Sous le tapis, l’ennemi intérieur

La guerre pour « détruire Daech » masque un nouveau cycle d’apaisement avec l’islam radical sur le sol français
.*************
 
Dès le début, les attentats du 13 novembre ont été qualifiés par François Hollande « d’actes de guerre », et rapidement « Daech » a été désigné comme l’ennemi qui a déclenché ce jour-là une guerre contre nous, sur notre territoire. Cette vision d’une guerre entreprise par un agent extérieur issu du chaos syro-irakien s’est imposée. 
 
Dès le surlendemain, l’aviation française bombardait Raqqa, la capitale de ce qui était devenu l’ennemi principal. Dès cette semaine le fer de lance de nos armées, le Charles de Gaulle, son escadre et ses Rafale, était positionné dans la zone MEDOR (Méditerranée orientale) au plus près des cibles offertes par Daech en Syrie. Nous sommes donc en guerre contre nos sauvages agresseurs. 
 
Pour aller au bout de sa réponse, la destruction de l’État islamique, François Hollande est allé rencontrer successivement cette semaine Cameron, Obama et Poutine. Son but affiché consistait à faire fusionner les deux coalitions présentes sur le terrain en une seule, de façon à porter ensemble des coups mortels au calife Al Bagdadi.
 
La démarche de François Hollande suscite quand même de la perplexité. Quand on s’engage dans une guerre, on commence par préciser ses objectifs politiques. On se pose ensuite la question de la faisabilité. Quel type de guerre, quelles alliances, quels moyens, quels financements?
 
Au plan politique, il aurait d’abord fallu s’assurer de la volonté du peuple français d’entrer en guerre. François Hollande a reçu formellement les chefs des partis politiques pour entendre leur propositions face aux attentats. Mais il n’y a pas eu de consultation, ni de débat public, où l’opinion aurait pu exprimer sa vision sur l’entrée en guerre. C’est un sujet qui dépasse de beaucoup les questions de l’état d’urgence, des mesures de police ou des initiatives en matière judiciaire. Par ailleurs, parler sérieusement de « détruire Daech », cela suppose avoir une idée claire de ce qui le remplacera. 
 
L’État islamique assure aujourd’hui les fonctions d’un État. Il bénéficie d’un certain consensus des tribus sunnites qu’il protège des horreurs des milices chiites. Il a grossièrement organisé un système judicaire, un système fiscal, des structures d’approvisionnement pour la nourriture. L’aventure libyenne de Nicolas Sarkozy nous a amplement informé des conséquences désastreuses de la négligence du « jour d’après » où l’effondrement de toute administration laisse le champ libre aux tribus et aux mafias. Irait-on vers une nouvelle Somalie? Restaurerait-on des gouvernements d’Assad et de Bagdad? Chacun sait que nul ne pourra imposer aux sunnites des deux pays issus de la vieille complicité Sykes-Picot de repasser sous la férule des Alawites ou des Chiites. Quoi d’autre alors? Le sujet n’a pas été traité à l’évidence par les autorités françaises, ni d’ailleurs par les rencontres internationales de Vienne.
 
Sur la question de la faisabilité d’une guerre au Moyen-Orient, la France sait bien qu’elle n’est qu’un acteur très secondaire dans la région. Tous ses moyens militaires, matériels et humains sont engloutis dans ses interventions africaines, justifiées, et ses marges financières sont nulles, si ce n’est négatives. Au plus fort de la guerre d’Irak, les États-Unis dépensaient un milliard de dollar par jour! Cela ne veut pas dire que la France ne pourrait pas redevenir une puissance militaire d’une autre dimension. Cependant il faudrait du temps, mais aussi une volonté et une cohésion politique qui n’existent pas aujourd’hui. 
 
Aussi les déclarations martiales de l’Élysée ont été sagement ramenées par le président de la République à une tentative de mobiliser et d’étendre les opérations anti-Daesh des acteurs actuels du terrain. En obtenant par exemple une fusion des deux camps intervenants (grossièrement d’un coté l’alliance Russie-Iran-Assad et de l’autre la « coalition » menée par les États-Unis avec des pays arabes et occidentaux, dont la France, que la Turquie a tardivement rejoints.
 
Bien entendu, cette tentative était mort-née. Il est évident que les volontés des Russes et des Iraniens sont aux antipodes de celles des Arabes sunnites. Mais aussi de celle des Turcs, des sunnites. Ces derniers l’ont fait savoir en abattant un bombardier russe. Il est tout aussi évident que les États-Unis d’Obama ne veulent surtout pas abattre le château de cartes actuel et brusquer l’implosion de Daesh. Faute de trancher brutalement entre leurs engagements traditionnels envers les États du Golfe et la préservation des intérêts de leur nouvel grand allié, l’Iran des mollahs, ils se hâtent lentement, comme le dromadaire du désert. Barack Obama l’a bien fait comprendre à François Hollande dans le huis clos de la Maison Blanche, diligemment transmis aux média.
 
