Hannah Smith était une élève de 14 ans vivant à Lutterworth, dans le Leicestershire. Brillante et ouverte, elle aimait avoir une vie sociable active et elle semblait promise à une vie future passionnante. Le matin du 2 Août 2013, Hannah fut retrouvée pendue dans sa chambre. Elle s’était suicidée.

Cherchant à éclaircir ce qui s’était passé, sa famille a découvert qu’elle a été la cible de messages anonymes agressifs sur un réseau social Internet. Hannah a été une victime de la toute dernière variante de la plus vieille histoire de l’humanité : l’utilisation de mots comme des armes par ceux qui cherchent à infliger de la douleur. Cette nouvelle version s’appelle le harcèlement en ligne.

L’expression juive pour cette sorte de comportement est le lachon hara, le discours malveillant, qui consiste à parler de certaines personnes, de façon négative et désobligeante. Cela signifie, tout simplement, parler en mal de quelqu’un, et c’est un sous-ensemble qui découle de l’interdiction biblique contre les commérages qui se propagent. 1″>Article original

En dépit du fait que ce comportement n’est pas distingué dans la Torah comme une interdiction à part entière, les sages le considèrent comme un des pires péchés qui soit. Ils disent, de façon surprenante, que c’est aussi mal que l’addition des trois péchés cardinaux l’idolâtrie, le meurtre et l’inceste –. De façon encore plus significative, dans le contexte d’Hannah Smith, ils disent que cela tue trois personnes , celui qui le dit, celui qui en parle, et celui qui l’entend. 2″>Article original

On peut établir une relation directe avec la parasha de cette semaine. Tazria et Metzora, traitent d’une maladie nommée tsara’at, mot parfois traduite comme signifiant la lèpre. Les commentateurs sont restés perplexes quant à ce qu’était exactement cette maladie et la raison pour laquelle une place aussi prédominante y était accordée dans la Torah. Ils ont conclu que c’était, précisément, la raison pour laquelle cela représentait une punition à cause du lachon hara, le discours désobligeant.

La preuve nous en est apportée par l’histoire de Myriam (Nombres 12 : 1) qui traite d’une manière blessante de l’histoire de son frère Moïse « à cause de la femme éthiopienne qu’il a pris ». Hachem lui-même s’est attaché à prendre la défense de l’honneur de Moïse et pour la punir, Il a transformé Myriam en lépreuse. Moïse a prié Hachem de la guérir. Hachem a atténué la punition en la réduisant à 7 jours, mais ne l’a pas annulée totalement.

De toute évidence, cela ne constituait pas une affaire mineure, parce que Moïse a cherché à le faire figurer parmi les enseignements qu’il donne à la prochaine génération : « Souvenez-vous de ce que Hachem, votre Seigneur a fait à Myriam, le long du chemin, à la suite de votre sortie d’Egypte » (Deut. 24: 9, et voir Ibn Ezra ad loc.).

C’est assez curieux que Moïse lui-même, selon les sages, ait été, durant un bref instant, coupable du même délit. Au buisson ardent, lorsque Hachem lui a proposé de guider le peuple, Moïse a répondu « Ils ne me croiront pas » (Ex. 4 :1). Hachem a alors donné trois signes à Moïse : l’eau qui s’est transformée en sang, un bâton qui est devenu un serpent, et sa main qui est soudainement devenue lépreuse. Nous avons trouvé des références plus loin dans le texte, de l’eau devenue sang et du bâton qui s’est transformé en serpent, mais rien en ce qui concerne la main devenue lépreuse.

Les sages, alertent toujours sur les nuances du texte biblique, et affirment que la main devenue lépreuse n’était pas un signe mais une punition. Moïse a été réprimandé pour avoir « émis des doutes concernant l’innocent » en disant que les Israélites ne le croiraient pas. « Ils sont les croyants, enfants de croyants, » dit Hachem en accord avec le Talmud, « mais à la fin vous ne croirez pas ». 3″>Article original

Le point jusqu’auquel le Lachon Hara peut être dangereux s’illustre par l’histoire de Joseph et de ses frères . La Torah mentionne qu’il a « apporté un mauvais témoignage » à son père sur certains de ses frères (Gen. 37 : 2). Cela n’a pas été la seule provocation qui a conduit ses frères à comploter pour le tuer et finalement, le vendre comme esclave. Il y a eu de nombreux autres facteurs. Mais son commérage désobligeant n’a pas franchement contribué à ce qu’il soit aimé de ses frères.

