La région du Kurdistan irakien a été mise en garde contre la menace des milices pro-iraniennes il y a des années

Le gouvernement régional autonome du Kurdistan s’est méfié des changements à Bagdad au cours des dix dernières années, les groupes pro-iraniens ayant pris le pouvoir.

Un Peshmerga de la région du Kurdistan regarde les positions de l'Etat islamique depuis sa ligne de front près de Kirkouk en 2015 (crédit photo: SETH J. FRANTZMAN)
Un Peshmerga du Kurdistan regarde les positions de l’Etat islamique depuis sa ligne de front près de Kirkouk en 2015 (crédit photo: SETH J. FRANTZMAN)

Au plus fort de la guerre contre l’EI sur une rangée de collines à l’ouest de la ville de Kirkouk, les commandants kurdes des Peshmergas, les forces armées du gouvernement régional du Kurdistan, se sont rassemblés pour observer les menaces de l’EI au loin. Ils disaient que l’Irak faisait face à deux menaces. L’EI était une menace qui était lentement repoussée des gains territoriaux qu’il avait réalisés en 2014. Une autre menace était constituée par  les milices sectaires chiites appelées Hashd al-Shaabi ou unités de mobilisation populaire (UMP). Ces groupes s’étaient levés pour combattre Daech, mais ils se sont renforcés avec le soutien de l’Iran. La plupart des Kurdes ont convenu que leur sectarisme constituait une menace pour d’autres groupes en Irak. Les frappes aériennes américaines sur le Kataib Hezbollah révèlent maintenant ce que les commandants kurdes disaient depuis quatre ans : les milices chiites constituent une menace pour l’Irak et la région.

Le gouvernement régional autonome du Kurdistan s’est méfié des changements à Bagdad au cours des dix dernières années, les groupes pro-iraniens ayant pris le pouvoir. Nouri al-Maliki, le Premier ministre dont les politiques ont contribué à alimenter le chaos qui a conduit à l’avènement de Daech, a été tourné en dérision pour avoir ignoré les Kurdes et les Arabes sunnites en Irak. Au pire, son programme sectaire, également pro-iranien, était considéré comme réprimant les sunnites. Lorsqu’il a quitté le pouvoir en 2014, les États-Unis se sont d’abord sentis encouragés par la montée du Premier ministre Haider al-Abadi, qui était considéré comme la bonne personne pour mener la guerre contre l’Etat islamique. Abadi est, cependant, devenu l’instrument clé qui a cimenté le rôle de l’UMP en Irak. Interrogé par le secrétaire d’État américain Tillerson sur les raisons pour lesquelles les milices qui se sont engagées pour lutter contre l’Etat islamique ne sont pas «rentrées chez elles» après la guerre de 2017, Abadi a déclaré qu’elles étaient l‘espoir pour l’avenir de l’Irak et de la région.

Le gouvernement d’Abadi à Bagdad a travaillé avec le Parlement pour intégrer un groupe disparate de milices, dont Kataib Hezbollah, et en faire une force paramilitaire officielle, semblable au Corps des gardiens de la révolution islamique d’Iran. L’Iran a accompli en Irak dans les années 2016-2018 ce qu’il n’a pas pu accomplir au Liban, il a transformé la forme irakienne du Hezbollah en force officielle. Le commandant du Kataib Hezbollah, Abu Mahdi al-Muhandis, est devenu chef-adjoint du PMU. Terroriste recherché au Koweït et terroriste désigné et sanctionné par les États-Unis, il a pu opérer librement en Irak et envoyer des forces en Syrie pour aider le régime Assad et le renforcer le trafic d’armes et de missiles iranien.

L’UMP avait également d’autres éléments peu recommandables dans ses rangs, notamment Asaib Ahl al-Haq, dirigé par Qais Khazali, un ancien détenu des États-Unis au Camp Cropper. Dans l’ensemble, le PMU était craint par les Arabes sunnites et aussi par les Kurdes pour ses abus et violations nombreuses pendant la guerre contre l’Etat islamique. Kemal Kirkuki, commandant des Peshmergas kurdes du secteur autour de Kirkouk et ancien président du parlement de la région du Kurdistan, a déclaré que l’Irak devait être transformé en États fédéraux pour donner aux Kurdes et aux Sunnites l’autonomie et les droits, au lieu de permettre aux milices chiites de contrôler les autres. Il a également fait remarquer dans une interview avec Rudaw en 2016 que le PMU, qu’il appelait le « Hashd », n’était pas en mesure de mener des offensives parce que la Coalition dirigée par les États-Unis ne lui accorderait pas de soutien aérien. Il a déclaré que les Peshmergas kurdes ne voulaient pas travailler avec le PMU.

