Pourquoi une fièvre de haine, de vengeance et de délation a-t-elle saisi la France de l’Occupation?

L’étude pionnière d’un groupe d’historiens scrute ce phénomène qui a gangrené un pays brisé. « SCHWARTZ, 34, rue de Tourtelle. Ne porte pas l’étoile. Revient chaque soir entre 23 et 24 heures. »

Un nom, une adresse, deux ou trois détails, voilà à quoi ressemblaient les listes que la Gestapo remettait chaque semaine aux policiers français du service spécial des Affaires juives.

Vesoul, 1943: une lettre anonyme recommande au préfet l’internement d’une « femme de mauvaise vie », accusée de pratiquer des avortements clandestins.

A Angers, une coiffeuse dénonce son employé pour avoir « fait payer à un soldat allemand un tarif supérieur au tarif officiel ».

Un médecin parisien signale à la Gestapo la fiancée de son fils, une étudiante juive dont il ne veut à aucun prix pour belle-fille.

La mère d’un mari trompé dénonce le comportement de sa bru à la Feldgendarmerie.

Un réfractaire au STO est arrêté sur les indications de ses voisins de palier.

Venu prendre le thé chez sa mère, l’écrivain pro-hitlérien Lucien Rebatet tombe sur un professeur gaulliste, quitte le salon en l’injuriant et signale cet enseignant déviant au ministre de l’Education nationale.

Les délateurs sont d’abord des hommes

Dès 1940, dans le sillage des panzers, une fièvre délatrice s’empare de la société française, gangrenée par la passion politique et l’esprit de vengeance. Un phénomène massif, un cortège de haines saumâtres et de petites lâchetés exploré pour la première fois dans un ouvrage collectif dirigé par l’historien Laurent Joly,« La Délation dans la France des années noires» .

Contrairement à une image tenace, le délateur n’a rien du solitaire accomplissant en catimini sa basse besogne.

Les dénonciations sont souvent collectives et concertées: couple ligué contre un voisin, commerçants ayant juré la perte d’un concurrent, réseaux de collaborateurs spécialisés dans la traque des communistes…

Démontant une autre idée reçue, les auteurs montrent aussi que la délation n’est pas qu’une affaire de femmes, au prétexte qu’elle serait l’arme des faibles.

Les hommes arrivent en tête du palmarès.

Laurent Joly esquisse une sociologie de la France délatrice, une France de pères de famille, de repris de justice, de concierges, de veuves, de femmes de prisonniers envoyés en Allemagne…

Tous se disent animés des meilleures intentions et se posent en victimes, habillent d’arguments politiques leurs vengeances de voisinage, leurs jalousies amoureuses ou leurs frustrations financières.

Exemple: deux jeunes filles « données » pour avoir avorté en dénoncent une troisième au procureur.

Autre découverte: les lettres anonymes ne visent pas en priorité les juifs, comme le voudrait un cliché, mais les « profiteurs » du marché noir.

La propagande de Vichy cible d’ailleurs les « affameurs du peuple » et incite fermement la population à moucharder.

Double jeu de la part d’un régime qui promeut la délation au nom de la morale, du civisme, du respect de la loi, tout en déplorant publiquement le flot de missives non signées reçues par les services de l’Etat…

Hypocrisie, aussi, de ces policiers qui minorent auprès de leurs chefs l’importance des indications fournies par les lettres de délation, pour mieux vanter leur travail de terrain, les longues filatures, justifier le temps passé à l’extérieur du bureau et les défraiements correspondants…

Principaux bénéficiaires du système, les occupants affectent un mépris hautain à l’égard de cette pratique si « française ».

Avant de fuir la capitale en août 1944, un officier SS persifle devant un inspecteur du service spécial des Affaires juives:

« Dites à vos compatriotes de ne pas être trop fiers, car si nous avons bien travaillé, c’est grâce à leurs dénonciations. »

Grégoire Kauffmann/ L’ Express.fr Article original

Tags : Occupation France Affaires Juives Rebatet Vichy SS

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mardoche

vous prendrez bien un petit vichy
de cette passion française

Ratfucker

Les structures mentales sont restées en place, et ont simplement remplacé les panzers germaniques par les pétrodollars. Est-ce vraiment un hasard si l’adresse de la chambre de Commerce Franco Arabe, 93 rue Lauriston, est celle de l’ancien centre d' »interrogatoires » de la Gestapo? On sait nos cousins friands de symboles. La simple lecture de l’article de Hala Kodmani dans Libération du 9/2/2012  » Dans les rangs de l’Etat ou dans ceux de groupuscules d’extrême droite, les soutiens au régime d’Al-Assad s’activent en sous-main. » convaincra les sceptiques. Ainsi que la consultation de la page web
http://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=OUTE_009_0417
« Les citadelles du lobby proarabe en France »
Par Ali Ouertatani, doctorant, Laboratoire OGRE, université de Paris-Sorbonne.