Les enfants enseigneront à leurs parents

Dans une conversation empreinte d’une sincérité palpable au journal en ligne Desk_russie, Anatoli Podolsky, historien de la Shoah en Ukraine, dévoile les racines et l’évolution du Centre ukrainien de recherches sur l’Holocauste, dont il assume la direction. Pour comprendre la genèse de cet engagement, il nous transporte dans les années 1990, période charnière marquée par la naissance de l’Ukraine indépendante.

Anatoli Podolsky révèle que ses premiers pas dans ce domaine remontent à ses années d’études à l’Université pédagogique d’État Drahomanov de Kyev, où il s’est immergé dans l’histoire. Sous la tutelle du professeur Mykhaïlo Koval, il entreprend une thèse pionnière sur le génocide des Juifs d’Ukraine entre 1941 et 1944, qu’il soutient en 1996 à l’Académie nationale des sciences d’Ukraine. Une démarche novatrice à une époque où ce sujet demeurait largement tabou.

Toutefois, l’engagement de Podolsky va au-delà de la recherche académique. En effet, durant plus d’une décennie, il enseigne l’histoire dans une école juive récemment fondée à Kyev, où il témoigne d’un phénomène de transmission culturelle inversée : les élèves réintroduisent la culture juive dans leurs foyers, bouleversant ainsi les conventions établies. Ces expériences enrichissantes nourrissent la conviction profonde de Podolsky quant à l’importance de préserver la mémoire collective.

C’est en 2002 que sa vie bascule avec la création du Centre ukrainien de recherches sur l’Holocauste, fruit d’une collaboration avec d’autres intellectuels et historiens ukrainiens. Depuis lors, cet organisme à but non lucratif s’engage pleinement dans la préservation de la mémoire des Juifs d’Ukraine, à travers des projets de recherche, d’enseignement et de publication. Cette initiative, portée par une volonté de reconnaissance et de justice, s’inscrit dans une dynamique de coopération entre la société civile et les institutions éducatives.

Interrogé sur l’évolution de la reconnaissance de ces travaux au sein de la société ukrainienne, Podolsky évoque un changement significatif. Les recherches sur la Shoah ont gagné en visibilité et en légitimité, notamment à travers l’intégration de cours spécifiques dans les programmes scolaires et universitaires. Cette évolution, fruit d’une nouvelle génération d’historiens et d’une ouverture accrue des archives, témoigne d’une volonté de rupture avec le silence imposé sous le régime soviétique.

En soulignant la liberté académique dont jouissent les enseignants ukrainiens, Podolsky met en lumière une réalité contrastée avec celle d’autres pays de la région, tel que le Bélarus, où les droits de l’Homme demeurent un sujet sensible. Cette mise en perspective souligne l’importance de la lutte pour la préservation de la mémoire historique et des valeurs humaines fondamentales, un combat auquel le Centre ukrainien de recherches sur l’Holocauste contribue activement depuis plus de deux décennies.

Au cœur de la politique mémorielle de l’Ukraine se trouve la polémique entourant le site commémoratif de Babyn Yar. Ce lieu tragique, marqué par les massacres de milliers de victimes durant la Seconde Guerre mondiale, cristallise les enjeux de mémoire et de reconnaissance.

Depuis 1991, des efforts ont été déployés pour honorer la mémoire des victimes de Babyn Yar. Vitali Nakhmanovytch, historien de renom, consacre deux décennies à l’étude de cet épisode sombre de l’histoire ukrainienne, contribuant ainsi à sensibiliser le public à cette tragédie. Le Musée d’histoire de Kyev a notamment créé une exposition virtuelle dédiée à Babyn Yar, avec la participation active du Centre ukrainien de recherches sur l’Holocauste.

Cependant, malgré la présence de 36 monuments et panneaux commémoratifs sur le site, l’absence d’un musée dédié demeure une lacune importante. La création en 2007 de la Réserve nationale historique et mémorielle de Babyn Yar sous la présidence de Youchtchenko n’a pas permis de pallier cette carence.

La situation prend une tournure controversée en 2016, lorsque sous la présidence de Porochenko, un fonds privé, le Centre mémoriel sur l’Holocauste « Babyn Yar », financé par des oligarques liés à Poutine, émerge soudainement. Cette initiative suscite des interrogations et des critiques, certains y voyant une tentative de manipulation de la mémoire à des fins politiques.

Anatoli Podolsky, directeur du Centre ukrainien de recherches sur l’Holocauste, dénonce fermement cette ingérence et refuse tout soutien financier venant de cette source. Il souligne que la société civile ukrainienne s’est mobilisée pour contrer les narratifs prorusses véhiculés par ce fonds privé.

Malgré les bouleversements causés par le conflit avec la Russie, les initiatives de préservation de la mémoire perdurent. Les partenariats internationaux, tels que celui avec le Mémorial de la Shoah en France, continuent d’apporter un soutien précieux.

Cependant, la guerre a imposé de nouvelles difficultés. Les membres du Centre ukrainien de recherches sur l’Holocauste se retrouvent confrontés à des défis personnels et professionnels, certains étant mobilisés sur le front tandis que d’autres luttent pour maintenir leurs activités malgré les obstacles.

Dans ce contexte, Anatoli Podolsky évoque également la renaissance de la culture yiddish dans l’Ukraine indépendante. Il rappelle les efforts entrepris pour redécouvrir et transmettre cette langue et cette culture, longtemps opprimées sous le régime soviétique. Malgré les cicatrices du passé, de nombreux Ukrainiens, jeunes et moins jeunes, se tournent vers le yiddish comme un moyen de renouer avec leurs racines et de préserver leur identité.

La polémique entourant le site mémoriel de Babyn Yar illustre ainsi les enjeux complexes de la mémoire collective en Ukraine, où passé et présent se mêlent dans un combat pour la vérité et la reconnaissance des souffrances subies.

Le renouveau du judaïsme en Ukraine permet à la nouvelle génération de fréquenter le talmud Torah et d’apprendre les us et coutumes juives. Ce sont eux désormais qui, en rentrant chez eux, enseignent à leurs parents qui n’ont pas pu apprendre en raison des régimes successifs depuis la Seconde Guerre mondiale. Malgré les obstacles, le judaïsme renaît dès que la liberté est retrouvée.

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