HouKaT: la mission des deux Messies (vidéo)

Voici quelques réflexions sur un verset du début de la paracha Houkat (Nombre 19, 2) : « ils prendront vers toi une vache rousse intacte, dans laquelle il n’y aura pas de défaut, sur laquelle n’est pas monté un joug ». En hébreu : véyik’hou éléykha para adouma témima acher ein ba moum acher lo ‘ala ‘aleyha ‘ol ».
“La Vache du Monde”, tableau de Franz Marc
La vache rousse correspond à l’étincelle de sainteté que nous avons en nous. Acher ein ba moum : elle n’a pas de défaut, car elle n’a pas été affectée par les fautes. En effet, aucune transgression si grave soit-elle, ne peut détruire et abîmer ce point sacré qui se trouve au plus profond de l’âme d’un juif.
Mais le tourbillon incessant de la vie nous fait parfois oublier le potentiel merveilleux qui sommeille en nous.

Ce vent de tempête qui amène l’homme loin de son idéal se nomme Edom, l’autre nom de Essav, le frère de Ya’akov.

Un plat de lentilles pour enjeu du droit d’aînesse ?
Essav a hérité de la bénédiction : « Tu vivras par ton épée ». Cela signifie que Essav vient et suggère à Ya’akov : « La vie est une lutte. Tout ce que tu posséderas, c’est avec ton épée, autrement dit la force de ton bras, que tu l’acquerras. Écrase et détruit encore et encore, pourvu que tu triomphes, et c’est ainsi que tu vivras et que tu consolideras ton pouvoir ».
Cet instinct de domination, qu’on pourrait qualifier de « roux », il faut le sublimer. Cela signifie que cette envie de vaincre et de triompher doit être subordonnée et régulée par l’étude de la Torah.
C’est ainsi que dans le verset, le mot adouma est suivi du mot témima, intègre. Car voici que deux mondes radicalement différents se font face : celui du « roux » – adouma – et celui du « simple ou de l’intègre » – témima.
Alors qu’Essav fait des calculs et machine des plans pour savoir comment étendre sa domination à travers les guerres mues par son épée, Ya’akov est quant à lui, assis dans la tente de la Torah.

Pourtant, ces deux dimensions contradictoires se retrouvent précisément dans la double mission attribuée par la tradition aux deux Messies, le Messie fils de Yossef, et le Messie fils de David.

En effet, nos maîtres nous expliquent que dans l’avenir, le Messie fils de Yossef aura pour but de préparer « le trône de David », c’est-à-dire d’aplanir la route devant le Messie fils de David.
Pour cela, il devra se battre (physiquement ou spirituellement, ou les deux à la fois) contre Essav. Mais pour triompher de lui, il lui faut posséder l’équivalent de son arme dans la sainteté, c’est-à-dire être porteur de l’épée de justice. Nos maîtres nous informent que cette épée désigne la sainteté de l’alliance, c’est-à-dire la pureté au niveau des mœurs.
De même que Yossef son ancêtre sut se retenir devant les avances de la femme de son maître et mérita ainsi de porter le surnom de Tsadik, de même le Mashiah ben Yossef aura pour arme l’épée de sainteté, à même de frapper l’écorce d’Essav et de la soumettre.
Alors que le Mashiah ben yossef a un rôle extérieur, dans le sens où il combat les écorces qui cachent et dissimulent la beauté du fruit, le Mashiah ben David aura pour rôle de faire rayonner la Torah, en particulier celle qui était cachée jusqu’à présent. Car une fois que les nuages se sont retirés, le soleil peut briller de tout son éclat.

Cette double mission des deux Messies ne peut être appréhendée qu’avec l’union du peuple autour de la Torah.

Tel est le sens à donner aux mots : véyik’hou élékha : ils prendront vers toi. Le mot élékha, vers toi, est épelé : aleph – lamed – yod – caf sofit.
La lettre Aleph, de valeur numérique égale à 1 correspond à l’union autour de l’enseignement (sens du nom de la lettre aleph) de la Torah, dans les trois composantes du peuple réunies : Lamed – Yod – Caf sofit ont les mêmes initiales que : Lévi – Yisraël – Cohen.
De plus ces initiales forment aussi le mot « kéli », récipient, pour nous dire que c’est seulement quand le peuple tout entier est uni autour de nos valeurs éternelles qu’il est possible de recevoir la lumière du D.ieu unique. Enfin le mot élékha a la même valeur numérique que Israël (541).
Après le mot éléykha – vers toi – vient para, la vache.

Quand le peuple est uni, il adoucit les rigueurs qui pèsent sur lui. En effet, le mot para se décompose en par – hé.