Le “mauvais rapport”( dibah : la Torah emploie le même mot que dans le cas de Joseph) ramené par les Explorateurs n’a pas été moins désastreux, concernant la terre de Canaan et ses habitants (Nom. 13: 32). Même après les prières de Moïse pour implorer le pardon de Hachem, ce compte-rendu a retardé l’entrée sur la Terre de près de quarante ans et condamné une génération entière à mourir dans le désert. Pourquoi la Torah est-elle aussi sévère, au sujet du lachon hara, en le marquant comme l’un des pires péchés ? Cela a, partiellement, des racines profondes dans la compréhension juive de Hachem et de la condition humaine. Le Judaïsme est moins une religion d’un peuple saint et de lieux saints qu’une religion des mots saints.

D.ieu a créé l’Univers par le Verbe : “Et Hachem dit : “Qu’il en soit ainsi… et il en fut ainsi”. Hachem se révèle par des mots. Il a parlé aux Patriarches et aux prophètes, ainsi qu’au Mont Sinaï, à la nation toute entière. Notre humanité en tant que telle a à voir avec notre capacité à savoir utiliser le langage. La création de l’homo sapiens est ainsi décrite dans la Torah : « Puis, le Seigneur D.ieu a formé l’homme à partir de la poussière du sol et a insufflé dans ses narines le souffle de la vie, et l’homme est devenu un être vivant » (Gen. 2: 7). Le Targoum restitue cette dernière phrase comme : « et l’homme devient un être parlant ». Le langage, c’est la vie. Les mots sont créatifs, mais aussi destructeurs. Si les bons mots sont saints, alors les mauvaises paroles constituent une profanation.

Un signe du sérieux avec lequel le Judaïsme considère tout ceci se trouve dans la prière que nous disons à la fin de toute Amida, au moins trois fois par jour : « Mon D.ieu, préserve ma langue du mal et mes lèvres du discours trompeur. A ceux qui me maudissent, fais en sorte que mon âme demeure silencieuse, fais que mon âme soit tout comme la poussière ». Après avoir prié Hachem, au début, « d’ouvrir mes lèvres pour que ma bouche puisse formuler Ta prière », nous prions Hachem, à la fin, de nous aider à fermer nos lèvres de façon à ce que nous ne parlions pas en mal des autres, ne réagissions pas quand les autres parlent de nous en mal.

En dépit de tout, cependant, malgré la prohibition du commérage, par la Torah, malgré tous ces récits concernant Joseph, Moïse, Myriam et les explorateurs, malgré les critiques sans équivalent, de la part des Sages, contre les mauvaises paroles – le lachon hara est demeuré un problème, à travers toute l’histoire juive et le reste encore aujourd’hui. Tout dirigeant y est sujet. Les sages affirment que quand Moïse quittait sa tente, tôt le matin, les gens pouvaient dire : « Tu vois, il doit avoir eu une scène avec sa femme ». S’il la quittait tard, ils pouvaient dire : « Il est en train de comploter contre nous » 4″>Article original
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Quiconque, du PDG au parent ou à l’ami qui cherche à s’imposer comme dirigeant, doit se confronter au problème du lachon hara. Premièrement, il ou elle doit le considérer comme le prix à payer pour quelque sorte de réalisation que ce soit. Certaines personnes sont envieuses. Elles colportent des ragots. Ils se contruisent en abaissant les autres. Si vous vous trouvez dans n’importe quelle position de pouvoir, vous devez vivre avec le fait que, derrière votre dos – voire même face à vous – les gens se montreront critiques, malveillants, méprisants, diffamateurs et, parfois, carrément malhonnêtes. Cela peut être pénible à porter sur ses épaules. Ayant connu beaucoup de dirigeants dans de nombreux domaines, je peux témoigner du fait que tout le monde n’a pas la peau dure, face au regard du public. Beaucoup d’entre eux sont sensibles et peuvent trouver la critique constante et injuste particulièrement éprouvante.

