Turquie: le chef kurde Selahattin Demirtas, rival numéro 1 du président Erdogan

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Istanbul, 1 nov 2015 (AFP) — Il est jeune, charismatique, moderne. A 42 ans, le chef du parti prokurde HDP Selahattin Demirtas s’est imposé comme le rival numéro 1 du président Recep Tayyip Erdogan, au terme de deux campagnes électorales âpres menées sous la menace jihadiste.

Parfois présenté comme « l’Obama kurde » pour son aisance devant les caméras, il incarne la réussite de son Parti démocratique des peuples (HDP). Sous sa conduite, le HDP a fait une entrée en force au parlement aux législatives du 7 juin, grâce à un discours marqué à gauche, social et de défense des libertés.

Mais ce succès, qui a contribué à priver le parti islamo-conservateur de sa majorité absolue, en a aussi fait la principale cible de l’homme fort du pays qui, agacé, raille volontiers le « beau gosse » du HDP.

Comparé aux chefs sans grande envergure des deux autres grands partis d’opposition, Selahattin Demirtas est désormais considéré par ses partisans comme le seul à pouvoir rivaliser avec M. Erdogan, véritable « mâle dominant » de la politique turque depuis son arrivée à la tête du gouvernement en 2003.

Totalement rompu aux codes de la communication politique moderne, il y a imposé une image de bon père de famille, petit-déjeunant avec sa femme et ses deux filles, et de proximité, prenant son petit-déjeuner avec des ouvriers sur un chantier.

Le rédacteur en chef de la version anglaise du quotidien Hürriyet, Murat Yetkin, le décrit comme un « défenseur des droits de l’Homme, toujours à la recherche d’un compromis, même sur les questions les plus clivantes ».

Né dans la ville à majorité kurde d’Elazig (sud-est), le coprésident du HDP est le deuxième d’une famille de sept enfants.

Il raconte avoir pris conscience de son identité kurde lorsqu’il avait 15 ans, lors des funérailles d’un homme politique tué par les forces de sécurité à Diyarbakir, la capitale turque de Turquie.

– Complice des « terroristes » –

Après un diplôme de droit de la prestigieuse université d’Ankara, Selahattin Demirtas a un temps travaillé comme avocat dans un cabinet de Diyarbakir spécialisé dans la défense des droits des Kurdes, avant de se lancer en politique.

Elu en 2007 au Parlement, il s’est révélé sur la scène nationale lors de la présidentielle d’août 2014, où il a frôlé la barre des 10%.

Sous sa coprésidence, le HDP a largement élargi son audience au-delà de la seule communauté kurde de Turquie (15 millions de personnes) et s’est transformé en un parti moderne, à la fibre sociale et ouvert aux femmes et à toutes les minorités.

Mais sa tâche s’est considérablement compliquée depuis l’été. Fin juillet, les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ont repris leur campagne d’attentats ciblés contre la police et l’armée après l’échec des discussions de paix ouvertes fin 2012.

M. Demirtas est désormais systématiquement accusé par le gouvernement d’être le « complice » des « terroristes » du PKK. Il fait même l’objet d’une enquête judiciaire qui pourrait lui valoir jusqu’à vingt-quatre ans de prison.

« Nous n’avons pas de lien organique avec le PKK », répond-il, gêné aux entournures par le ralliement de son propre frère à la guérilla. « Nous avons toujours maintenu que le PKK doit déposer les armes », a-t-il confié cette semaine à l’AFP, « mais la République de Turquie doit aussi cesser ses activités militaires contre le PKK ».

Depuis cinq mois, le parti de M. Demirtas est également sous la menace directe du groupe Etat islamique (EI). Après ceux de Diyarbakir (juin) et Suruç (juillet), ses militants ont été la cible, avec d’autres, de l’attentat qui a visé la gare centrale d’Ankara le 10 octobre, faisant 102 morts et plus de 500 blessés.

Cette attaque, la plus meurtrière de l’histoire turque, l’a contraint à annuler toutes ses grandes réunion publiques pour des raisons de sécurité.

D’ordinaire mesuré, Selahattin Demirtas a réagi en haussant vivement le ton contre M. Erdogan. « Il (Erdogan) conçoit la politique comme un pouvoir personnel. Il se voit comme le chef religieux d’un califat », a-t-il lâché il y a une semaine.

