En conflit avec les Emirats Arabes Unis, la Turquie offre une récompense à un responsable palestinien clé, Mohammed Dahlan

Ankara a déclaré vendredi qu’elle voulait que Dahlan fasse partie de la « liste rouge » du ministère turc de l’Intérieur contre les personnes impliquées dans la tentative de coup d’État de 2016.

Un membre des forces de sécurité fidèle au Hamas monte la garde alors que les partisans de l'ancien haut responsable du Fatah, Mohammad Dahlan, participent à un rassemblement marquant l'anniversaire de la mort du dirigeant palestinien Yasser Arafat, à Gaza le 9 novembre 2017 (photo: REUTERS / IBRAHEEM ABU MUSTAFA)
Un membre des forces de sécurité fidèle au Hamas monte la garde alors que les partisans de l’ancien haut responsable du Fatah, Mohammad Dahlan, participent à un rassemblement marquant l’anniversaire de la mort du dirigeant palestinien Yasser Arafat, dans la ville de Gaza. Le 9 novembre 2017
(crédit photo: REUTERS / IBRAHEEM ABU MUSTAFA)

La Turquie a déclaré qu’elle donnerait une récompense de 700 000 dollars US pour « les informations permettant de capturer » l’ancien responsable de la sécurité palestinienne Mohammad Dahlan, selon  le journal turc TRT. Dahlan vit aux Emirats Arabes Unis et 700 000 dollars représentent une très petite récompense. Le programme général d’Ankara consiste donc à porter un coup à Abou Dhabi et à lui montrer qu’il joue toujours un rôle dans la politique de la diaspora palestinienne.

Ankara a déclaré vendredi qu’elle  voulait que Dahlan  fasse partie de la « liste rouge » du ministère turc de l’Intérieur contre les personnes impliquées dans la tentative de coup d’État de 2016. La Turquie a accusé le «groupe terroriste FETO» (affilié à Fettulah Gülen) pour cette tentative et a arrêté des dizaines de milliers de personnes. Maintenant que la Turquie a fini d’arrêter un grand nombre de ses habitants, elle cherche de plus en plus à utiliser l’excuse de tentative de coup d’État pour s’en prendre à des ressortissants étrangers, accusant ainsi les détracteurs et les adversaires de l’actuelle direction turque de l’AKP d’être liée à ce fameux «FETO» -plus ou moins mythique-, selon la Turquie. lié à un religieux turc en exil, Muhammed Gulen.

Dahlan, un ancien dirigeant du Fatah à l’Autorité palestinienne à Gaza, a été contraint de lâcher prise à Gaza, face au coup « d’Etat » du Hamas en 2007 et a finalement dû quitter la Cisjordanie à la suite de tensions avec le dirigeant de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Il a tenté de revenir dans la vie politique palestinienne à plusieurs reprises, en 2014 et plus récemment, le mois dernier, lorsqu’il a discuté des élections palestiniennes. La Turquie entretient des relations étroites avec le Hamas et a cherché à jouer un rôle dans la zone industrielle d’Erez à Gaza en 2006, démontrant ainsi l’intérêt à long terme d’Ankara pour la politique de Gaza. Dans un contexte plus large, la Turquie s’oppose à Dahlan et aux Émirats arabes unis, où vit Dahlan, dans le cadre d’un conflit régional.

Le quotidien turc Daily Sabah a déclaré que «les unités des services de renseignement turcs ont révélé que Dahlan avait également des liens avec le réseau d’espionnage des Emirats AU en Turquie.» Selon le rapport, les EAU collaborent avec Israël pour «déstabiliser la Turquie, l’Iran et le Qatar» [qui en retour, participent à la déstabilisation de toute la région et au-delà].

L’origine de l’opposition de la Turquie à Dahlan remonte à plusieurs années. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a déclaré à  Al-Jazeera fin octobre que la Turquie recherchait Dahlan, qu’elle considère comme un « terroriste ». Les médias turcs ont affirmé que Dahlan avait joué un rôle dans le meurtre de l’ancien initié des cercles du pouvoir saoudien, Jamal Khashoggi. Ce n’est pas la première fois que les médias turcs formulent ces propos diffamatoires. En 2018, un journal turc avait  fait des déclarations similaires, et, selon MSN, Dahlan a cherché à poursuivre en justice les auteurs de ces accusations. La Turquie affirme que des agents saoudiens sont entrés en Turquie pour tuer Khashoggi en 2018. La Turquie affirme également que les Émirats arabes unis sont impliqués dans un complot contre le dirigeant de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas et que les Émirats arabes unis espèrent utiliser Dahlan comme une figure de proue de leurs intérêts. La Turquie a qualifié Dahlan de « terroriste » et l’a accusé « d’espionnage pour le compte d’Israël« .

L’avalanche de revendications turques révèle que la somme dérisoire de 700 000 dollars n’est pas le vrai problème. Dahlan, par exemple, a été accusé en 2012 d’avoir des  millions d’actifs financiers, dans un article paru dans  The Weekly Standard. Un reportage du « Post » a déclaré que rien qu’en Jordanie, il pesait plus de 10 millions de dollars. En 2012, un tribunal de l’Autorité palestinienne a accusé Dahlan d’avoir «volé 16 millions de dollars», selon  Haaretz. Dans ce contexte, 700 000 dollars ne représentent que quelques centimes.

