Elisa Klapheck, Zur politischen Theologie des Judentums. Euorppäische Verlaganstalt : Théologie politique et judaïsme.

Quand on parle de théologie politique, on évoque immédiatement le nom de Carl Schmitt, le grand juriste allemand, compagnon de route des Nazis, avant de s’en détourner in extremis, ce qui lui sauva la mise face aux tribunaux des Alliés. En effet, dès 1922, le fameux juriste en question avait réuni quatre conférences sur la théologie politique (Politische Theologie) en un volume unique auquel il donna le titre que l’on sait. Mais en réalité, c’est un auteur bien plus ancien et plus fameux qu’il nous faudra citer si nous avons envie de traiter de ce thèmes au sein du judaïsme rabbinique.

Il s’agit assurément de l’ouvrage de Saint Augustin, intitulé La cité de Dieu. Ce sont les réflexions que le Père de l’église a voulu réaliser, alors qu’il allait mourir dans la ville d’Hippone assiégée par les Vandales, dans l’espoir d’être le plus près et le plus fidèle au model divin . Il s’agissait pratiquement d’instaurer ici bas le royaume de Dieu sur terre, en gros le paradis sur terre. Ce qui correspond à la notion rabbinique exprimée en langue araméenne : gan Eden alé adamot….

Se rendant compte qu’une telle translation relevait du vocabulaire et du domaine du divin et non du terrestre et de l’humain, saint Augustin a opté pour une approche plus réaliste, dans le sens qu’il donnait à ce terme…

Dans ce papier je propose de poursuivre cette attitude dans le domaine de la réflexion religieuse juive où la notion de théologie politique n’a pas la même envergure si l’on compare ces thèmes à venir avec le réel historique : le christianisme a su déployer cette théologie politique à l’échelle mondiale : la grandeur de Rome convertie à la cause chrétienne donnait un espace incomparable à la religion chrétienne… D’où la corrélation entre cette théologie et cette politique. Cet aspect des choses n’apparaît pas et ne pouvait pas apparaître dans le cas du judaïsme, lequel avait cessé d’exister politiquement dès les premiers siècles de l’ère chrétienne. La petite Judée fera parler d’elle plus tard, mais jamais dans les mêmes proportions.

Je propose, à la suite de cette femme-rabbin, de me concentrer sur quelques notions rabbiniques qui illustrent la volonté des docteurs des Écritures de compléter le texte biblique, parfois même de le corriger et donc d’assumer leur rôle dans une entreprise qui les dépassait largement. Voici de quoi il s’agit de :

Tikkun olam (La réparation du monde)
Dina de malkhota dina (la loi du royaume, c’est la loi)
Tsélém Elohim (de quelle image de Dieu s’agit-il ?)
Les lois des fils de Noé, (l’humanité civilisée qui adopte sept lois sans lesquelles l’humanité basculerait irrémédiablement dans l’animalité.)
PIkkouah néféch : (c’est toujours la vie qui prime sur tout)

Dans ces cinq cas, mais il en existe quelques autres , la tradition orale, l’exégèse rabbinique a permis de neutraliser les effets indésirables comme dans le cas du prosboulon de Hillel dans le traité talmudique Guittin (folio 36a). Il est question de l’abandon des créances aux alentours de la septième année, conformément à la législation biblique. Cette législation biblique pouvait ouvrir la voie à des effets secondaires contraires à l’esprit de la loi en elle-même…. Certains esprits malhonnêtes pouvaient profiter de cette généreuse loi pour gruger les créanciers, ce qui serait ni plus ni moins qu’une spoliation, permettant de profiter d’un abandon de créances… Le prosboulon instauré par Hillel a remis l’église au milieu du village t(sic) : car les créanciers n’auraient plus voulu accorder des crédits et des prêts, ce qui aurait eu pour effet de blpquer l’économie.. Cet exemple de théologie politique montre que les autorités compétentes ont su redresser une situation périlleuse, en tenant compte du principe de réalité… Je ne m’engage pas plus dans les détails donnés par le traité talmudique cité car cela nous mènerait trop loin.

Il suffit de dire que le principe de réparer le monde a guidé l’esprit de la réforme de la loi : on a rendu le monde meilleur, on l’a rendu plus facile et plus rationnel et surtout on a empêché une loi généreuse d’être utilisée à des fins malhonnêtes. Ce faisant, on a restauré l’harmonie cosmique partout où elle menaçait d’être absente et inefficace.

La métaphore du livre de la Genèse, connue en français sous la formule, A l’image de Dieu… n’a été prise au sens littéral que par les autorités religieuses juives ayant tourné le dos à la philosophie maïmonidienne. Cette expression a cependant fait la joie des premiers kabbalistes qui y puisèrent leurs conceptions séfirotiques de la divinité. Comme par exemple dans le Shi’ur Qoma, la Mesure de la taille ou du corps divin. Il s’agissait d’enseigner à la foule que Dieu était présent partout dans l’univers, même au prix d’en faire une entité corporelle. C’est Maimonide qui, dans son Guide des égarés, déracinera cette conception corporelle, au grand dam de Rabbi Abraham ben Davide de Parquières qui plaidait en sa faveur, en raison de ses idées proches de la kabbale.

