Le sabotage d’un gazoduc dans le Sinaï par des commandos infiltrés du Hamas et d’al-Qaida est un mauvais présage pour la frontière sud d’Israël. L’Etat-Major israélien se prépare à devoir se défendre sur une frontière de 270 kilomètres pacifiée depuis 32 ans.

La chute de Hosni Moubarak et la nouvelle situation politique en Egypte contraignent le gouvernement israélien à une redéfinition totale de sa stratégie vis-à-vis de son voisin du sud avec lequel il a partagé 32 années de paix froide, certes, mais aussi de complicité cachée. Le nouveau chef d’Etat-Major, le général Benny Gantz, qui prend ses fonctions le 14 février, a finalement été préféré à Yoav Galant empêtré dans une affaire judiciaire. Il lui revient la tâche de construire la nouvelle philosophie de la défense du pays.

La génération actuelle des militaires israéliens n’a plus l’expérience du combat dans le désert parce qu’elle a été formée pour s’opposer aux milices du Hamas et du Hezbollah. La dernière guerre du désert date de 1973. L’éventualité de l’ouverture d’un front contre l’Egypte nécessitera donc de remodeler l’armée du sud qui risque d’avoir à contrôler une frontière de 270 kms de long, jusqu’alors pacifiée.

Le Hamas aux commandes

Les services de renseignements ont révélé que le Hamas voulait profiter de l’instabilité de l’Egypte pour utiliser le Sinaï comme base opérationnelle contre Israël. Ils ont établi qu’un de ses commandos a fait sauter, le 5 février, le gazoduc alimentant Israël et la Jordanie. Des centaines de militants ont réussi à traverser la frontière pour s’infiltrer au nord du Sinaï, aussitôt suivis par des combattants d’al-Qaida arrivés d’Irak. Ils ont d’ailleurs créé un centre de commandement commun pour coordonner leurs opérations avec des éléments liés aux Frères musulmans égyptiens.

L’opération a été menée par des méthodes militaires avancées puisque deux équipes ont été dépêchées, l’une à la station de Cheikh Zoweid et l’autre, un kilomètre plus loin pour garantir la réussite du sabotage. Le lendemain, l’armée égyptienne a arrêté un troisième groupe de trois palestiniens du Hamas et de deux bédouins chargés de faire sauter la section sud de l’oléoduc. Les services de renseignements israéliens ont révélé que les cellules d’al-Qaida dirigeaient les opérations dans la région puisque l’Armée de l’islam, sous la conduite de son chef, Mumtaz Doghmosh, a aidé le Hamas à exfiltrer des militants pour les équiper d’armement et d’explosifs et les placer à la frontière avec Israël.

Israël se méfie de ces bandes incontrôlables qui veulent porter le combat jusque chez lui d’autant plus qu’il se confirme que 22 chefs militants islamistes ont été libérés de prison en Egypte par un commando de plusieurs véhicules blindés du Hamas, lourdement armés, qui ont échappé à l’interception des soldats égyptiens occupés au maintien de l’ordre dans les villes. Le commando en a d’ailleurs profité de libérer un commandant du Hezbollah, Sami Shehab. Cette situation a convaincu les israéliens qu’ils avaient intérêt à permettre à 800 soldats égyptiens motorisés d’entrer dans le Sinaï, l’accord de paix signé en 1979 garantissait une démilitarisation de la région.

Soutien affiché des américains

Sur le plan plus politique, les israéliens ont peu communiqué sur la situation en Egypte. Ils estiment qu’il est trop tôt pour se prononcer et conseillent la prudence à tous les commentateurs. Ils étaient parvenus à la conclusion que seul un coup d’Etat militaire pouvait éviter l’anarchie qui se développait au Caire. Le vice-président Omar Souleiman, qui entretient d’excellentes relations avec les dirigeants israéliens, avait informé ses homologues qu’il n’y avait pas d’autre issue à la crise. Les Etats-Unis ont décidé de l’aider par une opération de dissuasion en demandant à l’armée américaine d’afficher sa présence le long du canal de Suez, prés d’Ismaïlia. Le porte-avions USS Kearsarge accompagné de six navires de guerre était sur zone. Cette armada était couverte par le sous-marin furtif l’USS Scranton.

