Hela OUARDI ; Les califes maudits II : A l’ombre des sabres…par Maurice Ruben Hayoun

Ce volume, tout aussi nourri aux sources islamiques les plus notables, est la suite du précédent.

Et je dois dire, après une lecture attentive, qu’il mérite bien ce sombre sous titre, A l’ombre des sabres, tant il ne parle, de la première à la dernière ligne que de combats, de violences armées et de guerres d’expansion, de conquêtes et d’apostasie (hurub al-ridda)  Il commence avec les premiers pas du premier calife Abu Bakr et s’achève avec la mention du messager porteur de la nouvelle de sa mort.

Ce volume offre donc une image fidèle de ce qu’était l’islam immédiatement après la disparition de son Prophète.

C’est seulement après avoir lu ce volume qu’on réalise l’état de désarroi, de confusion et d’indécision que la nouvelle religion a connu malgré l’élection du premier calife, beau-père et compagnon fidèle du Prophète qui en parle comme du dévoué compagnon qui l’accompagna dans une tanière (sahib al ghar)… au péril de sa vie.

La disparition du Prophète a été suivie par d’innombrables défections, trahisons et apostasies, de la part de nombreuses tribus arabes de la péninsule. Contre ces dernières, le nouveau calife a lancé ses armées musulmanes chargées de ramener les apostats sur le droit chemin ( tab’ al huda).

Puisant aux sources arabes qu’elle semble bien connaître, et qui sont si nombreuses qu’on en attrape le tournis, l’auteure relate de manière vivante ce qui se passe sous la tente califale, notamment les fréquentes contestations des décisions du nouveau calife, censé être l’émir suprême…

Mais son adjoint, pour ainsi dire, ou son alter ego, puisqu’il lui succédera à sa mort, Umar, ne se range pas toujours à l’avis du vicaire du Prophète. Il conteste les nominations à la tête de l’armée, s’en prend vivement au décideur et lui reproche fermement son manque d’expérience.

Mais je ne souhaite pas me perdre dans tous ces sièges de cités rebelles, ces razzias qui n’avaient rien à voir avec la religion ou la défense du monothéisme islamique, mais avec surtout l’appât du gain et le rêve de ramener des cités vaincues des femmes et des enfants qu’on pourrait vendre au marché des esclaves.

Mais il faut tout de même mentionner le nom d’un personnage, un grand général auréolé de gloire, en raison de ses multiples victoires sur le champ de bataille, Khalid ibn Al-Walid, un soldat réputé pour sa mentalité sanguinaire et son amour des belles femmes.

Par exemple, il n’hésite pas décapiter un autre musulman sous les yeux de son épouse qu’il «épouse» presque séance tenante, provoquant ainsi l’ire de Umar qui demande au calife de le destituer… Mais celui-ci ne s’y risquera pas, conscient que le général était devenu surpuissant et dangereux.

Un exemple de l’atmosphère de soupçon et de méfiance qui régnait alors dans le camp des musulmans : alors qu’il est chargé d’une mission précise par le calife, à la tête d’une grande armée, Khalid fausse discrètement compagnie à ses troupes, pour se rendre secrètement  en pèlerinage à la Mecque…

Le général s’en revient dans son campement tout aussi discrètement. Mais le calife qui présidait  au même moment le pèlerinage finit par avoir vent du passage de son général et se perd en conjonctures sur les motivations profondes de ce dernier…

Connaissant les mœurs dissolues et la violence congénitale de son officier, le calife soupçon des arrières –pensées politiques de ce Khalid qu’il ne faut  pas confondre avec un autre Khalid ibn Sa’id…

Je préfère à présent  me concentrer sur deux ou trois grands points d’une importance doctrinale majeure, notamment, pour commencer, les développements portant sur la version définitive du Coran.

C’est là un point un peu obscur puisque d’autre islamologues parlent de fragments de cette littérature plongés dans des bassines d’huile bouillante afin de n’en rien laisser subsister.

Voici ce que commente l’auteure en pages 94-95 :  De nombreux rédacteurs de la Tradition sont formels :  le Coran aurait donc été réuni, non pas comme on le répète à l’envi,  à l’initiative de Uthman, le troisième calife, mais dès le règne du premier calife.  Or, cette compilation ne nous est pas parvenue. On nous dit juste qu’elle a échu, après la mort d’Abu Bakr, à Hafsa, la fille de Umar et épouse du Prophète et on en perd ensuite à jamais la trace.

L’auteure s’interroge de manière pertinente :  Qu’en est il advenu de ce premier Coran ? Pourquoi n’a t il pas été conservé ? Et si Abu Bakr  a déjà rassemblé les versets du Coran, pourquoi ses successeurs ont ils ressenti le besoin de procéder à de nouvelles collectes ?

Un peu plus loin, page 130, l’auteur, résume clairement la situation dans la pééninsule arabique après que toutes les tribus arabes, ayant apostasié, furent enfin soumises et acquittent la zakat.

Car, il ne faut pas oublier que toutes ces expéditions militaires n’étaient pas exclusivement motivées par l’expansion de la foi en Dieu, mais souvent dictées par des considérations bassement matérielles, le calife recevant toujours le cinquième de tout le butin amassé par la troupe.

En l’an 632, an XII de l’Hégire, l’Arabie est pratiquement soumise et le calife dispose désormais de moyens puissants pour se lancer à l’assaut de l’Irak et de la Syrie.

Mais même au plan des idées, l’islam s’est considérablement renforcé, faisant de l’épreuve  de l’apostasie une force.

Qu’on en juge :  L’apostasie n’a fait que renforcer l’islam. Nous avons coupé la tête de tous ceux qui  avaient douté de nous.  Le calife a désormais les mains libres dans la péninsule, il va se lancer dans d’autres campagnes conquérantes. Mais la mort va le surprendre, alors qu’un messager devait lui annoncer une nouvelle victoire de son général Khalid que rien n’arrête…

La dernière partie de ce second volume porte sur la mort d’un commis de Dieu, pour reprendre l’expression adoptée par l’auteur.. L’auteure met dans la bouche du premier calife tout un discours où le successeur de Mahomet tire le bilan de deux années à la tête du califat.

Il s’en déclare largement satisfait et se propose de préparer sa succession. Hommes de consensus , Abu Bakr convoque tous les candidats putatifs ou Compagnons du Prophète pour leur annoncer sa décision : son choix se porte sur le bouillonnant Umar qui a, certes, beaucoup d’ennemis, mais qui est le mieux préparé en dépit de ses grands défauts.

Comme discours inaugural pour son entrée en fonctions, Umar met son public en garde et agit contrairement à son prédécesseur qui avait fait preuve de modestie. Lui se veut menaçant et adresse une mise en garde à ses auditeurs réunis dans la grande salle de la mosquée.

Mais il ignore que dans peu d’années ses ennemis vont le poignarder à mort dans ce même édifice… La première mesure qu’il prend est de destituer son rival de toujours le général Khalide ibn Al Walid, le sommant aussi de reconnaître ses péchés et le prive de la moitié de ses biens…

J’ai une seule réserve quant à la présentation du présent ouvrage, comme d’ailleurs  de celle du volume qui l’a précédé : c’est bien de rendre vivantes les déclarations des historiographes en mettant dans la bouche des protagonistes des déclarations puisées aux meilleures sources traditionnelles. Il y a aussi ces renvois récurrents à la Tradition avec un T majuscule.

Mais cela n’entame en rien les qualités fondamentales de cet ouvrage. Nous attendons la suite…

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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