DO BIN ICH GEBOREN” : LA PETITE FILLE DE JÉRUSALEM, PAR PIERRE LURÇAT.

Dans les dernières années de sa longue vie, ma mère se plaisait à parler yiddish, langue de son enfance qu’elle n’avait jamais oubliée, sans guère la pratiquer.

Le yiddish était resté ancré quelque part, au tréfonds de sa mémoire. Lorsque je lui disais au téléphone, dans mes pauvres rudiments de yiddish faits de bribes glanées de sa bouche, complétées par des souvenirs de l’allemand étudié au lycée, que je l’appelais de “Yerousholoyeïm” (Jérusalem), elle me répondait immanquablement, avec un éclat de fierté dans la voix : “Do bin ich geboren!” – “C’est là que je suis née !” Elle ne s’en était jamais cachée.

Ses origines n’étaient pas un secret honteux, enfoui sous le masque d’un nouveau nom acquis par mariage ou par naturalisation, comme chez certains juifs étrangers qui étaient, comme elle, devenus Français par mariage ou par naturalisation.

 

La petite Lipah Kurtz était certes devenue, dans des circonstances que je raconterai, Liliane Kurtz, puis Liliane Lurçat. Son nom et son prénom ne dénotaient aucune ascendance étrangère, et son visage au regard pénétrant, son front haut et son nez droit ne trahissaient guère ses origines.

Mais jamais, au grand jamais, pas même pendant la période de l’Occupation, elle n’avait cherché à dissimuler celles-ci. Bien au contraire, elle les dévoilait au détour d’une phrase, dans une conversation anodine avec le facteur, avec un chauffeur de taxi ou un voisin de palier : “Vous savez, je suis née à Jérusalem…”.

Elle portait fièrement ses origines yérosolymitaines, sans ostentation mais sans s’en cacher. La Jérusalem où elle était née – dans l’hôpital de la rue des Prophètes – et avait vécu quelques mois, avant de partir en France, pour y revenir brièvement à l’âge de trois ans, était bien différente de la métropole d’aujourd’hui.

C’était une petite ville provinciale, poussiéreuse et somnolente, aux ruelles en terre battue, qu’arpentaient les commerçants – vendeurs de “tamar Hindi” – et les chameliers (un des premiers et rares souvenirs qu’elle avait gardés de sa prime enfance à Jérusalem).

Un chamelier à Jérusalem, 1928

Jérusalem en 1928, année de sa naissance, était une ville orientale, excentrée aux confins de l’empire ottoman, dont la domination avait pris fin dix ans auparavant, pour laisser place au mandat britannique.

La communauté juive qui l’habitait était encore réduite, répartie entre les représentants de l’Ancien Yishouv, juifs religieux vivant de la ‘Halouka (c’est-à-dire l’aumône) et ceux du Nouveau Yishouv, pionniers sionistes laïcs, comme l’étaient mes grands-parents.

Une photo de famille de l’époque, dont la couleur sépia trahit l’ancienneté – elle date de 1928 – montre mes grands-parents maternels entourés des frères et soeurs de ma grand-mère et de leurs parents, posant avec solennité chez un photographe de Jérusalem.

Ma grand-mère, Chaya Kurtz, tient dans ses bras un bébé emmailloté, selon l’habitude d’alors, qui n’est autre que ma mère, Lipah. C’est la première et quasiment la seule photographie montrant ma mère bébé, petite fille de Jérusalem.

 

Quand et pourquoi mes grands-parents maternels s’étaient-ils installés à Jérusalem? Je n’ai pas de réponse précise à cette question, qui demeure entourée de mystère, ajoutant encore un parfum d’exotisme aux circonstances entourant la naissance de ma mère.

Etait-ce là que vivaient les parents de Chaya, ou peut-être son mari y travaillait-il, après avoir mis fin à son errance perpétuelle de pionnier? Quoi qu’il en soit, c’était dans cette ville qu’ils s’étaient rencontrés et mariés, selon le récit familial transmis oralement par ma mère, qu’aucun document écrit ne venait attester.

                                                      Joseph Kurtz, mon grand-père

Mon grand-père, Joseph Kurtz, originaire de Cracovie, était “monté” en Israël juste après la Première Guerre mondiale, animé par l’idéologie sioniste socialiste et la volonté de construire le pays nouveau.

En authentique “halouts”, il avait défriché les marécages et pavé les routes, allant d’un endroit à un autre, sans jamais s’installer à demeure, dans le cadre du Bataillon du Travail (Gdoud ha-Avoda) qui portait bien son nom, car ses membres étaient de véritables soldats, engagés corps et âme au service de leur mission édificatrice.

Joseph avait aussi appartenu, sans doute brièvement, aux Chomrim, ces gardes à cheval qui protégeaient les kibboutz contre les incursions de maraudeurs et les attaques de bandes arabes. Une  photo de l’époque le montre, vêtu du costume bédouin prisé des Chomrim, un sabre dans les mains, coiffé d’une keffiah.

Chaya Kurtz, ma grand-mère

Ma grand-mère, Chaya Kurtz, née Shatzky, était venue en Palestine avec ses frères et soeurs et leurs parents.

Sa grand-mère, Madame Landau, possédait une entreprise de textile à Bialystok, qu’elle avait vendue pour affréter un navire, et emmener des jeunes Juifs en Eretz-Israël. Sur la photo de famille couleur sépia, on la voit, entourée de sa famille : ses trois soeurs Fanya, Esther et Bluma, et leur frère Nahman.

Je ne sais rien de la rencontre de mes grands-parents, sinon qu’ils se marièrent à Jérusalem, où sont nés ma mère et son frère aîné, Menahem, et qu’ils vécurent ensemble toute leur vie, jusqu’à la mort de Joseph, survenue l’année de ma naissance.

Liliane Lurçat z.l.

Source: vudejerusalem.over-blog.com

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Jankel

Emouvante « banalité » vécue par nous tous! Il nous faudrait davantage de témoignages de ce genre! J’ai toujours trouvé étonnante, l’absence de « Chroniques » chez un peuple de lettrés par excellence!!!????? Aussi bien depuis mes études dites « religieuses » (Bar Mitzvah et suivantes sur l’histoire médiévale et plus récemment contemporaine (Rachi ne donne que des Notes de lecture (! sémantiques…) qui nous renseignent un peu par la bande…sur son temps!) et la pauvreté de nos « archives familiales » que les « vicissitudes de notre Histoire (!) ne justifient pas autant qu’on veut le prétendre…..
Merci Mr Lurçat