Deux semaines pendant lesquelles il ne s’est pratiquement pas passé un jour sans qu’une nouvelle révélation ne fasse glisser, chaque fois un peu plus, l’affaire Bettencourt vers ce qui est désormais l’affaire Woerth.
Eric Woerth n’a décidément pas eu un moment de répit ces quinze derniers jours. Depuis la publication dans la presse des extraits d’enregistrements pirates de conversations entre Liliane Bettencourt et le gestionnaire de sa fortune, c’est l’effet domino : les révélations, toutes plus embarrassantes les unes que les autres pour le ministre du Travail, ne cessent de pleuvoir. En voici la chronique.
Jeudi 1er juillet
Le Point révèle que selon les enregistrements pirates réalisés par Patrice de Maistre, l’ancien maître d’hôtel de Liliane Bettencourt, l’Elysée aurait recommandé en 2009 aux proches de la milliardaire de prendre pour avocat Me Paul Lombard, en raison de ses liens avec le procureur de Nanterre Philippe Courroye. « On l’a pris parce que l’Élysée m’avait dit qu’il avait un très bon contact avec le procureur, ce qui était vrai », déclare Patrice de Maistre dans une conversation. Me Paul Lombard a représenté l’héritière de février à octobre 2009, et a tenté d’empêcher les poursuites pour « abus de faiblesse » engagées contre le photographe François-Marie Banier par sa fille, Françoise Bettencourt Meyers. Dans la même conversation, Patrice de Maistre déclare également avoir mis à l’écart l’avocat, jugeant qu’il n’était plus utile. En 2009, le procureur de Nanterre Philippe Courroye a classé l’enquête de la brigade financière, bien que celle-ci révèle des soupçons d' »abus de faiblesse » au préjudice de l’héritière de L’Oréal. Les enregistrements indiquent en outre que Patrice de Maistre en a lui-même été informé par le conseiller de l’Élysée pour la justice, Patrick Ouart, dès le 21 juillet 2009 – alors que la position du parquet n’a été exprimée publiquement qu’au mois de septembre.
Mercredi 16 juin
Mediapart et Le Point publient les transcriptions d’extraits d’enregistrements pirates de conversations entre Liliane Bettencourt et le gestionnaire de sa fortune Patrice de Maistre. Ils proviennent d’un dictaphone que l’ancien maître d’Hôtel de la milliardaire a dissimulé, entre mai 2009 et mai 2010, dans la salle de l’hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine où elle a l’habitude de tenir ses réunions d’affaires. Ce dernier les a transmis à la fille de l’héritière de L’Oréal, Françoise Meyers-Bettencourt, qui elle-même les a apportés à la police. Ces conversations mettent en lumière les « fragilités » psychologiques de la milliardaire, âgée de 87 ans. Mais elles révèlent aussi des « opérations financières destinées à échapper au fisc », des « relations avec le ministre Woerth et son épouse » (chargée de la gestion de la fortune de Liliane Bettencourt entre 2007 et début 2010, au sein de la société Clymène, dirigée par Patrice de Maistre) et « des immixtions de l’Elysée dans la procédure judiciaire ».
On y apprend ainsi qu’Eric Woerth a permis à Liliane Bettencourt d’obtenir un bâtiment de l’Hôtel de la Monnaie, où doit être construit un auditorium ‘André Bettencourt’, du nom de son défunt mari. On apprend aussi que Liliane Bettencourt, à la demande de Patrice de Maistre, a signé des autorisations de paiement à Valérie Pécresse, Eric Woerth et Nicolas Sarkozy.
Les conversations captées clandestinement chez Liliane Bettencourt évoquent par ailleurs des interventions de Patrick Ouart, ancien conseiller pour les affaires judiciaires de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, dans le dossier avant mais aussi après son départ du Château.
Autre perle de ces enregistrements, les discussions sur le meilleur moyen de mettre la fortune de Liliane Bettencourt à l’abri du fisc. On y apprend l’existence de deux comptes cachés en Suisse, l’un de 13 millions d’euros, l’autre de 65 millions d’euros (dont l’existence sera confirmée la semaine suivante par Patrice de Maistre). Et que la milliardaire possèderait un îlot aux Seychelles, l’île d’Arros, apparemment non déclaré à l’administration, dont le photographe François-Marie Banier serait le propriétaire officieux par l’entremise d’une société au Liechtenstein…
Jeudi 17
Deuxième salve de Mediapart, qui s’intéresse maintenant exclusivement aux enregistrements faisant référence au couple Woerth. Le site soupçonne Eric Woerth de s’être rendu coupable de conflits d’intérêts. Mediapart publie donc une nouvelle fois l’extrait dans lequel Patrice de Maistre affirme que c’est grâce au ministre que les Bettencourt ont obtenu l’Hôtel de la Monnaie. Dans un autre extrait, le gestionnaire suggère qu’il serait bon de se séparer de Florence Woerth, et, pour ne pas froisser le ministre, il émet l’idée de… lui donner de l’argent.
Lundi 21
– Mediapart enfonce le clou en publiant les extraits sonores des enregistrements qu’il avait jusque là seulement transcrits.
– Liliane Bettencourt annonce la régularisation fiscale de l’ensemble de ses avoirs « qui seraient encore aujourd’hui à l’étranger ». Elle confirme ainsi qu’elle avait bien mis une partie de sa fortune à l’abri du fisc.
– Dans la foulée, une autre nouvelle peut elle aussi être comprise comme un aveu : le ministre du Travail annonce que son épouse va quitter prochainement la société Clymène. Bien qu’Eric Woerth s’en défende, l’annonce de ce départ sonne comme la reconnaissance de l’existence d’un conflit d’intérêts.
Mercredi 23
Le Nouvel Observateur révèle qu’Eric Woerth, alors encore ministre du Budget, a remis, en 2008, la Légion d’honneur à Patrice de Maistre. Une information embarrassante pour le ministre, qui n’a eu de cesse, depuis une semaine, de prendre ses distances avec l’univers Bettencourt.
Vendredi 25
– Bakchich.info affirme qu’Eric Woerth ne « pouvait rien ignorer des manigances » entre François-Marie Banier et Liliane Bettencourt. Car selon le site, le photographe figurait dans la liste de 500 Français considérés comme « touristes fiscaux » au Liechtenstein, obtenue par le ministère des Finances. Le fisc aurait enquêté pendant deux ans sur le dossier de François-Marie Banier, sans qu’aucune conclusion ne soit rendue.
– Le même jour, l’hebdomadaire Marianne (daté du 26 juin), accuse le parquet de Nanterre de ne pas avoir alerté le fisc sur de possibles fraudes fiscales de Liliane Bettencourt. Le parquet « avait entre ses mains, dès mars 2008, tous les éléments nécessaires pour alerter l’administration fiscale et déclencher une enquête », écrit le journal. Faux, répond le procureur de la République, Philippe Courroye, qui assure que le parquet de Nanterre avait bien alerté le fisc en janvier 2009 sur ces possibles fraudes fiscales.
– Aux prises avec cette nouvelle polémique, Eric Woerth est contraint et forcé de s’expliquer une nouvelle fois. Il annonce alors avoir lui-même autorisé, en 2009, un contrôle fiscal… de François-Marie Banier. Rien, en revanche, sur Liliane Bettencourt. Ce que le directeur général des Finances publiques du ministère du Budget, Philippe Parini, confirme dans la foulée : « Il n’a reçu aucune instruction de la part d’Eric Woerth concernant le dossier fiscal de Mme Liliane Bettencourt ».
Mardi 29
Mediapart continue de fouiller. Toujours dans l’affaire Woerth. En cherchant à savoir pourquoi Liliane Bettencourt a signé un chèque à l’attention du ministre le 4 mars 2010, le site a découvert l’existence d’un curieux parti politique, agréé uniquement en Picardie, où Eric Woerth est maire de Chantilly, répondant au nom d' »Association de soutien à l’action d’EricWoerth ». Est-ce à cette Association qu’était destiné le chèque signé par la milliardaire en mars 2010 ? Une question, à cette date, sans réponse. En revanche, Mediapart, qui publie les comptes de ce parti en 2008, révèle que l’Association a bénéficié de quatre versements de la part de l’UMP : 3.000 euros les 30 mai et 24 décembre 2008, 5.250 euros le 9 mai, 55.000 euros en janvier. Et le site de conclure : « En clair, Eric Woerth, trésorier du parti présidentiel, s’arrange pour que l’UMP finance un parti politique local à son service ».
Mercredi 30
– La réponse à la question de Mediapart est donnée par le Nouvel Observateur. Dans son édition datée de jeudi, l’hebdo affirme que quatre et non pas trois chèques ont été signés par Liliane Bettencourt. Dont l’un, de 7.500 euros, a été établi, en mars 2010… à l’ordre l’association de financement de l’Association de soutien à l’action d’Eric Woerth (AFASAEW) !
Un chèque de 4.600 euros, établi à l’ordre de l’Association de soutien à Valérie Pécresse, au printemps 2010, n’aurait pas été débité. La ministre a en revanche encaissé en avril un autre chèque, cette fois de 7.500 euros. Un troisième chèque, destiné à l’association de financement de l’UMP, a été encaissé le même mois.
Le Nouvel Observateur révèle par ailleurs que Nicolas Sarkozy a rencontré personnellement deux fois, à l’Elysée, Patrice de Maistre, « pour évoquer les conséquences, sur le groupe l’Oréal, du procès intenté à François-Marie Banier par la fille de Mme Bettencourt », selon l’avocat du gestionnaire, Me Wilhelm.
– Du côté du Canard Enchaîné, on s’interroge sur un autre conflit d’intérêts possible qui impliquerait, lui aussi, Eric Woerth.
Il s’agit, cette fois, de l’affaire Wildenstein, collectionneur et marchand de tableaux mort en 2001, dont une partie du patrimoine avait été confiée à des trusts familiaux situés dans des paradis fiscaux. Ces montages financiers sont connus depuis que l’épouse du collectionneur Sylvia Wildenstein a fait porter l’affaire devant la justice, accusant ses beau-fils de l’avoir spoliée dans l’héritage. La justice a considéré, en 2008, que les fils n’étaient pas responsables des montages inventés par le père. Une décision surprenante. Mais encore plus étonnante est l’attitude du fisc, qui n’a pas réagi à ces informations. Or, Eric Woerth, qui avait alors déjà promis une lutte sans merci contre les paradis fiscaux, est lié à Guy Wildenstein, l’un des fils du collectionneur, membre fondateur de l’UMP, souligne le Canard…
– Ambiance houleuse à l’Assemblée. Depuis la veille, les questions se suivent et se ressemblent du côté de l’opposition lors de la séance de questions au gouvernement. Montage vidéo :
– Dans la soirée, le ministre du Budget, François Baroin, annonce au 20h00 de France 2 sa décision de saisir l’Inspection générale des finances. Il s’agit de « tout mettre sur la place publique », ajoute Baroin en précisant que le rapport de l’Inspection générale des finances devrait être disponible « dans une dizaine de jours ». Ce rapport sera à « la disposition d’une éventuelle commission d’enquête parlementaire », a ajouté François Baroin.
Jeudi 1er juillet
– Nouvelle révélation sur Lemonde.fr. Le site annonce qu’un dîner a eu lieu le 30 janvier 2008 chez Lilianne Bettancourt, en présence de… Eric Woerth. « Sept jours plus tôt, le 23 janvier 2008, celui-ci a remis, à Bercy, les insignes de la Légion d’honneur à Patrice de Maistre, le gestionnaire de la fortune de Mme Bettencourt », rappelle le site.
(Nouvelobs)
12h31: Bernard Accoyer, le président de l’Assemblée nationale, s’est dit favorable à une commission d’enquête parlementaire sur l’affaire, comme demandé par l’opposition.
Avec l’annonce mardi par François Baroin d’une enquête confiée à l’Inspection générale des finances sur l’affaire Bettencourt, l’UMP espère que la polémique autour d’Eric Woerth va s’éteindre. Les résultats de l’investigation devraient être rendus sous les 10 jours, a expliqué jeudi matin sur France inter Frédéric Lefebvre. «Ainsi, ceux qui se posent des questions honnêtement vont avoir des réponses: l’administration fiscale a-t-elle reçu des pressions ou non, a-t-elle fait son travail ou non? Et ensuite (…) tout le monde devra se taire et certains devront s’excuser publiquement auprès de M. Woerth», a expliqué le porte-parole du parti majoritaire.
«Situation presque incestueuse»
Un vœu pieux pour l’instant, puisque les critiques ont continué de s’abattre sur la double casquette – ministre et trésorier de l’UMP – d’Eric Woerth. Il faut construire une «muraille de Chine» entre les fonctions ministérielles et celle de trésorier d’un parti, a déclaré jeudi Jean Arthuis, le président centriste de la commission des Finances du Sénat. Lionel Jospin a également jugé sur Europe 1 qu’il fallait «éviter» le «mélange des relations privées et des rapports publics», conseillant au gouvernement de «rétablir des règles saines». Faisant référence à ses cinq années à Matignon, le socialiste a affirmé que les grands patrons «défendent leurs intérêts, font toujours du lobbying». Mais il y a «entre les dirigeants d’aujourd’hui, le président et les membres du gouvernement une proximité trop grande entre le pouvoir politique et le pouvoir de l’argent». «On est dans une situation presque incestueuse», a-t-il ajouté.
Martine Aubry a pris la défense de Ségolène Royal, attaquée pour avoir dénoncé un «système Sarkozy corrompu». «Ce qu’a dit Ségolène Royal, c’est ce que pensent beaucoup de Français: depuis le Fouquet’s, tout le monde se rend compte qu’il y a une forme de rapprochement de ceux qui sont actuellement au pouvoir avec le monde de l’argent», a-t-elle estimé dans une interview à Metro.
Un dîner chez les Bettencourt
Invitée de France info, Marine Le Pen a elle mis en cause directement l’enquête de l’Inspection générale des finances. «J’aimerais que la justice se saisisse de cette affaire, ça me paraîtrait quand même plus logique, ça éviterait la suspicion de juge et partie, les soupçons de pressions politiques», a expliqué celle qui brigue le fauteuil de son père à la tête du FN.
Si cette affaire enflamme la classe politique depuis une quinzaine de jours, elle ne semble pas passionner la majorité des Français, selon un sondage Opinionay pour 20 minutes. Quelque 51% des sondés ne sont pas «intéressés» par l’affaire Woerth-Bettencourt. Et d’ailleurs, 53% des personnes interrogées pensent que le ministre du Travail ne doit pas démissionner. Même tendance dans le sondage CSA pour Le Parisien également paru jeudi : quelque 42% des sondés pensent qu’il ne doit pas quitter son ministère contre 37% qui le souhaitent. Paradoxalement, toujours selon cette enquête, ils sont 56% à estimer que c’est une affaire «grave».
Marine Le Pen n’aura pas gain de cause mais les députés de l’opposition, si, probablement. Le président UMP de l’Assemblée nationale Bernard Accoyer a en effet jugé légitime leur demande de création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Bettencourt-Woerth.
Pas un jour ne passe sans une nouvelle information sur le sujet, plus ou moins importante. Lemonde.fr a révélé que le ministre du Travail, à l’époque au Budget, a dîné chez Liliane Bettencourt le 30 janvier 2008.
M.P. avec AFP
![]() |
![]() |