Le Président égyptien a inauguré la nouvelle année par un appel détonnant à une « révolution » en Islam, pour réformer les interprétations de cette foi, ancrées depuis des centaines d’années, qui, dit-il, a fait du monde musulman une source de « destruction » et qui le noyautent pour l’ériger contre le reste du monde.

Ce discours représente, à ce jour, l’effort le plus audacieux d’Abdel-Fattah el-Sissi de se positionner en tant que modernisateur de l’Islam. Son but affiché est de purger l’Islam des idées extrémistes d’intolérance et de violence qui nourrissent des groupes, tels qu’Al Qaeda et l’Etat Islamique – et qui se trouvent bien derrière l’attentat de mardi à Paris contre l’équipe d’un journal satirique français, qui a mené au meurtre de 12 personnes.

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Des Egyptiens prient au sanctuaire du petit-fils de Mahomet. (Photo: Reuters)

Mais ceux qui cherchent encore le « Martin Luther King musulman », conduisant à une réforme radicale de l’Islam peuvent être dépassés – et font, pour commencer, une comparaison erronée. El-Sissi cherche clairement à provoquer un changement mené par l’appareil d’Etat, en utilisant les institutions du gouvernement, comme l’Institut al-Azhar, vieux de 1.000 ans, l’un des centres les plus éminents de la pensée et de l’enseignement musulmans sunnites.

La vision du changement d’al Azhar, cependant, se fait au coup par coup et reste conservatrice, en se focalisant sur le formalisme du message et la sensibilisation, mais redoute de pousser l’investigation plus en profondeur sur des sujets plus controversés.

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Des Musulmans prient au sanctuaire du petit-fils de Mahomet. (Photo: Reuters)

Les responsables d’al Azhar gèrent une chaîne YouTube récemment lancée pour atteindre les jeunes, en imitant les réseaux sociaux des radicaux qui parviennent à sensibiliser avec succès la jeunesse privée de ses droits. Ils signalent fièrement que les dignitaires religieux portent des chemises sur les vidéos, et non les robes et turbans traditionnels d’al-Azhar, afin de se rendre plus accessibles.

Les jeunes gens « ont une image négative de cet accoutrement », explique Mohie Eddin Affifi, un des responsables d’al-Azhar. « Dès qu’ils l’aperçoivent, ils n’écoutent plus rien ».

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Un musulman Soufi en Egypte. (Photo: Reuters)

Dans un effort encore plus ambitieux, les manuels scolaires des écoles religieuses sont en phase de relecture et de révision. Afifi affirme que les textes soulignant les règles liées à l’esclavage, par exemple, ont, purement et simplement, été supprimés.

Il s’agit d’un réel problème à travers le monde musulman : les institutions religieuses d’Etat sont accablées par la stagnation et le lourd contrôle des autorités.

Depuis des décennies, al-Azhar a perdu sa crédibilité aux yeux d’une grande partie de la jeunesse musulmane qui la perçoivent comme un porte-parole de l’Etat, plutôt que comme un interprète honnête de la religion en tant que telle. L’appel au retour vers les racines de la foi sont beaucoup plus attrayants, pour les jeunes gens et jeunes femmes en quête d’identité dans un monde qui change rapidement, y compris lorsqu’il parvient de la part des extrémistes d’al Qaïda et de l’Etat Islamique.

Lors de son discours du 1er janvier, s’adressant devant les dignitaires religieux, à la Fondation Al Azhar – qui se teniat pour marquer l’anniversaire du Prophète Mahomet – el-Sissi les a appelé à promouvoir une lecture des textes islamiques d’une façon nouvelle et « vraiment éclairée », de façon à reconsidérer des concepts «qui ont été consacrés depuis des centaines d’années.

Par de tels systèmes de pensée, le monde islamique « est en train de se faire des ennemis à travers le monde entier. Aussi, 1, 6 milliard de gens (dans le monde musulman) en viendraient à tuer les 7 milliards du monde entier ? C’est impossible… nous avons besoin d’une révolution religieuse ».

Les radicaux – et les opposants islamistes d’al-Sissi, qui ont de nombreux adepyes religieux – ont dénoncé avec colère les propos d’Al-Sissi, en affirmant qu’il tentait de coroompre la religion. Même les Laïcs, qui devraient, normalement, aider à promouvoir une interprétation plus moderne de l’Islam, ont froncé les sourcils, quant à l’approche statique d’al-Sissi, face à un problème aussi compliqué. « Une révolution approuvée par l’Etat ? », s’interroge Amina Khairi, éditorialiste au sein du journal al-Watan, généralement favorable à l’Etat.

Et même des responsables religieux proches de l’Etat repoussent l’idée de l’emploi du mot « révolution » et toute idée d’un changement radical.

Affifi, d’Al-Azhar, a déclaré à l’AP qu’Al-Sissi ne voulait pas dire qu’il fallait changer les textes – un point qu’al-Sissi a rapidement tenu à rendre clair, lors de son discours.

