Cette nuit, j’ai rêvé de scandale. Je m’irritais contre un Prince, non pas celui de Saint-Exupéry, un tout autre petit prince et de quelques uns de ses conseillers. Ils dirigeaient une institution bicentenaire qui était le fleuron du judaïsme français. Or cette institution est devenue l’ombre d’elle-même, percluse de rhumatismes, complètement rabougrie ayant perdu l’essentiel de ses repères. Si nous devions appliquer les lois de Darwin, elle devrait disparaître, faute d’avoir su s’adapter et se régénérer. Où sont elles passées les vertus de dignité, de probité, d’éthique, de morale, de justice ?

N’était-il pas prescrit dans quelques traités talmudiques d’instituer des tribunaux indépendants et de placer à leur tête des juges incorruptibles pour régler les différends, faire œuvre de justice et surtout rapprocher les hommes un temps adversaires.

Dans ma souffrance nocturne, je reconnais un trait essentiel de mon caractère : je déteste le conflit et je préfère arrondir les angles, adoucir, faciliter. Si je me laissais aller à ce penchant, je tiendrais plus souvent compte de cette remarque du narrateur de Premier Amour de Beckett: « Le tort qu’on a, c’est d’adresser la parole aux gens »; et je me contenterais de sourire et d’aplanir.

Mais convaincu de la Tradition Juive toujours renouvelée, nous sommes responsables où nous nous trouvons de ce qui est dit ou fait. Je ne peux pas toujours laisser dire ou laisser faire. Contradiction douloureuse entre ma morale et ma psychologie.

Le 16 décembre 2009 le Conseil du Consistoire de Paris composé d’hommes et de femmes élus au nombre de 26 avait pour mission d’examiner deux recours distincts formés par deux candidats qui n’ont pas été élus lors du scrutin du 29 novembre 2009. Il a rejeté ces recours au terme d’une parodie d’arbitrage qui dans les annales des pitreries judiciaires, constituerait un morceau d’anthologie.

Le Conseil du Consistoire de Paris devient le juge électoral en vertu de ses statuts avec pour fonction d’appliquer les règles de justice universelles inspirées par la loi mosaïque.

1°) Le Conseil du Consistoire pouvait-il instruire les deux recours alors que la plupart des administrateurs, y compris le Président, ont pris une part active dans la campagne électorale en faveur de tels ou tels candidats.

Il eût été hautement souhaitable que le Président avec l’assentiment du Conseil nomme une Commission composée de deux universitaires de la communauté juive présidée par le Grand Rabbin de Paris pour instruire les deux recours. Initiative proposée bien avant les élections.

Dès lors nous nous posons la question de savoir pourquoi le Président du Consistoire a-t-il refusé la mise en place d’un Beth Din spécial et indépendant ?

2°) Il est un autre dysfonctionnement relevé qui est la constitution des dossiers des plaignants et par ceux et par celles qui sont mises en cause par ces derniers.

Nous avons constaté que c’est le Consistoire et son appareil administratif avec l’aide du prince et de ses conseillers qui ont élaboré les dossiers à partir desquels la Commission électorale a établi un rapport inique. C’est sur ce dossier remis le jour même que les administrateurs devaient examiner les deux recours des plaignants.

Pourquoi le Consistoire dont le devoir est d’être neutre en de telles circonstances s’est-il fourvoyé en corrompant l’organe judiciaire? Où est l’impartialité défendue par la Tradition juive ?

3°) La mission d’un juge, non pas celle des républiques bananières ou totalitaires, est d’entendre les parties, notamment les plaignants, les mises en cause, et les témoins, ceux et celles qui ont fourni des témoignages.

Les auditions des personnes citées n’ont pas été faites à l’exception d’un seul témoin, celui d’un cadre du Consistoire chargé de veiller au parfait déroulement du vote dans le Bureau des Tournelles. Il a inscrit sur le cahier des doléances qu’une candidate a passé le plus clair de son temps près du Bureau de vote et accostait les électeurs. Avertissement réitéré par le Président du Bureau de vote et par le Président de la synagogue des Tournelles.

Le refus opposé à entendre au moins le responsable du Consistoire affecté à ce bureau de vote prête à diverses possibilités d’interprétation. Ah oui, j’oubliais c’est une affaire mineure qui ne mérite pas qu’on s’y attarde.

Le Consistoire ne devrait-il pas inspirer une totale confiance à tous ses adhérents et être irréprochable, même dans les affaires qui paraissent insignifiantes comme le préconise le traité Sanhedrin 8a.

4°) Il est une des règles fondamentales d’une bonne et saine justice qui est le principe du contradictoire qui consiste à échanger les moyens de faits et de droits entre les différentes parties pour un procès loyal. Le Consistoire où sa commission dûment habilitée à cet effet doit veiller à l’application de cette règle pour être exempt de reproches. Que nenni !

Pourquoi suis-je le seul à dénoncer de telles tartuferies ? Pourtant d’autres que moi ressentirent ce même écoeurement devant une telle parodie de justice. Je ne vois qu’une explication : l’habitude. Oui, beaucoup de gens habités comme moi par le sens de l’équité et de la vérité ont fini par s’habituer à l’injustice, ils ont fini par s’y résigner, dépassés par un sentiment d’impuissance et de fatalité du mal. Mon seul mérite est peut-être d’avoir conservé un tant soi peut le sens de l’indignation. Peut-être avons-nous perdu cette faculté de nous étonner, c’est-à-dire de crier devant la sottise humaine. Nous entendons quelque fois : « pas possible ! ou « non je ne crois pas ! » ou même « ce n’est pas grave ! »…ou même « Pfff… pour marquer la protestation de l’intelligence… Nous souffrons de cela, de l’acquiescement généralisé et mou. Tout passe, tout est gobé, tout le monde croît à l’inéluctable, plus rien ne surprend. Confort moral et pleutre. Et pourtant l’étonnement et le questionnement ne sont ils pas des vertus talmudiques cardinales.

Devant tant d’hypocrisie et de veulerie un des plaignants, débouté… et dégoûté, a préféré renoncer à faire appel devant le Conseil du Consistoire Central parce qu’il est composé en grande partie par les mêmes administrateurs qui ont fait semblant de faire œuvre de justice.

Après ce lourd cauchemar, j’ai relu Bouvard et Pécuchet de Flaubert. Sont-ils vraiment bêtes ces deux là ? Pas sûr. A moins qu’il faille appeler bêtise leur patient travail de destruction.

André BENAYOUN

Administrateur de l’ACIP

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