Ce scandale de corruption qui pourrait bien expliquer l’un des mystères de la stratégie russe face à l’Ukraine

La société Almaz-Antei aurait vendu à la Russie des systèmes de défense aérienne S-400 et des missiles mais les caractéristiques techniques de ces matériaux militaires se sont avérés mensongers en réalité. Le processus de fabrication a pu être influencé par la corruption.

Selon le site ukrainien Censor.net, la société Almaz-Antei aurait vendu à l’État Russe des systèmes de défense aérienne S-400 garantis pour abattre des avions et hélicoptères, mais aussi des missiles américains sauf que les caractéristiques techniques de ces systèmes se sont avérés mensongers.

Que s’est-il exactement passé durant cette vente ? La corruption est-elle en cause ? 

Viatcheslav Avioutskii : Ce site nous partage la réaction d’un haut responsable ukrainien qui critique la capacité d’un équipement russe. Les S-400 ont normalement été conçus comme des armements très sophistiqués et la Russie a exporté cette série dans plusieurs pays (Export russe des systèmes anti-aériens S-400 : intentions stratégiques, atouts industriels et politiques, limites | Fondation pour la Recherche Stratégique). Pourtant, il y a eu une exagération de la capacité technologique de l’armement et cela a pu se voir sur le champ de bataille.

En parlant de l’industrie d’armement russe, Isabelle Facon, spécialiste des politiques de défense et de sécurité russes, note « la mauvaise utilisation des fonds consacrés à la R&D ». Non seulement, selon elle, ces fonds « sont saupoudrés sur de trop nombreux axes, mais encore les programmes de R&D ont donné lieu à d’autres types d’utilisation lorsque les crédits de fonctionnement étaient insuffisants, sans parler des nombreux gaspillages et des effets de la corruption endémique ».

En Russie, ces détournements de fonds sont très présents et les marchés publics sont détournés par des hommes d’affaires et des fonctionnaires. Tout le système d’État est engagé dans des rétro-commissions. Lorsque que l’État a besoin de construire quelque chose, il procède à des appels d’offres avec plusieurs participants. Or, on choisit le plus souvent des acteurs qui ne respectent pas le cahier des charges, il s’agit de personnes faisant partie des réseaux proches du pouvoir national ou régional ou d’hommes d’affaires classique corrompus. Au final, la plupart des ouvrages réalisés sont d’une qualité moins élevée et ils sont souvent plus chers. Paradoxalement, le régime actuel admet l’existence de ce phénomène très répandu dans la société russe. Poutine, lui-même, fustige souvent dans ses interventions en public, la corruption, tandis que tous les ans, plusieurs hauts fonctionnaires et gouverneurs sont condamnés pour le détournement de fonds à des peines de prison ferme.

Lorsque Dmitri Medvedev était président il critiquait le prix du kilomètre des autoroutes russes car il coûtait beaucoup plus cher en Russie qu’aux États-Unis ou en Europe. Alena Ledeneva, professeure de science politique et sociale au University College de Londres, a consacré à la corruption russe un ouvrage « How Russia Really Works » (Cornell University Press, 2006). Pour ce livre, elle  a interviewé anonymement des oligarques en Angleterre pour leur demander de décrire les pratiques d’affaires en Russie. Ils lui ont révélé que 20 % de l’argent public destiné aux marchés publics russes est détourné vers des fonctionnaires corrompus ( How Russia Really Works. )

Il semble que l’État Russe actuel ne fait pas assez pour endiguer ce phénomène. Plusieurs experts notent que la lutte contre la corruption est utilisée politiquement pour éliminer des concurrents ou pour régler les comptes. Selon l’Index de perception de corruption publié en 2021 par Transparency International, la Russie était classé la 136e au même niveau que le Mali, par exemple (2021 Corruption Perceptions Index – Explore Russia’s results).

Est-ce symptomatique des problèmes du complexe militaro-industriel russe ?

À ce propos, il faut parler de la corporation d’État créée en 2007, Rostec. À cette période, on a décidé de renationaliser une partie de l’industrie russe considérée comme stratégique. L’État y a aréuni plus de 700 entreprises liées à la défense nationale pour éviter qu’elle soient aux prises du marché et à ses risques. Il s’agissait d’usines construisant des chars, des missiles et autres. Un homme proche de Vladimir Poutine a été placé à la tête de cette société d’État, Sergueï Tchemezov.

Rostec n’est pas obligé de révéler ses documents financiers contrairement aux autres entreprises d’État. Apparemment sa rentabilité n’est pas réelle. Personne ne sait comment est distribué l’argent à l’intérieur de ce groupe et le matériel produit à l’intérieur de ce groupe ne répond pas forcément aux attentes. Elle produit des choses aussi stratégiques que la construction d’avion de chasse, des chars et exporte le titane très utilisé par les entreprises occidentales.

L’affaire des S-400 est bien symptomatique de cela et elle n’est pas toute seule. Les chars Armata devaient pouvoir résister aux missiles Javelin sur le papier. Dans la réalité, il n’y a pas de chars Armata en Ukraine car ils n’ont pas pu être réalisés avant l’invasion russe de l’Ukraine. Beaucoup d’argent a été investi et le résultat n’est pas là. Cette partie de l’économie russe est complètement opaque, il n’y a pas de contrôle.

Sergueï Tchemezov est qualifié d’oligarque d’État. Il y a des fonctionnaires qui travaillent pour des administrations et conglomérat public qui ont une fortune très importante comme Igor Setchine dirigeant de Rosneft ou Alexeï Miller dirigeant de Gazprom.

Cela expliquerait-il pourquoi les Russes ont laissé des armes sans défense sur le champ de bataille ukrainien ? Se pensaient-ils à tort protégés ?

Cette guerre a révélé certaines failles du complexe militaro-industriel russe. Une partie importante du matériel russe a été perdu pendant les premières semaines lorsque des chars se sont retrouvés en plein milieu de la campagne ukrainienne. Ils ont alors été obligés de puiser dans l’énorme stock de matériel dont il dispose et qui est resté sans bouger depuis 40 ans, ils ont découvert que beaucoup de chars étaient démontés. On a alors appris que dans les années 90 lorsque l’armée était sous-financée, il y a eu beaucoup de vols dans ces bases.

Pour revenir à la guerre en Ukraine, les Russes compensent leurs pertes sur le terrain par le volume, mais ils découvrent que le matériel n’est pas à la hauteur de ce que l’on attendait que cela soit le nouveau comme l’ancien. Le matériel affiche des résultats pas à la hauteur de ce qui était affiché, cela peut alors expliquer les étranges stratégies des militaires.

Atlantico

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