«Je viens de passer quelques années compliquées» : le délicat retour sur scène d’Ary Abittan.

Mis en examen pour viol en octobre 2021, Ary Abittan est depuis huit mois passé au statut de témoin assisté. Il remonte néanmoins sur scène pour un one man show centré sur ses démêlés judiciaires.

À Clermont-Ferrand

Au pied du Puy-de-Dôme, Ary Abittan brandit son téléphone portable pour photographier la façade de la Comédie des Volcans. C’est ici, dans une zone industrielle, à vingt minutes de Clermont-Ferrand, qu’il s’apprête à remonter sur scène pour la première fois en 2024. Dans le lot des affaires MeToo, son cas symbolise la difficulté pour la justice à déterminer le consentement dans l’intimité.

Ary Abittan a été mis en examen le 2 novembre 2021 à Paris après le dépôt d’une plainte pour viol sur une femme de 21 ans quelques heures plus tôt. Au terme de l’instruction en juillet dernier, le comédien a été placé en statut de témoin assisté au vu des informations réunies par les enquêteurs sur le déroulé de la soirée du 30 octobre 2021.

Les détails fourmillent car la plaignante a agi immédiatement. Dans l’appartement parisien de l’acteur, pendant qu’il était dans une autre pièce, elle a tout de suite après les faits expliqué par écrit son désarroi à ses amies sur leur groupe WhatsApp. Dans la nuit, elle a porté plainte au commissariat. Avant d’être accompagnée devant la police judiciaire. À l’entendre, elle aurait protesté et hurlé de douleur quand Ary Abittan lui aurait imposé une sodomie non consentie. Elle ajoute qu’il l’aurait giflée et étranglée. Puis, elle se serait tue sous le choc. L’humoriste lui dit n’avoir rien entendu, n’avoir jamais été repoussé et regrette que sa partenaire ne se soit pas exprimée. Les importantes lésions physiques de la jeune femme ont été constatées à l’Hôtel-Dieu par un spécialiste judiciaire. Elle n’a jamais raconté son histoire aux médias ni sur les réseaux sociaux. Elle espère toujours obtenir réparation par la justice. Car rien n’est encore figé.

Discrétion

Aujourd’hui, à l’heure de la parution de ce récit, le non-lieu est probable mais Ary Abittan ne l’a pas encore reçu. Contrairement à ce que croit son public, il n’est pas blanchi mais coincé dans une zone grise judiciaire. Pendant des mois, l’humoriste s’est fait discret. Jusqu’à ce jeudi de mars. À la gare de Clermont-Ferrand ou sur l’avenue de l’Union soviétique qui traverse la ville, aucune affiche n’annonce sa venue à la Comédie des Volcans. Aucune interview n’est parue dans La Montagne, le quotidien régional. Comme sa pénaliste et son producteur, il n’a pas souhaité répondre aux questions du Figaro. Pour avoir une idée de ce qu’il pense, il faut aller voir son nouveau one man show. Sur scène, Ary Abittan n’évacue pas le sujet MeToo et ce qui lui est arrivé en trente secondes en introduction. C’est bien le cœur de son spectacle.

Dix ans après le triomphe de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu qui a fait décoller sa carrière avec 12,5 millions d’entrées au cinéma, Ary Abittan repart de zéro, à 50 ans. Non pas au Zénith de la Plaine d’Auvergne, mais dans une salle de 250 chaises, sur une petite scène d’à peine 20 mètres carrés. À 26 euros le billet. Hervé, l’un des responsables de ce théâtre récemment ouvert, prend l’air en attendant le lever de rideau. «Ce soir, c’est quasi plein et c’est calme», confie-t-il. Alors que Clermont-Ferrand est une ville ancrée à gauche, aucune militante féministe ne s’est déplacée pour protester contre le retour de l’artiste. À Bordeaux, en octobre dernier, l’humoriste avait eu maille à partir avec les militants de NousToutes qui luttent contre les violences sexistes et sexuelles. Le collectif, qui avait exigé en vain l’annulation du spectacle, avait organisé une manifestation contre sa venue devant le théâtre.

À la Comédie des Volcans, le public est à 85% féminin, une surprise. Beaucoup de femmes de 40-50 ans sont venues entre amies. Il y a aussi des mères avec leurs filles de 25 ans. Elles sont avocates, DRH, entrepreneurs. «Nous sommes curieuses de voir Ary Abittan. Entre les Bon Dieu, le Marrakech du Rire avec Jamel Debbouze, à la télévision chez Arthur, on l’aime bien. Venir, c’est une façon de lui apporter notre soutien, dit Michelle, clerc de notaire. Il a subi une déferlante médiatique quand il a été accusé.» La femme est persuadée qu’un non-lieu a été prononcé et que la presse n’en fait pas état. Sauf qu’il n’y a à ce jour encore aucun non-lieu et qu’Ari Abittan, même sous le statut de témoin assisté, n’a pas été innocenté par la justice.

Je viens de passer quelques années compliquées. Je suis la dernière personne au monde à avoir été déconfinée. J’ai eu sept ans de Covid.

Ary Abittan

Sylvie, 40 ans, se montre moins catégorique. «Ary Abittan a dû avoir beaucoup de force pour supporter ces deux années surtout si c’était faux. Et si c’était vrai mais impossible à prouver, c’est atroce pour la jeune femme.» Christelle, elle, juge que «les militantes féministes vont trop loin et font du tort aux femmes». Mais dans le même élan, elle explique avoir été «furieuse d’entendre Michel Sardou plaisanter sur le consentement», quand elle est allée le voir en concert. À ses côtés, son amie Aline : «Ma fille de 25 ans a eu droit à des commentaires outrés de ses collègues quand elles ont su qu’elle allait voir ce soir Ary Abittan. C’est tellement délicat de prendre position.»

