Par le Général Abel Pertinax, ancien haut-responsable de l’armée française.

La première réussite de l’élimination d’Oussama Ben Laden, pour les responsables américains, est bien entendu la disparition du leader idéologique d’Al-Qaïda, leur ennemi public n°1. La seconde réussite a été de laver l’humiliation et le chagrin de « 9/11 ». La troisième réussite est d’ordre intérieur : faire remonter le Président dans les sondages après une défaite aux « mid-terms », en vue des prochaines élections de 2012.

Il faut dire que l’opération a été parfaitement préparée. Au plan du renseignement, d’abord. Les services américains étaient sur la piste de la cache d’OBL depuis longtemps. Son refuge était observé, analysé depuis des mois, mais sans doute, sans savoir au départ de quel chef terroriste il s’agissait.

A la clé, le patient travail de collationnement, d’analyse et d’interprétation des données et informations récoltées par les services ont porté leurs fruits. Les résultats des interrogatoires controversés de Guantanamo, du renseignement humain, de l’interprétation d’un flot d’images satellitaires (et de drones stratégiques) à haute résolution, des écoutes systématiques de tous les moyens de communication et de transmission de données ont vraisemblablement monopolisé l’attention et la disponibilité d’un pool de spécialistes dans chaque service de renseignement concerné.

Un patient travail de bénédictins.

Peut-être les services ont-ils finalement réussi à acheter un informateur privilégié. Ces derniers mois, ils avaient intensifié leurs efforts au Pakistan et commissionné dans la traque des Taliban et des terroristes d’Al Qaïda de nombreux agents contractuels sur le terrain, comme l’a confirmé l’affaire « Davis », du nom de cet « agent consulaire » américain, arrêté le 27 janvier dernier dans ce pays, après avoir tué deux jeunes pakistanais dans un quartier pauvre de Lahore. L’action préparatoire de renseignement fut de longue haleine. Elle a été menée de façon très professionnelle et parfaitement coordonnée entre services.

Au plan militaire, il faut d’abord préciser que contrairement à la présentation complaisante qu’en ont faite les médias, les « Seals » américains ne sont pas sans rivaux dans le monde occidental pour de telles opérations.

Outre les Israéliens, les commandos de la Marine Nationale française, tout comme le 13ème Régiment de Dragons Parachutiste de Metz-Dieuze ou le très secret « 11ème Choc » – la composante militaire du service Action de la DGSE – sont tout autant capables de mener une opération de la sorte. Sans oublier bien entendu les Britanniques, les créateurs des forces spéciales. La vraie différence réside surtout dans la sophistication et la redondance des moyens technologiques sans égaux de leurs confrères américains.

Pour leur part, les Américains se sont souvenus de la désastreuse opération Eagle Claw (serre d’aigle) – plus connue sous le nom de « Desert One » – les 24 et 25 avril 1980 en Iran, pour récupérer les otages retenus prisonniers dans l’ambassade américaine à Téhéran durant la révolution khomeiniste. Cette opération dans le désert iranien se transforma en fiasco.

Dans un « focus stratégique » publié par le Laboratoire de recherche sur la Défense (LRD) qu’il dirige à l’IFRI (Institut Français de Relations Internationales), le professeur français de stratégie Etienne de DURAND écrit en substance : « L’opération Desert One (…) constitue l’exemple le plus significatif et le plus retentissant en matière de dysfonctionnements de tous ordres : formation insuffisante des pilotes et procédures incompatibles, partage « équilibré » de la mission entre armées, absence de chaîne de commandement claire … ».

Le 1er mai 2011, rien de tout ça. La force choisie appartient à une seule armée , par souci de cohérence en matière de culture opérationnelle et de procédures. Le commando, spécialisé dans ce type d’opérations «coup de poing » a, selon toute vraisemblance, minutieusement et laborieusement répété son action aux Etats-Unis dans un centre confidentiel dédié au combat urbain.

Les protagonistes ont utilisé, en simulateur, une modélisation informatique « 3 D » du bâtiment et de son environnement que leur a préparé le renseignement militaire (ces modélisations sont possibles en utilisant les vues stéréoscopiques obtenues grâce aux satellites et aux drones d’observation, complétées par des prises de vues faites au sol).