Echanges israélo-égyptiens

Le gouvernement israélien a tenté de minimiser les inquiétudes dans le pays notamment car il a multiplié les échanges avec les autorités provisoires égyptiennes. Le ministre de la défense Ehud Barak s’est entretenu au téléphone, le 12 février, avec son homologue égyptien, le maréchal Mohamed Tantawi, pour approuver la consolidation de la défense du Sinaï par l’introduction autorisée d’un deuxième contingent de 900 soldats de la 18ème division après les 800 qui s’étaient déjà installés.

Le Haut Conseil de l’Armée est pour l’instant en phase avec le gouvernement israélien pour réduire le danger des groupes du Hamas et d’al-Qaida dans le Sinaï. Il a tenu à rassurer officiellement Israël en s’engageant à «honorer toutes les obligations régionales et internationales et les traités.» Benjamin Netanyahou a pu pousser un soupir de soulagement: «Le traité de paix de longue date entre Israël et l’Egypte a été grandement bénéfique pour les deux parties et représente la pierre angulaire pour la paix et la stabilité dans l’ensemble du Moyen-Orient».

Le maréchal Tantawi a prévenu que les militaires allaient quitter les villes pour protéger le Sinaï tandis que les forces de sécurité du ministère de l’intérieur et les forces de police se chargeraient à nouveau du maintien de l’ordre. Il s’agissait surtout d’empêcher des manifestations de fraternisation des soldats avec la population car l’armée entend rester neutre.

Scénario de 1952

S’ils sont un peu plus rassurés dans l’immédiat, les israéliens craignent à terme une réédition du scénario de 1952 à l’occasion du coup d’Etat militaire des Officiers Libres contre le roi Farouk d’Egypte. Le Conseil révolutionnaire présidé par le général Naguib s’était fait progressivement confisquer le pouvoir par le jeune colonel Nasser, totalement inconnu. Les chefs militaires égyptiens actuels sont vieux et dépassés à l’instar du maréchal Tantawi, 76 ans, ou peu charismatiques et peu populaires comme le chef d’Etat-Major le général Sami Al-Anan, 63 ans.

Ces deux personnages sont en conflit permanent sur la stratégie à suivre. Le maréchal Tantawi n’attache aucune importance stratégique à la péninsule du Sinaï et ne s’inquièterait pas de la voir tomber entre les mains du triumvirat Hamas-al-Qaida-Frères musulmans. Les israéliens risquent d’avoir donc à organiser leurs propres opérations pour assurer la sécurité du sud du pays et réduire la menace. Ils risquent surtout de se trouver dans la même position que les Etats-Unis en Afghanistan condamnés à attaquer les bastions des talibans et d’al-Qaida au Waziristan, c’est-à-dire au Pakistan, un pays censé être leur allié.

Ils craignent aussi les élections, qui auront lieu dans quelques mois, pouvant donner la majorité aux islamistes parce que les problèmes sociaux n’auront certainement pas trouvé de solutions en peu de temps. Un jeune colonel inconnu risque alors de surfer sur la vague de mécontentement pour imiter le jeune Nasser de 1952. Certes, les officiers égyptiens sont formés dans les écoles militaires américaines et comptent sur les 1,3 milliards de dollars d’aide des Etats-Unis pour équiper une armée dont le matériel est purement américain. L’expérience de l’Iran qui a dû changer de fournisseur démontre la difficulté des militaires à repenser leur stratégie d’équipement.

Mais ils pourraient être influencés par certains pays arabes qui ont été outrés par le lâchage brutal de Hosni Moubarak et qui, par représailles, ont décidé de se tourner vers l’Iran. L’Arabie Saoudite a fait de telles menaces en envisageant l’ouverture de relations diplomatiques et militaires du royaume avec l’Iran. Elle pourrait financer toute velléité des jeunes militaires égyptiens, favorables aux thèses islamistes, à se détourner de l’occident. C’est dire comme la situation de la région est aujourd’hui difficile à appréhender avec certitude.

Jacques Benillouche

SLATE.fr

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