Jean-Christophe Gallien. (Crédits : Reuters)

Israël, UAE, Bahreïn ou la réalité géopolitique du Tour de France

 Par Jean-Christophe Gallien  
OPINION. C’est le Kazakhstan qui, avec sa formation Astana, avait lancé le mouvement, en 2007. Cette année, c’est l’évolution géopolitique du Proche-Orient qui s’impose de manière totalement inédite sur un événement sportif et médiatique global, notre Tour de France, qui se mue désormais en support du soft power. Par Jean-Christophe Gallien, professeur associé à l’Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne, président de j c g a.

Partenariats puis achats et organisations d’événements internationaux ou mondiaux, sponsoring maillot des clubs, achat de clubs, créations de médias sportifs, achats de droits des compétitions internationales, créations d’équipes nationales, naturalisation d’athlètes… de très nombreux pays investissent directement le terrain du sport professionnel et se battent pour profiter de l’exposition médiatique souvent sanctuaire et efficace en particulier sur les jeunes générations des audiences globalisées. Conséquence directe, parfois les affrontements sportifs prolongent et exposent médiatiquement des combats diplomatiques voire guerriers. Rappelons-nous des « Golficos » comme nous les avions appelés dans ces colonnes lors des affrontements de Champions League entre le PSG qatari et le Manchester City émirati.

Tour de France : un télescopage sportif, médiatique et géopolitique

Cette année, c’est l’évolution géopolitique du Proche-Orient qui s’impose de manière totalement inédite sur un événement sportif et médiatique global, notre Tour de France. Un Tour 2020, déplacé, pour cause de crise sanitaire, de l’été au mois de septembre, et qui s’associe malgré lui à un événement diplomatique majeur, pourtant bien loin des routes de France.

Un télescopage sportif, médiatique et géopolitique qui renforce le leadership global du Tour de France

Parfois impacté dans son histoire par les mouvements de revendications sociales nationales, le Tour n’a jamais résonné avec l’actualité géopolitique globale. Son audience est depuis longtemps internationale, mais c’est l’arrivée progressive d’équipes nationales, dont l’objectif est de profiter de sa formidable exposition, qui modifie durablement son expérience.

Tour de force diplomatique: les « Accords d’Abraham »

Le Tour de France est ainsi devenu un incroyable terrain sportif et médiatique d’anticipation ou de prolongement, pour certains de collaboration, de la signature événement, cette semaine à Washington, par le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et par les chefs des diplomaties de Bahreïn et des Émirats Arabes Unis sous le patronage des USA des « Accords d’Abraham » comme les a baptisés Donald Trump. Ils organisent la reconnaissance d’Israël par les deux pays du Golfe qui ne sont, après la Jordanie et l’Égypte, que les troisième et quatrième nations arabes à le faire.

Le cyclisme professionnel comme instrument de soft power

Désireux de rattraper un retard réel sur le terrain de l’ambitieuse diplomatie sportive du voisin qatari, plusieurs pays du Golfe ont décidé de miser sur le cyclisme pour tenter de l’utiliser comme un support de soft power. Rappelons que c’est le Kazakhstan avec sa formation Astana, du nom de sa capitale qui avait lancé le mouvement dès 2007.

Les Émirats Arabes Unis, via la compagnie aérienne étatique Emirates, ont racheté l’équipe Lampre pour créer l’UAE Team Emirates en 2017. Une équipe qui se bat déjà aujourd’hui pour la victoire finale avec son leader, le Slovène Tadej Pogacar. Le Bahreïn, l’autre signataire des accords de mardi, a crée sa propre équipe en 201§. L’équipe devenue Bahrain Mc Laren est directement financée par l’État du Bahreïn pour promouvoir le pays dans le monde.

Le drapeau israélien flotte aussi sur le Tour de France

Acteur central de l’événement géopolitique de Washington, Israël avait timidement débuté dans le cyclisme avec l’équipe Israël Cycling Academy en 2014. C’est cette année qu’elle devient Israël Start-Up Nation, obtient sa licence UCI World Tour et participe à son premier Tour de France.