Faisons le point. François Hollande a bombardé Raqqa le 15 novembre, sans s’inscrire dans un horizon politique, sans plan de guerre, sans pacte avec ses alliés. C’était donc une opération de pure communication à l’usage de l’opinion française traumatisée par les massacres. Était-ce bien cela que les Français voulaient? Voulaient-ils une vengeance, des représailles en forme de talion? Rien n’est moins sûr. Ils sont assez adultes pour désirer tout autre chose que des gestes.
 
Ensuite François Hollande a envoyé le Charles de Gaulle, son escadre et ses avions en Méditerranée sans plan de guerre, sans capacités opérationnelles à la mesure du défi, sans vision politique du jour d’après. Il a assorti ce déploiement d’une tournée des possibles alliés à Washington et à Moscou, dont ils savait qu’elle n’avait aucune chance de récolter autre chose que des paroles d’estime et de compassion. Il avait donc monté à nouveau une opération de pure communication, mais à grand budget cette fois-ci.
 
Quel était le but de cette communication? 
 
Un gain politique dans l’opinion? C’est peu probable. L’opération du Congrès solennel de Versailles lui a déjà assuré un gain de 17 points dans les sondages. L’impact sur les élections régionales de nouveaux gestes symboliques ne pourrait pas rapporter davantage. Par ailleurs, la présidentielle se déroulera dans 18 mois, trop tardivement pour que le capital politique du « président-chef-des-armées-en-campagne » soit conservé.
 
Qu’attendait-il donc de cette focalisation de l’opinion sur l’étalage de nos armes et des promesses martiales? Quelque chose de très précieux pour lui, qui nous dit tout de ce que seront les derniers mois de son mandat. En parlant de « guerre » dès les premiers jours de l’affliction qui s’est abattue sur les Français à la mi-novembre, il imputait la responsabilité du drame à une force extérieure à la nation. Le drame serait venu de l’étranger, attaquant la France avec barbarie. Le coupable, c’est un étranger.
 
Il est vrai que le donneur d’ordre était sans doute l’état-major du calife al Bagdadi comme jadis Vahid Gordji, l’attaché d’ambassade d’Iran, guidait les pas de Fouad Saleh, le tueur de la rue de Rennes. Mais les commettants du 13 novembre  étaient des Européens, des Français et des Belges. La sauvagerie et la haine qui vont de pair, étaient le fait d’abord de Français et de Belges francophones. Daech les a utilisés, il ne les a pas créés. Sont apparus dans les villes et les banlieues de France et de Belgique (un continuum politique et sociologique) de jeunes hommes élevés au lait de la démocratie et de l’état providence, éduqués nourris et soignés selon les normes communes, disposant le plus souvent d’un emploi, d’une famille et de revenus ordinaires. Ces hommes, des musulmans issus de l’immigration nord-africaine, en grande souffrance identitaire, nourrissent une détestation himalayenne pour la société d’accueil, pour la nation, pour le peuple. Au point de jouir tellement de la souffrance des non-musulmans qu’ils sont prêts à le payer de leur propre vie. Les barbares qui se sont repus du sang de la jeunesse parisienne étaient des Français et des Franco-belges, et leur barbarie a couvé en France et en Belgique, pas ailleurs
 
En imputant les crimes du 13 novembre à un obscur ennemi étranger et lointain, alors que nous avons été victimes d’une haine et d’une violence autochtones, François Hollande déploie un rideau de fumée. Il veut pouvoir ignorer pendant encore 18 mois, que les ferments d’une guerre civile religieuse ont été semés par le déferlement en France des courants islamiques dominants, animés par les idéologues wahhabites et ceux des Frères musulmans. Les uns et les autres sont omniprésents en France. Ils s’expriment sous des formes plus ou moins nuancées, mais finalement tout aussi toxiques.
 
Si un débat doit être lancé en France, c’est celui-là. Comment rétablir effectivement la souveraineté nationale dans les immenses territoires perdus autour des cités et à l’intérieur des cités, comment couper effectivement la tête du serpent idéologique qui menace les fondements de la nation, comment préserver effectivement l’immigration arabo-musulmane, jeunes et moins jeunes confondus, de la tentation de haïr la société d’adoption qui les accueille, les soigne et les nourrit?
 
Ce qui se prépare, ce sont quelques mesures de police, de petits ajustement judiciaires, une pincée de restrictions frontalières et un flot de platitudes sur le vivre ensemble et la compatibilité entre l’islam et la démocratie. 
 
Car ce qui nous est arrivé, vous le savez bien, c’est à cause de l’étranger, c’est Daech.
 
Jean-Pierre Bensimon
 
Publié le mercredi 25 novembre 2015

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires