« On ne guérit pas de la Shoah », que l’on soit survivant, enfant ou petit-enfant de déporté, que l’on ait retrouvé ses parents à la Libération ou non. Enfants sauvés, enfants marqués de la Shoah

Ce constat hante l’auteur, Jean-Raphaël Hirsch. Ce constat le poursuit tout au long des 600 pages écrites avec vivacité et intensité. Même lorsqu’il tente de « sauver » son paternel de ses cauchemars nocturnes par un « Réveille-toi papa, c’est fini ! » il sait que ce n’est jamais fini. Ni pour son père, ni pour lui, ni pour ses propres enfants. Déjà trois générations sont donc marquées, différemment mais à jamais, par l’effondrement de l’Europe des Lumières.

Vies romanesques, émotion, subjectivité

Ce livre de mémoires, personnelles comme familiales, ne se réduit pas à une longue et douloureuse plainte. Il n’est pas davantage un livre d’Histoire à la recherche de l’exactitude absolue. S’y mêlent trop d’émotion, de subjectivité, de commentaires, et même quelques affirmations qui révèlent une certaine raideur intellectuelle. Mais retenons d’abord cette histoire familiale, ce récit quasi picaresque où se croisent, entre la Roumanie et la France, des rabbins, des flambeurs, des hommes d’affaires et des intellectuels. Un défilé de personnages de romans, puissants et attachants, héroïques parfois, souffrants souvent, mais toujours prêts à vivre.

Mais au-delà de cette flamboyance, l’auteur nous emmène aussi dans un moment d’Histoire de France, qui démarre avec les années 20 et n’est toujours pas terminé. Pour résumer, c’est le récit d’une relation amoureuse entre la République française et les mille et une facettes du judaïsme européen. Un lien fait de passion, de sentiment d’abandon, et de reconquête sur fond d’une insurmontable inquiétude. Une histoire colorée de moult digressions et d’esquisses de personnalités attachantes.

Les héros « ordinaires » de Moissac

Au cœur de l’ouvrage, la Seconde Guerre mondiale. Et dans ce chaos, la place des organisations juives de la résistance. Avec, chez l’auteur, un attachement tout particulier pour les scouts israélites de France, pour leur volonté et leur capacité à s’organiser en vue de sauver les enfants, en priorité, de la liquidation programmée. Qui se souvient aujourd’hui du centre de Moissac, ce bourg du Tarn-et-Garonne à partir duquel, et avec l’aide efficace de la population et de la résistance locale, des réseaux de caches fonctionnèrent jusqu’à la Libération ?

Toujours agir, ne pas subir, prendre des décisions et des risques… Une rage de vivre se dégage de ces pages, au-delà des trahisons, des faiblesses et des dénonciations. Bien sûr, les pages empruntées aux écrits du père, sur le camp d’extermination d’Auschwitz et les expérimentations « médicales » du docteur Mengele nous glacent. On est à l’os, au fond de la cicatrice. Mais le côté frénétiquement vivant de ce livre reprend le dessus : à coup de rencontres merveilleuses, Jacques Prévert et Saint-Germain-des-Prés, et d’investissement professionnel, la chirurgie. Cette drogue apaisante qui permet aussi de sauver des vies.

Toujours faire face

Parce qu’au fond, pour Jean-Raphaël Hirsch, fils d’un déporté et orphelin d’une déportée, l’essentiel est de tenir dans un environnement humain cerné par la mort. Pour ce très jeune résistant qui a traversé la guerre en acteur, le moment douloureux entre tous sera, il l’exprime sans fausse pudeur, la fin de la guerre, la Libération. C’est une épreuve. D’abord attendre les éventuels retours, puis grandir sous le regard des survivants comme sous celui des morts. Ne pas les trahir, accepter les tensions et les silences, trouver l’équilibre entre fidélité et obsession. Et aussi, être « condamné à paraître », à faire toujours bonne figure, comme le père au retour des camps et tout au long de cette vie de reconstruction.

C’est donc aussi un livre sur la quasi obligation d’étudier avec application, de travailler avec intensité, de frimer… Et « d’attendre » l’approbation du père pour se marier… De fait, Jean Raphaël Hirsch a eu besoin de coucher sur papier l’histoire de deux vies, la sienne et celle de son père, un cri commun à la face du monde : nous sommes toujours vivants !

Voué à grandir dans l’ombre de la Shoah

Le poids qui se transmet de génération en génération, c’est aussi le thème des travaux de l’historien Ivan Jablonka. Certains se souviennent sans doute de son livre Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus (Seuil). Une longue réflexion sur la génération des enfants nés de parents cachés et sauvés de l’extermination : la troisième génération, « l’ère des petits-enfants ». Il propose aujourd’hui, avec d’autres chercheurs, une réflexion sur ce qu’il nomme les « enfants-Shoah », les « héritiers d’un traumatisme » et aujourd’hui les « passeurs de mémoire ». Des enfants orphelins à qui l’on va demander de vivre, dans des familles brisées, dans des maisons d’enfants, ou que l’on va envoyer dans des contrées lointaines et inconnues : des kibboutzim d’un pays qui n’a pas encore d’existence réelle, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.

Ces enfants cachés, souvent sans patrie et aux souvenirs fragmentés, étaient environ 10.000 en France. Ce livre collectif revient sur ces itinéraires de vie et sur la façon dont ces enfants sont devenus des adultes. C’est aussi un hommage aux survivants de la résistance juive qui, à la Libération, se sont engagés dans un nouveau combat, offrir aux enfants la possibilité de grandir, de s’épanouir même, de se construire sans se détourner du passé. C’est aussi un rappel : si ces enfants sont sortis vivants de la guerre c’est parce que des familles les ont cachés et protégés, des femmes et des hommes ont accepté, au risque de leur vie, d’être pour un temps, parfois de plusieurs années, la maman et le papa de petits inconnus.

Réveille-toi papa, c’est fini !
Jean-Raphaël Hirsch
Préface de Boris Cyrulnick
Editions Albin-Michel

L’enfant-Shoah
Sous la direction d’Ivan Jablonka
Préface de Boris Cyrulnik
Editions des Presses universitaires de France (PUF)

YVES MARC AJCHENBAUM | LE 23.05.2014 À 12:47

fait-religieux.com Article original

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