Maurice Berger: «Va-t-on enfin parler d’insécurité lors des élections législatives?»

FIGAROVOX/TRIBUNE – Pour le pédopsychiatre Maurice Berger, les thèmes de l’insécurité et de l’application des peines devraient occuper un rôle central dans le débat public. À l’approche des élections législatives, les candidats doivent s’en saisir, argumente-t-il.

Maurice Berger est pédopsychiatre, psychanalyste, ex-professeur associé de psychologie de l’enfant. Il travaille en Centre Éducatif Renforcé et enseigne à l’École Nationale de la Magistrature. Il a publié, Sur la violence gratuite en France. Adolescents, hyperviolents, témoignages et analyses (L’Artilleur, 2019) et Faire face à la violence en France, Le rapport Berger (L’Artilleur, 2021).

Le thème de l’insécurité, une des préoccupations majeures des Français, n’a été abordé que vers la fin du débat du deuxième tour de l’élection présidentielle. Alors que Marine Le Pen évoquait l’augmentation des violences dans l’espace public, Emmanuel Macron a esquivé cette question en se centrant sur les violences intrafamiliales. Ainsi un problème essentiel n’a pas été abordé, celui de la place de la loi dans notre société.

Les lois toujours plus nombreuses de notre épais Code pénal ne sont pas appliquées ou le sont d’une manière telle qu’elles perdent sens. Or pour un certain nombre d’individus, une loi n’a pas d’existence tant qu’elle n’est pas matérialisée.

Un jeune homme de 25 ans a été frappé sans raison alors qu’il sortait d’une boîte de nuit, mis au sol, et ses agresseurs ont joué au football avec sa tête. Il a présenté des fissures du crâne, une déchirure des méninges, une pneumencéphalie, et garde des séquelles majeures. Il ne pourra probablement jamais retravailler. Lors du procès, les faits sont qualifiés de «violence suivie de mutilation ou infirmité permanente», qui peut être punie de dix ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende d’après l’article 222-9 du Code pénal. Or les deux agresseurs, récidivistes, sont condamnés à six et dix mois de prison avec sursis. Stupéfaction, le parquet ne fait pas appel. Donc les auteurs pensent probablement qu’ils peuvent recommencer. Malgré un casier judiciaire fourni, beaucoup d’agresseurs déclarent aux enquêteurs ne jamais avoir été condamnés, parce qu’ils n’ont jamais été en prison.

Il ne s’agit pas d’être un Fouquier-Tinville voulant remplir à tout prix les prisons, mais de diminuer un peu le nombre de citoyens admis dans les services de réanimation, chirurgie, et rééducation, voire dans les cimetières. Maurice Berger

Les soignants, dont je fais partie, savent que de tels exemples sont fréquents: la sacro-sainte proportionnalité de la peine ne vise pas une proportionnalité par rapport à la gravité de l’atteinte à l’intégrité physique. Sa définition est double: la peine fixée ne doit pas dépasser ce qui est strictement et évidemment nécessaire et ne pas dépasser les maximums prévus par la loi. À quoi est-elle proportionnelle alors ? Actuellement, la peine est devenue proportionnelle à une sorte de mentalité de groupe, une moyenne coutumière. Ainsi vivons-nous avec des lois souvent «mortes-nées» ou transparentes. Il ne s’agit pas d’être un Fouquier-Tinville voulant remplir à tout prix les prisons, mais de diminuer un peu le nombre de citoyens admis dans les services de réanimation, chirurgie, et rééducation, voire dans les cimetières.

Depuis au moins dix ans, en fait plus, nous sommes dans une politique antipénale, titre d’un article de Francis Casorla dans le dernier numéro (18) de la Revue Française de Criminologie et de Droit Pénal. Et Dominique-Henri Matagrin ajoute que: «La justice pénale est d’abord une justice a-pénale, juger sans punir». Ainsi se réalise le rêve de Michel Foucault. Un juge qui se mettrait à appliquer un peu plus la loi aurait toute chance de se trouver assez isolé, voire désavoué en appel. Et tout gouvernement qui tenterait d’impulser une telle politique pénale, inverse de la loi Belloubet, serait qualifié de tyrannique.

Dans les « quartiers » règne souvent la loi du plus fort, ou la loi du clan, code de l’honneur supérieur aux lois de la République, ou encore la loi liée aux coutumes. Maurice Berger

Il existe un autre enjeu, de taille. Alors que le Président de la République à peine élu déclare être le Président de tous les Français, la première condition pour le «vivre ensemble» dont on nous rebat les oreilles est l’acceptation par tous d’une loi commune. Parce que vivre en présence d’une autre personne ou d’un groupe nécessite comme préalable de se sentir en sécurité. Il est donc indispensable d’être sûr qu’il y aura un respect de son intégrité physique, de sa personne, donc pas de menaces ou d’humiliation, de son territoire c’est-à-dire de son domicile. Sans la certitude d’une sécurité réelle ou sans sentiment de sécurité, il est difficile de mettre quoi que ce soit en commun. Mais quel archipel en réalité ! Dans les «quartiers» règne souvent la loi du plus fort, ou la loi du clan, code de l’honneur supérieur aux lois de la République, ou encore la loi liée aux coutumes. Dans une partie de la société civile, les «antifas» cherchent à imposer leur loi en interdisant de penser autrement qu’eux. Les minorités essayent sans cesse de modifier les lois communes et d’obtenir des lois particulières au nom de leurs désirs individualistes.

Que reste-t-il de la loi ? Apparemment, là n’était pas le débat. Apparaitra-t-il lors des législatives ?

Par Maurice Berger   Lefigaro

«Sans la certitude d'une sécurité réelle ou sans sentiment de sécurité, il est difficile de mettre quoi que ce soit en commun»
«Sans la certitude d’une sécurité réelle ou sans sentiment de sécurité, il est difficile de mettre quoi que ce soit en commun» AFP

 

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