AFP, Institut Kurde de Paris 1 heure avant

afp

 

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Turquie : à Diyarbakir, l’ombre des armes plane sur les élections

Dans la « capitale » des régions kurdes, marquée par les affrontements entre l’armée et le PKK, on espère que les élections ramèneront la paix. Reportage.

 

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Ce samedi, au quartier général du HDP, on sonne le branle-bas de combat. Le Parti démocratique des peuples n’a alors plus que quelques heures pour finir de convaincre les habitants de Diyarbakir, la capitale des régions kurdes de Turquie, de lui apporter à nouveau son soutien lors des législatives de dimanche. Il y a du monde dans les couloirs et les petites mains du parti s’activent. Altan Tan, député et figure historique de la cause kurde, apparaît furtivement, serre quelques mains, puis s’engouffre dans une salle de réunion.

Personne n’échappe à la fouille à l’entrée, pas même la presse étrangère. Le parti est en état de siège. Chacun égraine ses souvenirs, de l’attaque du meeting de Diyarbakir deux jours avant les élections (5 morts), à l’attentat suicide de Suruç qui a fauché 32 jeunes en partance pour Kobané, en passant par le chaos d’Ankara où 102 militants de gauche ont perdu la vie.

Mais « ce n’est pas seulement dans ces trois villes que les violences ont eu lieu », rappelle Sibel Yigitalp, députée du HDP, au beau milieu de son marathon médiatique. Depuis juin, « plus de 400 bureaux du parti ont été attaqués à travers le pays et par-dessus le marché, de nombreux collègues ont été arrêtés dans la région. Les militants ont peur d’aller dans les rues », déplore-t-elle. « Nous, on paie nos impôts, on fait le service militaire, comme tout le monde dans le pays, et tout ce qu’on reçoit en retour, ce sont des balles. L’ombre des armes plane en permanence au-dessus de notre campagne. »

La guerre est déclarée

C’est donc avec la peur au ventre que le parti de gauche devrait, si l’on en croit les derniers sondages, rééditer – si ce n’est améliorer – l’exploit du 7 juin dernier lorsqu’il envoyait 80 députés au Parlement turc. Le HDP privait alors le parti conservateur AKP d’une majorité absolue, détenue depuis 2002, et donnait un sérieux coup d’arrêt au projet de changement constitutionnel de Recep Tayyip Erdogan. Le système présidentiel à la turque, tant voulu par le tribun, devra encore attendre.

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Sa victoire, c’est ici que le HDP l’a construite, dans ses bastions du Sud-Est, où vit la majorité des Kurdes de Turquie. Dans la province de Diyarbakir, avec 79 % des voix, il a raflé 10 des 11 sièges à pourvoir. Seul un député de l’AKP a échappé à la vague pro-kurde. La formation islamo-conservatrice que Sibel Yigitalp n’oublie pas de tacler au passage : « L’AKP n’a pas fait campagne ni même tenté de convaincre les gens : ils se contentent de faire de juteuses promesses. » La tête de liste du parti n’est pas épargnée : « Galip Ensarioglu est un leader patriarcal qui n’a d’intérêt que pour le profit. »

Kurde Turquie © Sebastian Castelier
Dans une ruelle de Diyarbakir, une habitante du quartier “Sur” passe à proximité d’un tag qui fait référence au Mouvement de la jeunesse patriote révolutionnaire, les YDG’H.  © Sebastian Castelier

Du côté de l’AKP, les esprits sont étrangement confiants. L’heure est à la revanche, dit-on, suivant l’exemple du président Erdogan, échauffé par le revers de juin : « On vise 35 % des voix, soit 4 députés environ », explique simplement le candidat Alaattin Parlak.

À écouter ce chef d’entreprise, assis derrière un bureau cossu, la recette du succès est simple. D’abord on martèle les résultats du parti dans la région : « L’AKP a amené la paix, la liberté pour ce peuple, c’est un exemple inédit de démocratisation dans la région, surtout pour la question des femmes. » Puis on rejoue l’un des classiques de la droite turque : la diabolisation. « Le HDP n’est rien d’autre que la branche politique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) », tous deux responsables, selon le candidat, de la reprise des violences dans le Sud-Est depuis juillet dernier.