À 20h39, le comédien déboule sur scène. «Voilà… Je viens de passer quelques années compliquées. Je suis la dernière personne au monde à avoir été déconfinée. J’ai eu sept ans de Covid.» Abittan interpelle une personne au premier rang : «Tu as une tête d’huissier. Il n’y a plus rien à prendre.» «Avant quand je montais sur scène, je parlais beaucoup de la relation homme et… femme», poursuit-il en insistant sur le mot femme. Il tourne finalement les talons, s’éclipse derrière le rideau en lançant : «Merci Clermont-Ferrand, ça a été un plaisir.» Le test est passé, la température est prise, la salle applaudit à tout rompre. Le spectacle peut commencer.

Thérapie sur scène

L’affaire, l’enquête sont le cœur de son show. La première partie y est même entièrement consacrée. Et il y revient sans cesse par petites touches ensuite. Abittan raconte: «le SDF en bas de chez moi qui refusait mon aide». «Garde tes pièces pour toi, tu es plus dans la merde que moi.» Cette femme dans la rue qui lui dit un mot gentil ? «Je lui demandais de rester loin de moi.» «J’ai aussi beaucoup pris le TGV comme si j’étais en tournée. Je parlais tout seul. J’étais tellement flippé que je suis allé faire une retraite spirituelle. C’est comme un hôpital psychiatrique qui marche en forêt. J’ai enlacé un peuplier : ça n’a fait que me niquer mon tee-shirt blanc. À la retraite silence all inclusive à 2000 euros, j’ai fermé ma gueule, ça suffit les emmerdes. J’ai fait une garde à vue, je me suis fait iech pendant deux ans.» À l’écouter, il est aussi allé voir le rabbin. «Notez ça, monsieur le greffier. Non ! cela suffit.» Avant sa garde à vue, il était à «l’anniversaire de David Guetta, ça change hein la vie ! »

Le mot «angoisse» revient une dizaine de fois en 90 minutes de show. Les antidépresseurs, la mort et le suicide -dont celui de Mike Brant- sont évoqués. Sur le coup de 21h50 au son de I Will survive, bras écartés, il salue le public qui n’a jamais cessé de rire et se lève pour applaudir.

Après le spectacle, Ary Abittan multiplie les selfies avec ses fans. Léna Lutaud

Goût amer

Le rire vaut-il pour absolution ? Pas si simple. La place donnée à l’affaire dans ce spectacle, durant lequel Ary Abittan se pose en victime, «met mal à l’aise», estime Michelle à la sortie. Plusieurs passages laissent un goût amer. «Il y en a toujours un qui souffre plus que l’autre. Tant que c’est l’autre», lance-t-il notamment. Dans son spectacle, comme dans l’entretien qu’il a passé avec une psychiatre, expert près de la cour d’appel de Paris, en 2022, il affirme n’être coupable de rien et récuse totalement le viol. Il ne s’exonère pour autant pas complètement. Il reconnaît un excès de «brutalité» dans la frénésie et admet avoir été un «goujat» trop pressé ce soir-là d’aller retrouver ses amis. Comment la partie civile va-t-elle réagir en apprenant qu’il remonte sur scène, que des producteurs, des tourneurs régionaux et des propriétaires de salles y voient un intérêt commercial et qu’un public essentiellement composé de femmes rit à gorge déployée ? On ne le saura pas, la victime présumée n’a jamais accordé d’interview.

Selon nos informations, les conséquences pour la plaignante qui avait 21 ans au moment des faits présumés (Abittan en avait 47) sont clairement détaillées. Blessures graves, interruption totale de travail de quinze jours, crises de panique, cauchemars à répétition, syndrome d’évitement avec repli social… L’expertise psychiatrique faite plusieurs semaines plus tard montre «un état de stress post-traumatique d’intensité sévère en lien direct et certain avec l’agression qu’elle a dénoncée». La perspective d’un non-lieu paraît inconcevable à la partie civile dans ces conditions. Charlotte Plantin, la nouvelle pénaliste de la partie civile, espère qu’en plus des deux témoignages déjà produits, «d’autres femmes sortent du silence à leur tour». Le dossier est aujourd’hui dans les mains du procureur de la République et si un non-lieu devait être prononcé, les conseils de la victime présumée feront appel.

Durant l’instruction, Ari Abittan n’a eu de cesse de se présenter comme une victime. Dès sa sortie de garde à vue, une chaîne de télévision le remplace par un autre acteur sur une série. «C’est d’une immense violence», dit-il à un expert judiciaire à qui il raconte sa vie. Fini aussi le rodage pour un nouveau one man show et sa tournée pour 2022. Le spectacle prévu est annulé, il devait jouer à la Cigale. Il ne fera pas la promotion pour les sorties des suites du Bon Dieu et de Ducobu d’Elie Semoun. Ni pour L’Amour c’est mieux que la vie de Claude Lelouch. «Tout s’est arrêté. Tout.» L’humoriste coupe ses réseaux sociaux. Il déménage de son appartement, emménage chez son producteur, emprunte de l’argent et touche le chômage en tant qu’intermittent. Garde à vue, expertise psychiatrique et médico-psychologique… Placé sous contrôle judiciaire par le procureur de la République dès le 2 novembre 2021, il doit se présenter une fois par semaine au commissariat et informer le juge d’instruction de tout déplacement au-delà du territoire national. Incrédule et déconfit, il ne comprend pas ce qui lui arrive. Pour lui, c’est «juste une histoire de cul! Je trouve ça complètement ubuesque. Est-ce que vous vous rendez compte des conséquences ?! » Mais ça il ne l’a pas dit devant son public à Clermont-Ferrand.

 

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