Les tensions entre la région kurde et le PMU ont atteint un sommet en 2016 alors que de plus en plus d’unités du PMU ont été envoyées vers le nord, et elles sont entrées en contact avec les Kurdes après que les deux ont vaincu Daech. À Tuz Khurato, les groupes se sont affrontés et les Kurdes ont été attaqués par des milices sectaires.

La montée des milices soutenues par l’Iran a poussé la région du Kurdistan à s’opposer à leur présence croissante. En septembre 2016, le président de la région du Kurdistan, Masoud Barzani, a mis en garde contre l’entrée du Hashd à Mossoul lors des opérations de libération de la ville. Il a déclaré que les habitants de la ville, en grande partie des Arabes sunnites, devraient décider si les milices chiites entreraient dans leur ville. Il a continué de mettre en garde contre le rôle des milices qui ont balayé Mossoul à l’ouest et capturé des zones près de Sinjar. Sinjar est une zone sensible car elle abritait la minorité yézidie qui a été persécutée par l’Etat islamique. Il n’était pas clair si la présence de milices chiites conduirait les Yézidis à craindre de rentrer chez eux après la défaite de l’Etat islamique. En mai et juin, Barzani a averti que l’UMP s’emparait de zones proches de Sinjar.

Les appels de la région du Kurdistan sont restés largement sans réponse, de la part de Washington. Les États-Unis voulaient rendre Abadi autonome, espérant qu’il deviendrait le nouvel homme fort de l’Irak et qu’il pourrait unifier un Irak nationaliste moins pro-iranien. En 2017, le ministre des Affaires étrangères d’Arabie saoudite a effectué une visite historique en Irak et Abadi s’est également rendu en Arabie saoudite. Les compagnies aériennes saoudiennes ont commencé à effectuer leurs premiers vols vers l’Irak en 27 ans. Les États-Unis ont estimé qu’Abadi pourrait être disposé à travailler plus étroitement avec les États arabes. Mais il devrait être autorisé à le faire. Les milices chiites avaient donc également besoin d’une victoire pour montrer leur force. Asaib Ahl al-Haq a déclaré ouvertement que les combats pour Mossoul et Tel Afar étaient une «revanche» pour le martyre de l’imam chiite Hussein il y a des siècles. Les milices ont été accusées d’abus généralisés à travers l’Irak en 2017.

Dans le même temps, la région du Kurdistan a organisé un référendum sur l’indépendance prévu pour septembre 2017. Les États-Unis et d’autres pays se sont opposés au référendum. L’Iran s’y est également opposé. Après que les Kurdes ont voté massivement pour l’indépendance, les chefs de milices soutenus par l’Iran, tels que Muhandis et Hadi al-Amiri de l’Organisation Badr, ont planifié une attaque contre la région kurde. Ils voulaient reprendre Kirkouk et Sinjar aux Kurdes, zones que les Peshmergas avaient défendues contre l’Etat islamique pendant la guerre. En octobre, ils ont mis leur plan en branle. Lors de brefs affrontements à la mi-octobre, ils ont emporté Kirkouk en l’arrachant aux Peshmergas avec l’aide de l’armée irakienne. Pour la région kurde, tous les cauchemars du passé, lorsque Saddam Hussein avait envoyé des chars contre eux, se sont ravivés. A ce moment-là, Washington est resté sur la touche, encourageant implicitement Abadi à montrer à la région kurde une main ferme et à la punir pour avoir cherché l’indépendance. La montée des milices chiites, qui ont célébré leur victoire à Kirkouk en faisant tomber des drapeaux kurdes, découle de cette situation. Une semaine après que les États-Unis ont virtuellement encouragé Abadi à reprendre Kirkouk, il a convoqué Tillerson à Bagdad et lui a dit que les groupes soutenus par l’Iran étaient en Irak pour rester comme composante du paysage politique.

Deux mois après que les milices chiites ont aidé à planifier l’attaque des Kurdes à Kirkouk, Qais Khazali s’est rendu au Liban pour menacer Israël. La bataille de Kirkouk avait renforcé les milices, qui ont maintenant déclaré ouvertement qu’elles expulseraient les États-Unis d’Irak et de Syrie, et combattraient les États-Unis et Israël. En juin 2018, des frappes aériennes ont fracassé un complexe du Kataib Hezbollah en Syrie. À ce moment-là, les milices travaillaient déjà avec l’Iran pour apporter au Hezbollah des armes à guidage de précision et des missiles balistiques via l’Irak en Syrie. D’autres missiles balistiques sont arrivés en août 2018. En février 2019, ils ont commencé à harceler les forces américaines en Irak. Puis, ils ont commencé à tirer des roquettes sur les Américains. Le 27 décembre, un entrepreneur (sous-traitant) américain a été tué et les États-Unis ont exercé des représailles. Les généraux et responsables de la région du Kurdistan avaient mis en garde contre un tel incident depuis des années. Leur avertissement est tombé largement dans l’oreille d’un sourd.

Adaptation : Marc Brzustowski

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