Si vous deviez toujours en souffrir, le meilleur conseil nous est donné par Maïmonide : « Si une personne se montre scrupuleuse dans sa conduite, aimable dans ses conversations, agréable envers ses semblables, affable dans la façon de les recevoir, ne répond pas, même quand on l’offense, mais démontre de la courtoisie envers tous, même envers ceux qui la traite avec mépris… alors une telle personne a sanctifié Hachem et à son propos, les Ecritures disent : « Tu es mon serviteur, Israël, par qui Je serai glorifié (Isaïe 49:3).” 5″>Article original

Ceci est en lien direct avec le lachon hara dirigé contre soi. En ce qui concerne le groupe en globalité, cependant, il est préférable de pratique la tolérance zéro envers le lachon hara. Permettre aux gens de parler en mal l’un de l’autre, finira par détruire l’intégrité du groupe. Parler en mal génère des énergies négatives. A l’intérieur du groupe, il sème les germes de la méfiance et de la jalousie. Dirigé vers l’extérieur du groupe, cela peut conduire à l’arrogance, à faire justice soi-même, au racisme et au préjugé , toute attitude qui s’avère fatale à la crédibilité morale de toute équipe. Que vous soyez ou non le meneur d’un tel groupe, vous devez poliment faire clairement comprendre que vous n’aurez rien à faire avec ce genre de discours et qu’il n’a pas place dans vos discussions.

Le harcèlement par Internet est la manifestation la plus récente du lachon hara. En général, l’Internet est le distributeur d’incitation à la haine le plus efficace jamais inventé. Non seulement il peut aussi facilement faire de la communication ciblée, mais il abolit aussi toute rencontre en face-à-face, qui peut parfois induire le sentiment de honte, de la sensibilité et du self-control. Le mythe grec raconte le récit de l’anneau de Gygès qui avait la propriété magique de rendre invisible quiconque le portait, de façon à ce qu’il ou elle puisse s’échapper avec ce qu’il (ou elle) voulait 6″>Article original Les réseaux sociaux qui permettent aux gens de poster des commentaires anonymes ou d’adopter de fausses identités sont aussi proches de quelqu’un qui en serait déjà venu à inventer un anneau de Gygès. C’est ce qu’Internet comporte de plus dangereux.

L’histoire d’Hannah Smith et tous les autres suicides d’adolescents est un rappel tragique du point auquel les Sages avaient raison de rejeter l’idée disant que « les mots ne peuvent jamais m’atteindre » et insistaient sur le contraire, à savoir que les mauvaises paroles tuent . La liberté d’expression n’est pas un discours qui ne coûte rien. C’est une parole qui respecte la liberté et la dignité d’autrui. Oubliez cela et la liberté d’expression devient, effectivement, très coûteuse. Tout cela nous aide à comprendre l’idée biblique de tsara’at.

La propriété particulière de tsara’at – qu’il s’agisse d’une maladie de peau, de la décoloration des vêtements ou de moisissure sur les murs d’une maison – c’est qu’elle était immédiatement visible à tel point qu’on ne pouvait en détacher l’attention. Les gens s’impliquent dans le lachon hara, parce que, comme les détenteurs de l’anneau de Gygès, ils pensent qu’ils peuvent s’enfuir avec. « Ce n’était pas moi. Je n’ai jamais dit ça. Ce n’est pas ce que je voulais dire. On m’a mal compris”. La Torah est là pour nous dire que le discours malveillant proféré en privé doit être stigmatisé en public et que ceux qui s’y engagent peuvent s’attirer une honte publique.

Pour le dire plus simplement, comme nous nous comportons envers les autres, Hachem se conduit envers nous. Il ne faut pas s’attendre à ce que Hachem soit gentil envers ceux qui sont désobligeants envers leurs semblables humains.

Tazria (5774)– 26 Adar II 5774

Par le Grand Rabbin et Lord Jonathan Sacks

rabbisacks.org Article original

Adaptation : Florence Cherki & Marc Brzustowski

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1″>Article original Lévitique 19: 16.
2″>Article original Voir Maimonide, Hilkhot Deot 7: 3.
3″>Article original Shabbat 97a.
4″>Article original Voir Rachi dans Deut. 1: 12.
5″>Article original Maimonide Hilkhot Yesodei ha-Torah 5: 11.
6″>Article original Voir Platon, La République, livre 2, 359a–360d.

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