L’ambition de Sylvan Adams, son fondateur milliardaire d’origine québécoise, est d’en faire une véritable équipe ambassadrice de l’État hébreu. L’objectif et ses cibles sont claires :

« Nous portons nos couleurs nationales bleu et blanc avec le nom Israël fièrement inscrit en grandes lettres sur notre maillot, nous devons promouvoir notre pays pour montrer le vrai visage d’Israël qui est tellement mal compris à cause d’une couverture médiatique à sens unique. »

L’efficacité marketing addictive et encore accessible du Tour de France

Le Tour de France est l’un des rares rendez-vous événements du sport mondial qui propose autant d’apports marketing. Le Tour, c’est d’abord 3 semaines d’exposition sur une audience télévisuelle globalisée -soit 3,5 milliards de téléspectateurs dans 190 pays-, cette année encore en progrès.

Le Tour, c’est aussi la présence d’un public sur les routes de l’événement, même cette année en pleine crise du covid, lui aussi très mondialisé avec plus de 2 millions de visiteurs étrangers.

Enfin, le Tour de France ce sont des athlètes et des équipes aussi très représentatifs de la globalisation du sport professionnel. Le cocktail propose une efficacité très addictive pour les marques qui s’engagent. Car les coûts du cyclisme professionnel sont encore assez bas malgré une augmentation réelle des prix d’accès due à de nouveaux entrants plus fortunés comme les États pétroliers que nous citions plus haut ou des multinationales de l’énergie comme Total avec Direct Energie ou Ineos.

Budget moyen d’une équipe cycliste du World Tour: 18 millions d’euros

Le budget moyen d’une équipe cycliste professionnelle du World Tour de l’UCI est de 18 millions d’euros. Si vous voulez racheter un club de Football du Top 30 européen… il vous faudra débourser un minimum de 100 millions d’euros, sans parler de son fonctionnement annuel qui va faire exploser votre budget.

Le cyclisme permet aussi d’exposer directement le nom de votre « marque » sur le maillot et d’être ainsi cité dans une répétition inégalée par les médias qui retransmettent ou commentent la compétition.

Tout cela dans une explosion de la pratique cycliste de mobilité quotidienne ou de loisir à travers la planète et non négligeable, une image générale du vélo professionnel qui a réussi à glisser progressivement vers celle très eco-friendly de la pratique quotidienne et amateur.

Grand spectacle sportif global

L’événement de Washington et la présence conjointe des 3 pays signataires de l’accord sur les routes de France inscrivent définitivement le cyclisme et le Tour de France dans la géopolitique et les stratégies nationales de soft power de la globalisation multipolaire. Celles que conduisent des pays qui veulent s’imposer dans l’agenda du monde, le nôtre, et sur le marché des opinions publiques. Car c’est bien de marché et d’entertainment dont il s’agit.

Les pays s’associent à un grand spectacle sportif global que voraces et décomplexés, nous dévorons, sans retenue, aveugles et sourds aux critiques qui tentent de troubler la fête française et globale du vélo pour cause de télescopage avec la crise au Proche-Orient.

Certes, nous savons qu’on ne peut changer la perception profonde, encore moins les représentations intimes d’un pays à coup de baguettes sportives même aussi magiques que celles du Tour. Mais, dans la globalisation plus encore qu’avant, il faut nourrir la conversation avec les autres, en permanence. Les positions ne sont pas durables, encore moins établies. Il n’y a plus de réelle préférence fidèle. Ici aussi l’obsolescence est de règle. Il y a donc des places à prendre, à gagner.

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Par Jean-Christophe Gallien
Politologue et communicant
Directeur associé de ZENON 7, président de j c g a
Enseignant à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Membre de la Society of European Affairs Professionals (SEAP)

https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/israel-uae-bahrein-ou-la-realite-geopolitique-du-tour-de-france-857489.html

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