Laurent Dubreuil, La dictature des identités (Le Débat, Gallimard).

 

Voici un sujet qui n’intéresse encore que très modérément la culture européenne, spécialement française, tant il est centré autour de la vie en Amérique où tout est étudié, rangé dans des catégories, enfermé, oserais je dire, dans des identités qui vous collent à la peau.

Et qui, ne l’oublions pas, génère d’innombrables minorités avec leurs lois protectrices, leurs luttes contre des discriminations, réelles ou le plus souvent imaginaires….

Et ceci vaut principalement des universités du Nouveau Monde qui sont de véritables moules formatifs. On peut parler aussi des immenses réseaux sociaux comme formateurs d’opinion et fondateurs d’identité.

Pr exemple, une femme internaute peut se présenter de la manière suivante : femme blanche, latino, homosexuelle, etc… En soi, ce n’est pas extraordinaire, mais sous nos latitudes c’est encore assez inhabituel.

Si l’en juge d’après le style français, l’auteur a conçu cet ouvrage dans des catégories lexicales américaines.

Au début, c’est un peu déroutant mais au fil de la lecture on s’y fait..
C’est d’ailleurs le monde anglo-saxon qui se taille la part du lion dans cette enquête.

Quiconque regarde les séries américaines à la télévision a déjà remarqué que les brigades de la police criminelle de tous les états de l’Union parlent, en l’occurrence d’un suspect, de race blanche, pesant un certain poids et étant de telle ou telle taille…

En Europe, et singulièrement en France, nul n’oserait évoquer la couleur de la peau d’un individu, fût-il un grand criminel ou un simple délinquant ; pourtant aux USA ce détail constitue l’ingrédient majeur d’une identité dans laquelle les citoyens se laissent enfermer.

Et de manière le plus souvent simpliste. Les choses en seraient restées là, si chaque Américain moyen ne passait pas, au bas mot, près de la moitié de la journée devant des écrans (ordinateur, Smartphone, tablette, etc…).

Grâce à cette assiduité qui ira hélas en s’aggravant, les grands groupes ou les agents d’influence de toutes sortes (politiques, économiques, culturels) formatent les individus tout en leur dictant un peu ce qu’ils sont. Ils leur forgent une identité qui se diffuse auprès de millions d’êtres sans qu’on y puisse rien changer.

Qu’on en juge :
… l’exposition intensive à de tels principes d’organisation reconfigure les cerveaux. Quelques crans au-delà, et le reformatage des esprits rendra improbable, voire intolérable, l’œuvre d’intellection, car nous nous serons si bien robotisés que plus rien ne dépassera.

L’identité politique… arrive alors à point nommé pour donner une suite existentielle et collective à cette immense entreprise de dressage et de séduction des esprits. Vidés de nos possibles, nous ne serons plus que des conduits usinés de messages tautologiques (p 30)

Avec ces phrases fortes, l’auteur a tout dit et a bien dévoilé son projet : si cela continue, si on ne trouve pas la parade, nous serons plus proches des machines que des humains dont la pensée aura été stérilisée par une hypercentralisation des moyens de communication, permettant de joindre n’importe lequel d’entre nous dans les régions les plus reculées du globe.

Nous sommes donc soumis à un régime despotique qui est en passe d’annihiler toute intellection, toute réflexion critique, permettant de s’écarter librement du schéma prescrit à des foules entières. Une telle situation survient pour la première fois dans l’histoire de l’humanité.

Comme son nom l’indique, l’auteur est un Français qui enseigne aux Etats Unis (Cornell university). Cette identity politics, comme on l’appelle là-bas, finit par l’excéder tant elle aboutit à des excentricités, voire des monstruosités.

J’avoue avoir eu du mal à suivre certains de ses développements lorsqu’il conteste de manière assez incisive les allégations de certaines femmes blanches désireuses de se faire passer pour des femmes noires, afro-américaines, avant d’être démasquées et dénoncées sur tous les réseaux sociaux.

On aboutit alors à des situations assez cocasses : pourquoi, objectent elles, une femme blanche n’aurait elle pas le droit d’épouser la cause des Noires, au motif que sa couleur de peau ne correspond pas à celle de femmes africaines.

Il s’agirait alors de transracialisme (sic) comme on parlerait de transgenrisme, encore un néologisme à la mode de l’autre côté de l’Atlantique… L’auteur écrit cette phrase, tranchante comme un couperet : Sa tactique d’annexion d’identités souffrantes ne sert à rien (p 52).

Voici quelques lignes qui nous aident à mieux comprendre ce qui n’a pas encore, Dieu soit loué- essaimé chez nous : Choisirait-on de nommer identité le donné génétique ou sociohistorique – ce qui me paraît une appellation tendancieuse, arbitraire, «ce patrimoine» ou cette circonstance ne ferait que délimiter ordinairement le probable. Cette identité ne contiendrait en rien le possible…

Dans la disposition qui nous est imposée, nous pouvons donner vie à autre chose que le prévu. Déclarer le déjà là identité, à la fois base de repli et noyau du même revient déjà à rogner le possible (p 63).

En termes plus clairs, il ne faut pas être prisonnier de son identité, surtout quand elle est imposée de l’intérieur ou quand on commet soi-même sur la nature de notre être profond une lourde erreur. C’est la réponse que les milieux homosexuels ont adopté pour dire qu’ils ne pouvaient rien contre leur état : ils firent de leur destinée un destin (Je suis né ainsi, c’est ainsi que je comporte, etc…)

Cette fameuse politique de l’identité peut aussi provoquer des blessures graves, et la victimisation en est une. Paradoxalement, comme le note Aimé Césaire, le colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader… (p 67).

Il arrive aussi que l’on fabrique des identités qui ne correspondent nullement à la réalité ; c’est par exemple le cas de Sartre qui avant sa rencontre avec Benny Lévy (mais peut-on lui faire vraiment confiance ?) soutenait que c’est le regard de l’autre (de l’antisémite) qui fait le Juif. Ce qui revenait à nier tout contenu propre et positif au Juif lui-même en tant que tel. L’altérité du Juif n’aurait aucun contenu aucun relief.

De même vous ne pouvez pas limiter l’identité d’un Noir à sa négritude due à sa pigmentation, ni celle d’un Juif au regard que l’antisémite, insensible à toute altérité, pose sur lui pour en faire dériver ce qu’il pense être l’essence du juif ou son judaïsme. Vous ne pouvez pas plus, appliquer le même raisonnement à un comportement intime.

Ce problème de l’identité contient une autre question, bien plus délicate, celle de l‘appartenance, notamment nationale ou religieuse. Ce livre que j’ai eu parfois du mal à suivre m’a appris certaines choses… A chacun de voir si cela en vaut la peine.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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