Le commando connait ainsi par cœur le site et se répartit par équipes élémentaires, chacune responsable d’une tâche précise. Les équipages des aéronefs sont issus eux aussi du commandement USSOCOM , et sont entraînés à travailler avec les commandos, qu’ils connaissent parfois personnellement. Ce commandement fédère, sans les regrouper organiquement, les composantes des forces spéciales de chacune des quatre armées américaines (Army, Navy, Air Force, Marines).

Abbottabad est à 200 km à l’est de la frontière afghane, dans le rayon d’action des hélicoptères lourds de transport des forces spéciales américaines. Celui des hélicoptères qui a péri dans l’opération du 1er mai a révélé des améliorations significatives de sa structure au plan de sa « furtivité » (discrétion vis-à-vis des détections radar). Pour cette raison, et eu égard aux matériels sensibles embarqués sur les machines perfectionnées de ce commandement, sa destruction par le commando sur place s’explique aisément : le commando a agi froidement. Réussite militaire dans le strict respect des ordres initiaux, malgré la casse.

Au plan politique, les autorités à Washington ont suivi en direct l’opération depuis la « situation room » en sous-sol de la Maison Blanche, comme l’avait fait Kennedy lors du blocus de Cuba en octobre 1962. Elle a pu même être commandée directement depuis cette salle, grâce au vaste et performant réseau américain de transmissions satellitaires protégées.

Barack Obama était, sans nul doute, en mesure d’être en contact direct avec le chef du commando sur place, à qui il aurait pu, au besoin, donner directement des ordres.

Cette action a donc été minutieusement planifiée, préparée, commandée et exécutée.

L’opération « Géronimo » serait donc une réussite parfaite ? Sauf que l’on a assisté, aussitôt après l’annonce solennelle de la part du Président Obama de la mort de l’ennemi public n°1 de l’Amérique, à une cacophonie médiatique mal orchestrée, erratique, incohérente. Des informations sporadiques essentielles filtrent dans la presse, ou pire sont présentées officiellement au compte gouttes, sans fil directeur et visiblement non préparées, par des intervenants qui semblent improviser. Pourquoi, en outre, cet événement – déclenché après le mariage princier au Royaume Uni qui accaparait les médias internationaux – n’a-t-il pas été traité au plus haut niveau de l’Etat par la communication du Président, ou a contrario directement et intégralement par le Pentagone, une fois l’opération bouclée et exploitée par les militaires ?

Seul le commando qui a opéré sur place sait comment les choses se sont réellement passées. Seuls ses acteurs sont capables de fournir à l’autorité suprême l’ensemble des éléments, dont cette dernière aura besoin pour cadrer, consolider et finaliser son discours.

Mais pour quelques jours, les commandos ont été mis au secret après leur retour – procédure habituelle – pour être débriefés par le commandement militaire et les spécialistes des services de renseignement. Personne à Washington ne semblait le savoir, ou tout au moins ne s’est caché derrière cette excuse. Les révélations médiatiques relevaient de la plus grande prudence et du plus extrême sang froid. Or, mise à part l’annonce présidentielle dans la nuit du 1er au 2 mai, manifestement bien préparée et mise en scène, la suite de la « manœuvre médiatique » américaine donne la fâcheuse impression d’avoir été improvisée, bâclée.

Nous vivons à l’ère de la communication : c’est la phase finale de toute manœuvre, guerrière ou pas, qui ne doit pas être ratée, au risque de gâcher les phases précédentes. La réussite complète est à ce prix.

Mort de ben Laden : la CIA évalue le risque d’erreur

Et si le commando américain qui a pris d’assaut la villa d’Abbotabbad s’était trompé de cible ? Si l’analyse d’ADN qui a confirmé l’identité de ben Laden n’était pas fiable ? La CIA a rendu publique une évaluation chiffrée du risque d’erreur possible.

Depuis le 11 septembre 2001, Oussama ben Laden, introuvable cible de la guerre contre le terrorisme lancée par les Etats-Unis, était devenu le thème privilégié de multiples rumeurs. Rien d’étonnant, donc, à ce que sa mort annoncée après le raid d’un commando américain au Pakistan n’ait fait que relancer les spéculations des amateurs de tous poils des théories du complot. On le disait mort depuis des années ; à présent que cette mort est devenue officielle, et qu’elle a même été confirmée par Al-Qaïda, de nouvelles rumeurs… le disent toujours vivant.