Para vaut 280, soit la somme de 216 et de 64. 216 correspond à guévoura, la rigueur, alors que 64 est relié à Dine, le jugement. Ainsi, le mot Par correspond à l’expression « dine guévoura », un jugement rigoureux. Mais la lettre Hé qui finit le mot para vient tout adoucir, tout comme l’ajout de la lettre Hé vient diminuer la dureté de la justice stricte tsedek (sans le Hé) en tsedaka (avec un Hé) charité.
Après l’union du peuple (éléykha) qui aboutit à l’adoucissement de décrets sévères (para), le chemin est libre pour la venue du Messie fils de Yossef (adouma) et celui fils de David (témima).
La suite du verset se décompose en deux expressions : 1) acher ein ba moum – qui n’a pas de défaut 2) acher lo ‘ala aleyha ‘ol – sur laquelle n’est pas monté un joug.
La double répétition du mot acher nous rappelle que cela concerne les deux têtes (roch composé des mêmes lettres que acher) de notre peuple, à savoir les deux Messies.
La première expression fait référence au Messie fils de Yossef, en confrontation avec les obstacles, les luttes et les oppositions, pour paver la route menant au Messie fils de David.
Pèlerins devant l’ancienne synagogue de Meron (מֵירוֹן). Photo 1880
Du fait que la mission du descendant de Yossef est de se retrouver dans le monde extérieur, à l’instar de son aïeul qui fut vice-roi d’Egypte et qui malgré tout, resta un vrai Tsadik malgré l’environnement corrompu dans lequel il évoluait, de même peut-on dire du Messie fils de Yossef qu’il est « sans défaut », même si lui aussi, de par sa mission, est appelé à chercher des âmes parfois enfoncées très profondément dans les abimes de la perdition …
Dans la synagogue Ben Zakai à Jérusalem, un flacon d’huile
et un shofar attendent la venue du Messie
Par contre, au sujet du Messie fils de David, peut-on dire de lui qu’il « n’a pas eu à porter ce joug », son travail essentiel consistant à rayonner de l’intérieur et à guérir les âmes par la puissance de sa Torah.

Parution récente de « Critique Biblique & Tradition Juive »

La voix puissante et humaine d’André Neher s’est éteinte en 1988 – c’est dire l’heureuse surprise que représente la parution récente d’un ouvrage inédit du maître de Strasbourg !

Ce nouveau livre, « Critique Biblique & Tradition Juive » (lien en premier commentaire), est basé sur un enseignement oral donné au début des années 1960. Il explicite la vision néhérienne de la critique biblique et sa réponse aux défis que les études bibliques universitaires portent à la tradition juive.
Je viens de finir sa lecture et voici, à la volée, les quelques réflexions personnelles que l’ouvrage m’a inspirées.
1. André Neher a le rare don expliquer clairement et synthétiquement les choses complexes. Pour le coup, l’oralité de l’enseignement originel, ainsi que le travail d’édition réalisé par Enrico Lucca, donnent un petit coup de pouce. Mais l’impulsion vient sans aucun doute de Neher lui-même, et dans un sujet aussi touffu et méconnu, c’est un immense avantage.
2. Neher a parfaitement raison de souligner que le problème doit être abordé sous l’angle philosophique / religieux, et non pas dans une approche historique / linguistique. Ceci fait de lui l’un des précurseurs dans cette importante réalisation. Même ceux qui, comme votre serviteur, ne partagent pas les conclusions de Neher, doivent saluer la pénétration de son analyse.
3. Un problème: la pensée de Neher est située. Elle est née dans un contexte socioculturel précis, et on le perçoit de 2 manières. D’une part, la réflexion est datée dans le temps : Neher ne pouvait évidemment pas connaître les nombreuses contributions de ces dernières années, mais enfin c’est une limitation qui limite la pertinence contemporaine du livre. D’autre part, l’approche conceptuelle est celle d’une certaine philosophie juive allemande (Franz Rosenzweig / Martin Buber), qui était parfaitement familière de ce grand germanophone qu’était Neher, mais qui pourra décontenancer certains lecteurs contemporains.
4. Le plus étonnant dans ce petit livre est que Neher ne cite aucun spécialiste de critique biblique. Il ne donne presque pas la parole à ceux qu’il critique. Si les noms d’Astruc et de Wellhausen sont cités, c’est uniquement dans la partie historique de l’ouvrage, et de manière lapidaire. Je ne m’explique pas cette absence dans un ouvrage qui fourmille par ailleurs d’érudition.
Je recommande aussi chaleureusement la revue de l’ouvrage publiée par Gaelle Sebag dans Pardès 68. Gaelle est la plus grande spécialiste de la pensée néhérienne (moi je parcours parfois ce qui me tombe sous la main …).
Jforum avec  E.B et Samuel Darmon

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires