Albert Bensoussan

La synagogue déconfinée

 

Le Talith, d’Élie Sarfati

Trois mois après que le Kahal, comme toutes les communautés humaines de par le vaste monde, fut confiné, et connut le sort tout à la fois de Job sur son tas de fumier et de Jonas dans les ténébreuses entrailles du « Gros Poisson », ce samedi 13 juin 2020 la synagogue de Rennes  a rouvert ses portes…

Portes et fenêtres ouvertes, suivant les injonctions hygiéniques, et toutes les mains passées au gel hydro-alcoolique. Et puis finis les câlins – embrassades et poignées de mains –  avec ses voisins tenus à distance, tout comme le rouleau sacré de la Torah promené en parfaite distanciation. Cependant le silence n’était plus de mise, car les voix avaient eu le temps de se chauffer entre les quatre murs de notre claustration et donnèrent lieu à un plaisant charivari.

Et voilà que nous étions retournés à la matrice chère à Job qui, tout misérable et calamiteux qu’il fût, avait su garder espoir et prévoir qu’il y reviendrait : « je retournerai là / ashouv shamah », s’était-il écrié, c’est-à-dire à la source de l’être et de la vie. Car s’il est vrai que cet homme accablé de tous les malheurs,  bien que n’ayant commis aucune faute, aucun péché — pas plus que les malades d’aujourd’hui affectés du satané virus —, avait dévoyé, dans son imprécation, la flamme de la Création en fermant les yeux à la lumière et souhaitant qu’adviennent les ténèbres— yehi ‘hoshekh, gémissait-il en renversant la proposition initiale de Berechit yehi or / que la lumière soit ! —, voilà que ce Chabbat de toutes les ouvertures, la lumière est descendue sur nous. Oui, la lumière fut sur nous, et le ciel de Bretagne avait mis fin à l’impertinent gueshem.

Était-ce hasard du calendrier ? Mais non, nous  les Juifs ne  cédons rien au hasard et tout à la Providence עזרה־מן־השמיים.  Et donc le Ciel a voulu que la paracha de ce Chabbat fût précisément Beha’alotekha, où la Divinité commande à Moïse de « faire monter » les sept lumières du candélabre, d’éclairer donc de tous ses feux cette Menorah devenue, depuis, le blason d’Israël, encadrée des deux branches d’olivier qui, miraculeusement pressées d’une main invisible, alimentent d’huile les gobelets où trempent les mèches.

 Nous sommes là au Temple où la lumière doit rayonner. D’ailleurs, la haftarah qui correspond, et qui reprend la prédication de Zacharie, est lue également pour Hanoucca,  fête des lumières, où les lampes brillent d’une huile miraculeusement provisionnée. C’est ce prophète babylonien au temps de Darius — 520 ans avant l’ère commune — qui, dans sa vision, imposa aux yeux d’Israël le chandelier à sept branches et les deux rameaux d’olivier le nourrissant d’huile inépuisable :

Je vois un candélabre en or, avec une coupelle sur sa tête. Il y a sept lampes sur lui et sept gobelets armés de déversoirs pour les sept lampes qui sont à son sommet. Il y a aussi deux oliviers sur lui, l’un à droite de la coupelle et l’autre à gauche.

Dans notre province, bretonne la communauté est de retour, avec un large minyane — qui d’ordinaire n’est pas toujours acquis —, et comme la distanciation impose une relative dispersion, la synagogue semble presque pleine. Est-ce parce que tous les visages sont dûment masqués, voilà que la bouche recouverte de tissu, dans la crainte sans doute d’étouffer les sons, s’ouvre plus largement sur le chant, et chacun clame plus fort, plus haut que de coutume, et dans une harmonie digne d’un chœur joliment chapitré. Jamais la voix du rabbin n’a mieux retenti dans « le désert de Paran », en invitant tout un chacun à « faire monter la lumière bea’alotekha et-hanerot » sur la Menorah. Et s’il est vrai que, au début, les psaumes volent sur la voix de l’un ou de l’autre, au bout d’un moment c’est à l’unisson que l’ensemble des Hallelouyah est psalmodié, en une ferveur collective. Toutes les voix, fortement poussées, deviennent des tsiltsele, les fameuses cymbales du psaume 150 et ultime :

Hallelouhou qu’Il soit loué sur les cymbales sonores, Hallelouhou sur les cymbales retentissantes.

 Et toutes ces voix s’élevaient avec autant de flamme que les  mèches de feu du Candélabre. Ce chandelier à sept branches que les Hébreux sauveront ensuite de la destruction du 2nd Temple et dont la sculpture sur l’arc de triomphe de Titus, à Rome, perpétue le souvenir, au nez et à la barbe des oppresseurs. Renforçant l’idée de notre survie, et témoignant à tout jamais que nous fûmes et sommes de Jérusalem.

 

Zacharie, dans sa prophétie prometteuse — sa rêverie, car tous nos prophètes parlent dans le sommeil de la raison en laissant la Divinité poser la Parole sur leurs lèvres : Ma ata rohe ? Que vois-tu ? interpelle la Divinité, et la bouche du « Voyant » fait entendre Sa voix —, nous dit bien que la Menorah, en ses flammes dressées autant que les langues de feu qui écrivirent les Dix Paroles, est promesse de Temple. Le prophète fut, certes, entendu par Cyrus le Grand (dont le regretté Gérard Israël a dressé, naguère, l’éloquent portrait et le panégyrique dans son ouvrage biographique Cyrus le Grand, fondateur de l’empire perse, éditions Fayard, 1987) :

Ainsi autorisa-t-il les déportés de Babylone, notamment les Hébreux, à rentrer dans leur pays, à y construire leurs temples. Ainsi fut rebâtie Jérusalem.

Glosant ainsi la parole prophétique : « l’Éternel consolera Sion et fera choix de Jérusalem ! ». Oui, les Hébreux rentrèrent de leur exil voici 26 siècles pour rebâtir le Temple. Et voilà, pour finir, l’éclat joyeux de Zacharie à sa propre vision :

Et il fit sortir la pierre angulaire sous les acclamations : quelle grâce, quelle grâce !  (trad. Claude Brami)

Ve‘otsi et haebene haroshah teshouot ‘hen ‘hen lah !

Merci, merci ! (trad. Édouard Dhorme).

Le déconfinement a permis au Kahal de se retrouver, à la communauté de se reconstituer : dix Juifs se réunissent sous le talith et le Temple est reconstruit. Hallelouyah !

Albert Bensoussan

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

1 Commentaire
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
CLAUDE KAYAT

Ferveur, science et talent réunis! Rare régal!