Alors qu’est-ce qu’Ankara essaie vraiment de faire par là? La Turquie souhaite utiliser les accusations portées contre Dahlan dans le cadre de sa concurrence globale avec les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite pour la quête de son influence régionale, main dans la main avec le Qatar. La Turquie considère cela comme une compétition pour la conquête des cœurs et les esprits du monde islamique et veut prendre le relais de Riyad en tant que champion de diverses causes «islamiques». Par exemple, la Turquie a cherché à défendre la cause palestinienne au cours de la dernière décennie, en l’adoptant et en devenant la principale opposition à la décision des États-Unis de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël. La Turquie accuse l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et la Jordanie de « faire pression sur l’Autorité palestinienne pour qu’elle se taise et cesse ses critiques contre les États-Unis », selon un  rapport publié le 30 octobre par Al-Jazeera.

La Turquie cherche également à souligner la tentative de coup d’État de 2016 dans le cadre d’une nouvelle série d’attaques contre des citoyens turcs à l’étranger. Selon The New Arab, 229 ressortissants turcs seraient privés de nationalité.

Après la critique turque de Dahlan fin octobre, le politicien palestinien a répondu lors d’une interview avec le Centre de radiodiffusion du Moyen-Orient (MBC). « Je considère ces accusations fabriquées comme une insulte au peuple turc et à l’armée turque« , a-t-il accusé en pointant du doigt le dirigeant turc Recep Tayyip Erdogan, qui serait fou de croire qu’il pourrait diriger le monde arabe. Il a également déclaré que le Qatar soutenait les Frères musulmans et sapait la stabilité en Égypte, en Tunisie, en Jordanie et dans l’Autorité palestinienne. La Turquie et le Qatar sont des alliés clés et la  Turquie soutient les Frères musulmans. La Turquie a accueilli des responsables du Hamas.

Selon  The New Arab , Dahlan a également accusé la Turquie de piller la banque centrale libyenne et de soutenir des « groupes terroristes ». Il a également accusé la Turquie de vouloir prétendre être le chef des « fidèles ». La Turquie mène plusieurs guerres par procuration dans la région, contre les groupes soutenus par les EAU (le Maréchal Haftar en Libye, El Sissi en Egypte). C’est particulièrement vrai en Libye, d’où les commentaires de Dahlan sur la Libye. Les rapports de 2018 sur le rôle de Dahlan dans la campagne des Émirats arabes unis au Yémen compliquent davantage la situation.

BuzzFeed a signalé que, aux Émirats arabes unis, Dahlan a su « se refaire en tant que conseiller principal pour le prince héritier Mohammed bin Zayed al-Nahyan. » L’article a affirmé qu’il a joué un rôle dans la politique des Emirats Arabes Unis au Yémen , où les Émirats arabes unis et l’ Arabie saoudite ont été  à la pointe de la lutte contre les rebelles Houthi soutenus par l’ Iran. La divulgation de documents émanant d’un service de renseignement iranien ce mois-ci a montré que la centrale des Frères musulmans avait rencontré le groupe iranien  IRGC en Turquie en 2014 et avait cherché à coordonner la politique contre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis au Yémen. «La délégation des Frères musulmans a déclaré que les deux parties pourraient unir leurs forces contre les Saoudiens. Le meilleur endroit pour le faire se situe au Yémen. »Selon le  rapport Buzzfeed, le rôle de Dahlan dans la politique des Émirats arabes unis sur le Yémen s’est joué à partir de 2015, soit à la même période.

Ces différents volets révèlent maintenant un conflit beaucoup plus vaste dans la région qui a opposé les alliés de la Turquie, du Hamas, du Qatar et de l’Iran à l’Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et à leurs alliés. Cela a touché le Yémen, la Libye et d’autres pays, ainsi que l’Autorité palestinienne.

Le fait que Dahlan soit apparu sous les projecteurs de la Turquie ne reflète que la mise en lumière de l’une des nombreuses personnalités du Golfe qui jouent un rôle régional. Azmi Bishara, un ancien membre de la Knesset qui a  quitté Israël en 2007  après avoir été accusé de travailler avec le Hezbollah, s’est rendu au Qatar. France 24 a noté l’année dernière qu’il « fait désormais partie des principaux acteurs diplomatiques de la crise qui sépare le Qatar de l’Arabie saoudite et des autres pays du Golfe ».

Ceux comme Dahlan et Bishara sont-ils utilisés par les États du Golfe pour gagner de l’influence ailleurs ou les Palestiniens sont-ils en mesure de gagner de l’influence dans le Golfe parce qu’ils sont à la fois étrangers et initiés, capables de faire le lien entre plusieurs cercles politiques? L’histoire n’est pas claire, mais il est évident que ce qui était autrefois une rivalité autour de la politique palestinienne est maintenant un conflit régional pour obtenir de l’influence à bien plus grande échelle.

Des pays comme la Turquie ont soutenu les Frères musulmans en Égypte en 2012 et ont été consternés par leur renversement au profit de l’actuel dirigeant Abdel Fatah Al-Sisi. Sisi et les EAU soutiennent Khalifa Haftar en Libye. La Turquie et le Qatar se trouvent donc de l’autre côté en Libye, soutenant le gouvernement de Tripoli. Cela a des implications globales. Les États-Unis ont perdu un drone au-dessus de la Libye la semaine dernière. Dahlan, qui a déjà été un acteur clé à Gaza et qui a été considéré favorablement par les États-Unis et d’autres pays, fait désormais partie de ce monde globalisé plus vaste.

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