heures, en quelques jours, en quelques semaines, l’intelligence artificielle progressera des milliards de fois. En janvier 2046, les ordinateurs arrivent à peine aux capacités d’un cerveau humain puis le dépasse et devient un milliard de fois plus puissant que l’intelligence humaine. La matière première de l’intelligence artificielle, le silicium, est illimité alors que fabriquer un cerveau humain c’est long et compliqué. Fabriquer un microprocesseur ce n’est pas si compliqué. Donc l’intelligence artificielle peut croître extrêmement vite. Et c’est le point que les transhumanistes appellent la Singularité. C’est un moment où l’intelligence artificielle explose en très peu de temps et bouleverse complètement la donne voire marginalise l’humanité. D‘où les craintes formulées par Bill Gates ou encore l’astrophysicien Stephen Hawking ces derniers mois avec une pétition sur l’encadrement de l’intelligence artificielle pour éviter qu’elle devienne hostile et menace l’humanité. Il s’agit d’empêcher des scénarios catastrophes à la Terminator.

Pour mieux appréhender ce risque, il faudrait qu’il y ait un débat politique, une réflexion des scientifiques et de la société civile sur l’encadrement de l’intelligence artificielle afin de définir une position commune. L’un des dangers c’est que certains pays refusent d’encadrer l’intelligence artificielle et qu’un Etat, la Chine par exemple, décide de se servir de cette intelligence artificielle pour devenir un leader militaire avec le risque cette technologie lui échappe et se retourne contre l’humanité tout entière. Si l’on décide d’empêcher une intelligence artificielle supérieure à l’intelligence humaine, il faudra le faire partout et c’est très compliqué à mettre en place. Bill Gates a dit cette très belle phrase il y a deux mois : « Je ne comprends pas que les gens n’aient pas peur ». En effet, les inquiétudes sont nombreuses.

L’être humain ne risque-t-il pas d’avoir le vertige face à un progrès de type exponentiel qui ne cesse de s’accélérer ?

Laurent Alexandre : Nous entrons dans une époque totalement vertigineuse. Il est possible que l’humanité devienne nihiliste. Il est possible qu’il y ait une guerre civile entre les transhumanistes qui veulent l’émergence de ce monde totalement contrôlé par les technologies et les bioconservateurs qui s’y opposent. Il est très difficile de faire des scénarios à l’avance mais le XXIème siècle ne sera pas un long fleuve tranquille car il n’est pas du tout certain que l’on puisse contrôler des technologies aussi puissantes et explosives. 

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d’HEC et de l’ENA, Laurent Alexandre a fonde dans les années 90 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de « La mort de la mort » paru en 2011,  Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l’humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vincent Pinte Deregnaucourt

Ingénieur en informatique de formation, il est aujourd’hui professeurs à l’Institut Poly Informatique de Paris et consultant avec l’agrément « expert scientifique » auprès de PME sur leur programme de recherche et développement.

En 2014 il a reçu la médaille d’Or au Grand Prix de l’Innovation Digitale dans la catégorie « Entreprise optimisée ».

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