La CIA aurait-elle pu faire erreur sur la cible ? Des responsables américains du renseignement ont voulu fournir samedi une évaluation de ce risque. S’appuyant sur le taux de fiabilité des tests photographiques, puis génétiques pratiqués post mortem, ils ont sorti leurs calculettes pour chiffrer les probabilités d’erreur sur l’identité d’Oussama ben Laden.

Les spécialistes de la CIA ont d’abord comparé les photographies de la dépouille de ben Laden à d’autres prises de son vivant et ont ensuite comparé un échantillon de son ADN à « un profil complet réalisé à partir de sa grande famille élargie », a déclaré à la presse un haut responsable du renseignement. « En se fondant sur cette analyse, l’ADN est incontestablement le sien. La possibilité d’une erreur d’identité sur la base de cette analyse est approximativement de une pour 11,8 mille billions », a-t-il ajouté. Mille billions équivalent à 10 élevé à la puissance 15. Pour le responsable, il ne fait donc aucun doute que le commando des SEALS intervenu au Pakistan le 1er mai a bien abattu Oussama ben Laden.

Zawahiri, absent du premier communiqué d’Al Qaida après Ben Laden

Succession. Il y a un grand absent dans le communiqué d’Al Qaida, confirmant la mort de son chef : Ayman al-Zawahiri, celui que l’on présente généralement comme le numéro 2 de l’organisation terroriste, et qui devrait donc succéder à Oussama Ben Laden.

Dans ce texte, publié vendredi sur des sites islamistes mais daté de mardi, deux jours après la disparition de Ben Laden, le commandement d’Al Qaida s’engage à « poursuivre sur la voie du djihad, tracée par nos dirigeants et à leur tête cheikh Oussama, sans hésitation ou réticence ». Mais rien n’est dit sur l’homme qui pourrait prendre les rênes d’une organisation, déstabilisée par la liquidation de son chef. Sans doute parce que le choix de son successeur n’est pas fait, et que la priorité des dirigeants restants est aujourd’hui de se protéger contre de nouveaux assauts américains.

L’Egyptien al-Zawahiri ne fait pas l’unanimité, notamment parmi les djihadistes issus de la Péninsule arabique, qui n’ont jamais accepté la main mise des Egyptiens autour de Ben Laden. On évoque parfois Mohammed Ben Laden, un des fils du leader assassiné pour lui succéder. Il ne figurait pas parmi les occupants de la maison d’Abbottabad, prise d’assaut par les Forces spéciales américaines dimanche dernier. Peut-être un signe.

La hantise de Ben Laden: être capturé vivant par les Américains

Le chef d’Al Qaida l’avait dit à plusieurs reprises à son garde du corps, Nasser al-Bahri : « Je ne veux surtout pas être capturé vivant par les Américains », confiait-il depuis une maison secrète d’Al Qaida à Kaboul quelques jours après les attentats meurtriers contre les ambassades américaines au Kénya et en Tanzanie en aout 1998 (voir notre livre Dans l’ombre de Ben Laden aux éditions Michel Lafon).

Voici ce qu’Oussama Ben Laden disait alors à Nasser al-Bahri – alias Abou Jandal – en lui confiant le pistolet qui devait servir à le tuer de deux balles dans la tête : « J’espère que Dieu ne le voudra jamais, mais si un jour l’ennemi nous assiège, et si nous sommes sûrs d’être arrêtés, je préfère recevoir deux balles dans la tête, plutôt que d’être fait prisonnier. Je ne dois absolument pas être capturé vivant par les Américains. Je veux mourir en martyr, mais surtout pas finir en prison ».

Que faisait donc le garde de Ben Laden hier matin, lorsque les Forces spéciales américaines l’ont abattu dans une villa près d’Islamabad? A-t-il failli à sa mission de tuer son chef ? A moins qu’Oussama Ben Laden ne disposait plus déjà de centurion autour de lui ? Autre hypothèse : Ben Laden a pu être liquidé par un de ses gardes ou un de ses fils, avant que les Américains ne s’octroient la paternité de la disparition de l’homme le plus recherché au monde.

Autre précision, selon ses proches, Ben Laden ne possédait pas de pilule de cyanure sur lui, le suicide étant très mal vu en islam.

Finalement, le chef d’Al Qaida est mort, comme il le souhaitait, c’est-à-dire au combat, l’arme à la main qui ne le quittait jamais, face à ses ennemis américains. Histoire de conforter sa légende.

Par Georges Malbrunot

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