L’exploitation russe d’une crise opportune
Analyse : La Russie n’avait vraiment aucun intérêt à prêter la moindre attention à la version israélienne de l’offensive de Lattaquié. La réception par Moscou du commandant de l’IAF pour expliquer la version israélienne n’était qu’une façade. Pour la Russie, la culpabilité d’Israël était une conclusion prévisible, mais ce qu’elle voulait vraiment, c’était davantage d’informations sur le fonctionnement d’Israël et pouvoir modifier à sa guise les accords concernant la liberté d’action d’Israël dans le ciel syrien.
La crise entre Israël et les Russes à la suite de la destruction par la Syrie d’un avion espion russe près de Lattaquié est grave et a provoqué une grande fracture entre les deux pays, selon des sources politiques à Jérusalem.
Il s’avère que la visite d’une délégation de l’armée israélienne à Moscou, pour protester de l’innocence d’Israël et pour débloquer le bras de fer qui s’est durci, n’a fait que glacer un peu plus ces relations très tendues et souligner la disparité des versions entre les deux parties.
Dans les briefings donnés aux médias russes par les représentants du président Vladimir Poutine, la version israélienne a été présentée comme rien d’autre que purement fallacieuse. L’enquête israélienne ne semble pas avoir intéressé les Russes, et le geste du premier ministre Netanyahu d’envoyer le commandant de l’IAF à Moscou ne leur a fait aucune impression. Du point de vue russe, c’était une façade et un exercice de pure routine. Ce qui les intéressait vraiment, c’était de déceler comment travaillaient les renseignements israéliens de l’armée de l’air.
Le journal russe «Komsomolskaya Pravda», qui entretient des liens étroits avec le ministère russe de la Défense et avec le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a décrit jeudi la rencontre entre le major général Amikam Norkin et son homologue russe comme froide, heurtée, austère et sans le moindre échange de sourire. Le journal a déclaré que les Russes ont exigé qu’Israël, avant toute chose, reconnaisse que ses actions ont provoqué une tragédie et que «la responsabilité en incombe totalement aux Israéliens. C’est notre position de base ».
«Nous avons clairement expliqué à Norkin que nos faits contredisent les leurs et que des conclusions telles que celles auxquelles sont parvenus les Israéliens ont probablement été inventées», a-t-il déclaré.
Il est important de noter qu’en Russie, il n’y a pas de fuites concernant les réunions de sécurité sensibles comme celle-ci. Par conséquent, Israël a conclu que le rapport n’était pas une coïncidence et que cela venait directement du porte-parole de Poutine ou d’un autre haut responsable du Kremlin. Quoi qu’il en soit, l’article a décrit les Israéliens comme des personnes sautillant, extrêmement mal à l’aise sur leurs chaises, comme des personnes qui évitaient de répondre aux questions techniques et qui tentaient de parler de la responsabilité iranienne dans l’incident et de la culpabilité d’Assad comme pour se dédouaner).
Le journal a également indiqué que l’homologue russe de Norkin avait demandé lors de la réunion: «Qu’êtes-vous venu faire dans l’espace aérien?» Selon eux, Norkin a admis qu’Israël n’avait pas cherché à vérifier la présence d’aéronefs russes dans la zone pendant l’attaque.
Le message russe à Israël est un message politique sans équivoque : les Russes ne veulent pas qu’Israël continue à survoler et à lancer des frappes en Syrie et certainement pas dans l’état actuel des choses. La destruction de l’avion est une opportunité en or pour les Russes de modifier les règles de l’entente actuelle avec Israël concernant la liberté d’opération de l’IAF en Syrie. Israël doit maintenant faire face à une décision dramatique sur la profondeur de la crise et dans quelle mesure elle est disposée à la mener avec les Russes. Pour le moment, la crise semble insoluble.
Dans l’appareil de sécurité israélien, les autorités ont souligné à plusieurs reprises qu’Israël ne ferait pas de compromis sur ses efforts militaires pour expulser la présence militaire iranienne de Syrie et empêcher le transfert d’armes au Hezbollah. Le message transmis par Moscou est que le Kremlin n’encourage pas les visites en Russie de responsables israéliens dans le but de combler le fossé diplomatique qui s’est creusé. Elle ne soutient pas, non plus, les visites de responsables russes en Israël à ce sujet.
Israël est convaincu qu’il a agi conformément aux accords conclus avec la Russie et que tout ce qui s’est produit découle d’un manque de professionnalisme manifeste des Syriens qui ont abattu l’avion. De plus, les Israéliens sont convaincus que le fait qu’ils se soient jusqu’ici abstenus de frapper des cibles syriennes et iraniennes le long des côtes syriennes a provoqué une situation dans laquelle les Iraniens pensent pouvoir installer des bases militaires dans la région sous l’égide et la protection des défenses aériennes russes. Ainsi, Israël continuera à tout faire pour éliminer la présence iranienne de la région.
Néanmoins, au-delà des déclarations et des politiques, Israël devra prendre, dans les prochains jours, des décisions sur la poursuite des opérations au-dessus du territoire syrien et sur les relations avec les Russes. Israël estime que le temps va couler sous les ponts et que l’intérêt mutuel de préserver des relations saines prévaudra à terme sur la crise en cours.
La prochaine attaque israélienne en Syrie sera donc un test décisif pour les deux parties. Il est possible de supposer que si Israël choisit de frapper une cible, il fera tout ce qui est en son pouvoir pour assurer une coordination rapide et approfondie avec les Russes, même si cela se fait au détriment d’informations importantes pour la sécurité, de peur que la prochaine frappe n’éveille une colère encore plus grande de l’Ours russe.
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