« Jette un cocktail Molotov pour un futur radieux »

Suite à l’attaque du 20 juillet à Suruç, le fragile cessez-le-feu de 2013 a volé en éclats. Accusant Ankara d’avoir soutenu les cellules de l’organisation terroriste État islamique, responsables – selon les enquêteurs turcs – de l’attentant suicide du 20 juillet, les rebelles du PKK assassinaient en représailles deux membres des forces de sécurité, relançant un cycle de violences qui, en 30 ans de conflit, a déjà coûté la vie à plus de 40 000 personnes.

Des violences qui ont embrasé l’ensemble des régions kurdes de Turquie (faisant 150 morts parmi les forces de sécurité et plus de 2 000 parmi les rebelles kurdes) jusqu’au cœur même de Diyarbakir et son centre historique, fraîchement inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Les derniers combats remontent à deux semaines, et les méandres du quartier millénaire de Sur portent encore les stigmates des violences. Les murs des ruelles sont constellés d’impacts de balles de gros calibre. Au sol, on voit encore les hendek(tranchées, en turc) dans les ruelles pavées de la vieille ville. « Les rebelles kurdes y cachent des pièges pour les policiers, ils contrôlent ainsi l’accès aux rues », explique un passant.

Kurde Turquie © Sebastian Castelier
Lors d’affrontements ayant opposé les manifestants pro­kurdes aux forces de police turc, les échanges de coups de feux ont marqués les murs de la ville d’impacts de balles.  © Sebastian Castelier

Ces chemins sont le domaine du Mouvement de jeunesse démocratique et patriote (YDG-H), la branche urbaine du PKK, comme en témoignent les nombreux graffitis qui fleurissent sur les murs colorés de la vieille ville. Le programme de ces jeunes d’à peine 20 ans est inscrit sur la façade d’une bâtisse : « Jette un cocktail Molotov pour un futur radieux ». Toujours masqués lors de leurs raids nocturnes, c’est le visage découvert qu’ils vaquent à leurs occupations durant la journée. Assis sur les marches de basalte, le regard un peu perdu, trois YPG-H se remémorent la dernière attaque contre les policiers. « On a reçu des textos nous prévenant d’une descente chez l’un des membres du groupe. Pour les repousser, on s’est servi de tout ce qu’on avait : cailloux, cocktail Molotov et toutes sortes d’explosifs », expliquent-ils avec une relative décontraction. « C’est comme ça qu’on défend notre peuple, notre liberté et notre langue », affirme l’un d’entre eux.

Âpres combats

S’ils échappent parfois au contrôle de leurs aînés du PKK, ils inspirent aux habitants du quartier une forme de respect : « Ils ne font que défendre la population contre les crimes de la police turque », affirme Nevzat, boulanger de Sur. Pourtant, l’homme a dû fermer boutique après d’âpres combats entre les YDG-H et la police. « Avec sept autres personnes, on est resté caché là pendant trois heures et depuis, je n’ai toujours pas rouvert, explique-t-il en montrant les nombreux impacts de balle sur les murs de son échoppe. « J’ouvrirai à nouveau, après les élections. »

Dans son bureau, au-dessus de sa concession automobile, Ahmet Sayar attend lui aussi le retour des beaux jours de « l’après scrutin » censés panser les plaies du sud-est de la Turquie. Pour l’instant, le patron de la chambre de commerce et d’industrie de Diyarbakir (15 000 entreprises affiliées) broie du noir. L’amer sentiment de voir la région revenir en arrière se lit sur son visage. Mais il rappelle que la situation n’a pas toujours été aussi morose : « Avec le processus de paix de 2012, les choses avaient changé, les entrepreneurs avaient compris le potentiel de la région et les investissements suivaient. »

Une accalmie de courte durée. Avec la reprise des combats en juillet, la vie économique s’est effondrée. Et Ahmet Sayar d’expliquer en quelques chiffres la descente aux enfers de la ville millénaire : « Les investissements sont en baisse de 22 % par rapport à l’année dernière, le nombre de créations d’entreprises est passé dans le négatif, le tourisme est en chute libre avec un taux de remplissage des hôtels de seulement 20 % ». Dépité, il lâche : « En trois mois, on a perdu ce qu’on avait mis trente ans à construire. »

Source : lepoint.fr/monde

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