Devenu un acteur incontournable sur les scènes irakienne, syrienne, libanaise et yéménite, sans parler de son influence à Bahreïn et de son rapport avec le Hamas, Téhéran apparaît aujourd’hui comme le grand gagnant de la reconfiguration des rapports de force dans la région.

En marge des négociations sur le nucléaire avec les 5+1, l’Iran semble profiter des bouleversements régionaux pour étendre sa sphère d’influence dans le monde arabe. Devenu un acteur incontournable sur les scènes irakienne, syrienne, libanaise et yéménite, sans parler de son influence à Bahreïn et de ses rapports avec le Hamas, l’Iran apparaît aujourd’hui comme le grand gagnant de la reconfiguration des rapports de force dans la région.

Si Téhéran ne dispose ni des moyens militaires de la coalition internationale ni de la manne financière de l’Arabie saoudite, il peut toutefois s’appuyer sur une stratégie cohérente pour faire avancer ses pions dans les différentes zones de tension dans la région. Une stratégie qui consiste à s’investir directement sur le terrain, au contraire de ses rivaux, et nouer des alliances solides, sur une base confessionnelle, avec des acteurs locaux. Pour déployer cette stratégie, Téhéran applique simultanément une politique de hard power, en envoyant des pasdaran sur le sol et en armant ses alliés, et une politique de soft power, en diffusant son système du wilayat el-fakih aux différentes minorités chiites de la région.

Alors que Bernard Hourcade, spécialiste de l’Iran et directeur de recherche émérite au CNRS, décrivait en 2009 l’Iran comme un « pays faible, un lion blessé qui semble n’avoir plus rien à perdre », la tendance est aujourd’hui totalement inversée à tel point que l’avancée iranienne provoque un véritable sentiment d’encerclement dans l’esprit de plusieurs dirigeants arabes. L’Iran est-il alors, comme peuvent le laisser penser les déclarations présumées d’Ali Younsi, un conseiller politique du président Hassan Rohani, en train d’édifier un nouvel empire au Moyen-Orient ?

Loin de l’image d’un empire aux ambitions vindicatives et aux moyens tentaculaires, la réalité apparaît nettement plus mesurée. Force est de constater qu’il est difficile de comparer les situations à Bagdad, Damas, Sanaa et Beyrouth. Si les logiques internes se superposent parfois à la stratégie régionale iranienne, il n’empêche qu’elles ne peuvent complètement se confondre. Aussi, la stratégie iranienne s’inscrit bien davantage dans une logique d’accroissement de son aire d’influence que dans une volonté de soumettre tout le Moyen-Orient au diktat d’un empire chiite.
Aperçu sur les différents théâtres de l’influence iranienne au Moyen-Orient :

Bagdad, le joyau de l’empire

Des quatre capitales arabes où Téhéran dispose d’une influence certaine, Bagdad est sans contestation possible la plus importante à ses yeux. Si la guerre qui a longtemps opposé les deux pays a laissé des traces, Téhéran est venue remplacer le vide occasionné par la chute de Saddam Hussein pour se positionner comme le principal allié de Bagdad. Mais l’offensive des jihadistes de l’État islamique en Irak a profondément déstabilisé cette alliance. Non seulement parce que l’EI a séduit les populations sunnites en diffusant un discours antichiite, menaçant ainsi la mainmise des chiites sur l’Irak, mais aussi et surtout, parce que l’EI constitue une menace directe pour la sécurité iranienne. Aussi, le fait que les spécialistes d’al-Qods, dirigé par le fameux général Soleimani, se soient investis sur le terrain aux côtés des milices chiites et de l’armée irakienne n’a rien de surprenant. Pour des raisons économiques, stratégiques et idéologiques, l’Iran ne peut pas laisser Bagdad combattre seul contre les jihadistes. Toutefois, l’alliance entre les deux pays doit être nuancée pour au moins trois raisons. Un : le chiisme irakien a toujours concurrencé le chiisme iranien. Malgré des intérêts convergents, l’ayatollah Sistani, plus haute autorité religieuse du chiisme irakien, n’est pas aligné sur la position de Khamenei. Deux : Téhéran a des liens privilégiés avec Erbil et doit faire preuve de beaucoup d’habileté pour ne pas vexer Bagdad sur cette question. Trois : l’Irak reste un pays arabe et un concurrent à l’exportation pétrolière de Téhéran.