« Ce que le Président a voulu dire, c’est qu’il nous faut aboutir à une lecture contemporaine des textes religieux, pour faire face à notre réalité contemporaine », a précisé Affifi, qui est secrétaire-général du Centre de Recherche Islamique. Le centre est un organisme d’Al-Azhar, responsable de l’étude des thèmes islamiques et de la formation de prêcheurs capables d’expliquer les affaires religieuses, à l’attention de la police, de l’armée, des écoles, du gouvernement et des entreprises privées. Il est aussi responsable de la censure.

Il a déclaré qu’Al-Azhar travaille déjà depuis des mois autour d’une telle campagne, à la suite des appels à la modernisation de la foi qu’a fait Al sissi, depuis sa campagne présidentielle de mai. Des Commissions examinent les manuels utilisés dans le vaste réseau des hautes écoles et des universités qu’Al Azhar dirige à travers toute l’Egypte, afin de supprimer des choses qui « n’ont pas leur place dans la vie moderne ». Les textes portant sur l’esclavage et le refus de saluer les Chrétiens et les Juifs, par exemple, ont été supprimés.

Affifi affirme que les postures autour de problèmes comme l’esclavage, le Jihad et les relations envers les non-Musulmans ont été adoptées par des érudits il y a cinq cent ans, dans un contexte politique et historique particulier. « Il s’agissait des opinions des savants, mais ces interprétations n’ont rien de sacré ».

Il s’agit aussi d’une poussée visant à encourager un nationalisme que les dirigeants perçoivent comme un sentiment religieux trop modéré. Cette semaine, al-Sissi a assisté aux offices de Noël des Chrétiens orthodoxes coptes d’Egypte et il a déclaré que les Egyptiens ne devraient pas se percevoir comme Chrétiens ou Musulmans, mais d’abord comme Egyptiens.

Le Cheikh d’Al Azhar a lancé une campagne, au sein des écoles et des universités, pour promouvoir le message disant que « l’amour de la Nation fait partie intégrante de la foi », selon Affifi. Al-Azhar projette aussi d’introduire un cours de culture islamique totalement rénové dans toutes les universités d’Egypte, d’après Affifi.

Les Frères Musulmans

Pour Al Sissi, son élan vers la modernisation n’est pas seulement lié à la violence des groupes extrémistes au Moyen-Orient et à travers le monde. Il s’enracine aussi profondément dans sa rivalité politique avec les Frères Musulmans. Al-Sissi, alors chef de l’armée, a mené le renversement d’un Président élu issu des Frères Musulmans, en juillet 2013, et depuis lors a frappé dur dans la répression des Islamistes, faisant des centaines de tués dans des combats de rue et des milliers de prisonniers.

Pour contrer les prétentions des Islamistes au monopole de la religiosité, al-Sissi s’est présenté, tout au long de sa montée en puissance, comme un promoteur pieux d’un courant majoritaire d’Islam modéré.

En même temps, son gouvernement a montré assez peu de tolérance envers la dissidence d’où qu’elle vienne. Cela soulève un problème majeur avec sa « révolution religieuse » – le contrôle de l’Etat sur la réforme religieuse risque juste de l’étouffer. Al-Azhar a toujours prétendu être le bastion de l’Islam « modéré », mais elle a condamné au silence les réinterprétations progressistes et libérales, au moins aussi souvent que les radicaux le font.

« Toute modernisation religieuse se fera, en définitive, contre l’avis d’Al Azhar, puisque c’est la forteresse conservatrice du système », affirme Amr Ezzat, chercheurs sur les questions religieuses du mouvement de l’Initiative égyptienne pour les Droits Individuels ». « L’Autorité de la religion sur la vie moderne et les lois est, précisément, le point qui doit être revu de fond en comble. Ce dont nous avons le plus besoin c’est de la liberté d’avoir un discours religieux pluraliste permettant d’enrichir la discussion, parce que, comme cela se présente, c’est le pluralisme qui est hors-la-loi ».

Le contrôle d’al Azhar par l’Etat rend bien moins probable que les plus vulnérables au Jihadisme puissent essayer d’entendre ce message.

Si le Cheikh d’Al-Azhar s’exprime contre le radicalisme – comme il le fait souvent – « Personne qui soit fortement incliné à une interprétation violente ne se laissera impressionner par cela », déclare H.A. Hellyer, chercheur au Centre d’étude des politiques Moyen-Orientales de l’Institut Brookings à Washington. « Ils se contenteront de dire : « Vous êtes un allié de l’Etat, et non une personnalité authentiquement indépendante ».

Comme Ezzat, il pense qu’il ne peut y avoir que des voix indépendantes qui puissent formuler un contre-argumentaire à la pensée Jihadiste. Mais Al-Sissi ne montre aucun signe de volonté à l’autoriser, précise Hellyer.

Son point de vue est que le domaine de la Foi « doive rester quelque chose de relativement docile aux besoins de l’Etat, plutôt qu’un champ d’expérience indépendant », affirme Hellyer.

Associated Press

Publié le : 08. 01.15, 12:07 / [Israel NewsArticle original

Adaptation : Marc Brzustowski.

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