Mais c’est l’expression La loi du royaume, c’est la loi qui constitue l’apport le plus substantiel à la théologie politique au sein du judaïsme. Cette approche est empreinte d’une grande prudence car elle se prémunit contre le fanatisme religieux, synonyme d’une attitude suicidaire : si une minorité ethnique et religieuse se met à dos le pouvoir politique, c’est à ses risques et périls.

Quant aux sept lois auxquelles sont astreints les peuples qui n’ont pas eu de révélation divine puisque la Révélation du Sinaï ne concernait que les enfants d’Israël, elles montrent que ces bénéficiaires ont eu le souci des autres peuples, leur montrant la voie à suivre pour vivre en paix et en bonne intelligence avec l’ensemble de l’humanité. Tout le monde y trouve son compte puisqu’il est interdit, par exemple, de consommer le membre d’un animal encore vivant. Or, les techniques de la chasse comportaient aussi cette mesure d’une grande cruauté : en immolant une bête avant de la consommer, on abrège prétendument ses souffrances…. Voire !

Le plus vibrant attachement à la vie se trouve dans la notion de porter secours à une personne menacée de mort. Aucune loi, aucun interdit, aucune règle ne tient face au sauvetage d’une vie humaine. Nous pensons d’abord aux lois régissant l’observance stricte du repos et de la solennité du chabbat. Dans ce cas, le théologique, le religieux, doit s’adapter face aux exigences de la loi rabbinique : le chabbat est le monument le plus imposant du judaïsme….

On voir que la loi en tant que telle n’est pas gravée dans le marbre, sauf dans l’esprit des fanatiques ; la Torah elle-même prescrit des règles qui nous permettent de vivre, la doctrine religieuse se veut synonyme de vie. Même l’opération de la circoncision qui doit être faite le huitième jour est repoussée à une date ultérieure si le nouveau-né a la jaunisse ou une autre pathologie infantile. Il s’agit de respecter sa vie, même en contrevenant aux règles. Cela relativise la formule redoutée et redoutable : yqqob ha din et ha har §la loi religieuse peut transpercer la montagne , s’il le faut. Mais cela rejoint l’adage latin : que la justice soit, le monde dût en il en périr (Fiat justicia, epreat mundus)

La maintien en vie est au-dessus de tout. C’est le meilleur exemple de la théologie politique au sein du judaïsme.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage:

CYCLE DE CONFÉRENCES 2023-2024 à la mairie du 16e arrondissement

Aux racines de la culture européenne

Après le pénible épisode de la Covid 19 et ses incontournables conséquences, les conférences mensuelles existant depuis plus d’un quart de siècle, reprennent à la mairie de notre arrondissement. Nous nous en réjouissons largement. Elles débiteront dès cet automne, à raison d’une conférence tous les deux mois.
Leur objet reste le même : réfléchir sur l’identité culturelle de l’Europe, son histoire et son avenir. On s’occupera des influences, de la diversité des apports et des changements, voire des bouleversements qui ont affecté notre continent. Plus qu’un site géographique, l’Europe est une culture.
Pourtant, il semble que les élites, appelées à défendre les couleurs de l’Europe, doutent de plus en plus de l’honorabilité de notre patrimoine culturel. Toutes les civilisations ont connu des doutes, à un moment ou à un autre de leur histoire. La civilisation judéo-chrétienne a tout de même réalisé des choses exceptionnelles. Elle a fait à l’humanité l’apostolat du monothéisme éthique et du messianisme, deux valeurs indémodables qui ont irrigué, dans leur forme laïcisée et sécularisée, la plupart des cultures : le caractère sacré de toute vie humaine, la relation apaisée aux autres civilisations et aux autres cultures.

Maurice-Ruben HAYOUN. (hayounmauriceruben@gmail.com)

CYCLE DE CONFÉRENCES *

Jeudi 12 octobre à 19 heures
Philosophie , laïcité et religion dans l’Europe contemporaine

Jeudi 14 décembre
Existe-t-il une vérité religieuse  ?

Jeudi 1er février 2024
L’idée religieuse du sacrifice : un plaidoyer en faveur du martyr ?

Jeudi. 19 mai
Sören Kierkegaard et la «suspension de l’éthique»

Jeudi 13 juin
Un champion du dialogue interreligieux : André Chouraqui

Entrée libre. Salle des mariages.
Pour tout renseignement contacter hayoun.raymonde@wanadoo.fr ou le 0611342874

 

 

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Charles DALGER

Très bonne explication de MR HAYOUN