Damas, une nécessité stratégique

À défaut d’une unité idéologique, Téhéran et Damas sont étroitement liés par une nécessité stratégique. Sans l’intervention des pasdaran iraniens et du Hezbollah, le régime syrien n’aurait certainement pas résisté aux offensives des insurgés. Inversement, la survie du régime est un élément essentiel de la stratégie de l’Iran, car c’est à partir de ce territoire que l’Iran peut renforcer son bras armé dans la région : le Hezbollah. Amputé de Damas, « l’axe de la résistance » aurait beaucoup de mal à survivre, et c’est pourquoi d’importants moyens ont été déployés, notamment dans le Sud syrien, pour aider le régime à reprendre du terrain.
Au départ justifiée par une volonté de protéger les lieux saints, puis par une logique de confrontation avec Israël dans le Golan, l’intervention des pasdaran et du Hezbollah en Syrie a modifié les rapports de force au sein même de l’axe de la résistance. Sur le terrain, plusieurs observateurs estiment que les commandants iraniens donnent désormais les ordres à tel point que certains évoquent carrément une inféodation de Damas à Téhéran.

Yémen, le dernier venu

Interprété comme une démonstration de force, l’atterrissage d’un avion de la Mahan Air à Sanaa le 1er mars a provoqué un fort effet symbolique. Plus que la concrétisation de l’accord de coopération aéronautique signé la veille entre les deux pays, cet événement est venu apporter une nouvelle preuve de l’influence iranienne dans le jeu politique yéménite. Si cette influence était déjà connue de tous, force est de constater que l’Iran ne cherche même plus à se cacher. Le lien entre Téhéran et la puissante milice chiite des houthis est aujourd’hui évident.

Il est également fort probable que l’Iran ait aidé, par des moyens financiers et des conseils, la milice chiite à s’emparer de la capitale yéménite et paralyser toutes les institutions. Pour autant, il est nécessaire de rester prudent sur le lien qui unit les chiites duodécimains aux chiites zaydites.

Si la doctrine des houthis s’est progressivement « iranisée » ces dernières années, il n’empêche qu’elle s’inscrit toujours davantage dans une logique de contestation du pouvoir interne que dans une stratégie régionale basée uniquement sur le facteur communautaire. Du point de vue de Téhéran, le Yémen ne semble pas être un enjeu vital. Les Iraniens ont certainement conscience que les houthis n’auront pas les moyens nécessaires, à moins de provoquer une guerre civile, pour contrôler tout le pays.

De leur côté, les Saoudiens semblent complètement dépassés par la situation. Voir une milice apparentée à l’Iran contrôler la capitale doit effrayer le royaume wahhabite. Mais dans le même temps, Riyad a conscience que les houthis sont les seuls à pouvoir combattre les jihadistes d’el-Qaëda dans la péninsule Arabique, menace directe à la sécurité du royaume. De quoi rendre encore plus complexes les stratégies des différents acteurs.

Trop de questions en suspens

Il reste trois questions en guise de conclusion : l’Iran dispose-t-il des moyens suffisants pour préserver son espace d’influence à moyen terme ? L’éventualité d’un accord sur le nucléaire obligerait-elle Téhéran à faire des concessions sur d’autres enjeux ? Enfin, le clivage entre la ligne des réformateurs et celle des conservateurs, dans la perspective de la succession de Khamenei, remettra-t-il en question la doctrine du régime ?

Anthony SAMRANI – OLJ

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