Les façades nord et ouest de la Maison Sublime. Au centre, la tourelle de l’escalier intérieur : Jacques-Sylvain Klein/Métropole Rouen Normandie/Éditions Points de vues

Après plus de dix ans d’efforts, la Maison Sublime de Rouen, le plus ancien monument juif de France, rouvre au public après restauration, dans une scénographie qui replace l’édifice dans l’effervescence intellectuelle des communautés juives médiévales.

Mur nord et entrée de la tourelle d’escalier du monument juif © Jacques-Sylvain Klein/Métropole Rouen Normandie/Éditions Points de vues

L’aventure a commencé par la découverte, totalement confidentielle, d’un parchemin hébraïque provenant de la guenizah (dépôt de manuscrits hors d’usage) de la synagogue du Caire portant la mention de RDVM, transcription du nom latin de la ville de Rouen, Rodom.
À partir de ce document et de dizaines d’autres qu’il exhume, le paléographe américain spécialiste des manuscrits hébreux et judéo-arabes Norman Golb reconstitue l’histoire des juifs de Rouen au Moyen-Âge, affirmant qu’il existait de part et d’autre de l’actuelle rue aux Juifs de la ville une synagogue au sud et une académie rabbinique au nord, à l’emplacement de l’actuel palais de justice.
Quatre mois après avoir publié ses recherches dans un livre en hébreu (Histoire et culture des juifs de Rouen au Moyen Âge, Dvir, Tel Aviv, 1976), coup de théâtre.
Chargé de réaliser des travaux de pavage dans la cour du palais de justice de Rouen, un ouvrier d’une entreprise spécialisée dans la restauration des monuments historiques repère une cavité souterraine, que le chef de chantier identifie comme un édifice roman et qui s’avère être un mikvé (bain rituel juif).
Consulté, l’architecte en chef des Monuments historiques Georges Duval demande à l’entreprise d’effectuer des sondages dans toute la cour, et le 13 août 1976 un second édifice d’époque romane est mis au jour, à l’endroit même où Norman Golb avait annoncé l’emplacement de l’école rabbinique (yeshiva en hébreu).
Contacté, le professeur accourt, et reconnaît l’académie dont il avait parlé dans son livre et qui accueillait selon lui cinquante à soixante étudiants venus de toute la Normandie sur le modèle des académies de Narbonne, Mayence ou Troyes.

Escalier datant du XIIe siècle © Jacques-Sylvain Klein/Métropole Rouen Normandie/Éditions Points de vues

Construit vers 1100 juste après la première Croisade, au cœur de l’ancien quartier juif de Rouen, cet édifice est le plus ancien monument juif conservé en France. Il est appelé Maison Sublime en raison d’un graffiti en hébreu trouvé sur l’un des murs qui reprend un verset du Livre des Rois (I, 9, 8) : « Que cette maison soit sublime. » La construction s’apparente, par son architecture et son décor, à l’abbatiale Saint-Georges de Boscherville toute proche, construite à la même époque probablement par le même atelier, selon l’historien Jacques le Maho et l’archéologue Maylis Baylé. « L’édifice, classé Monument historique en 1977, se présente comme un bâtiment semi-enterré dont on n’a conservé que la salle basse, ainsi que l’amorce de l’escalier intérieur et le bas du premier étage. Construit en belles pierres calcaires de Caumont, le bâtiment a d’harmonieuses proportions (14,10 mètres de long par 9,50 mètres de large) et des murs très épais (1,60 mètre en fondation, entre 1,30 et 1,50 en élévation) raidis par des contreforts qui suggèrent un bâtiment de plusieurs étages », explique Jacques-Sylvain Klein, historien de l’art cofondateur en 2007 de l’association la Maison Sublime de Rouen, qui se bat pour sauvegarder et rouvrir au public ce patrimoine exceptionnel fermé depuis 2001.
En effet, conservée jusque-là dans une crypte archéologique aménagée en 1977 par Georges Duval sous l’escalier de la cour d’appel de Rouen, la Maison Sublime a été visitée par un large public avant d’être fermée à la suite de l’instauration du plan Vigipirate en 2001. « La beauté du décor extérieur – vingt-neuf colonnes ornées de bases historiées, toutes différentes, la plupart à motifs géométriques – fond de cet édifice le plus pur joyau de l’architecture romane à Rouen. Encadrant la majestueuse porte d’entrée – 2,20 mètres de haut par 1,10 mètre de large –, deux bases de colonnes représentent l’une un lion renversé à une tête et à double corps, l’autre un dragon. Rappelons que le lion est le symbole de David et des rois de Juda », poursuit Jacques-Sylvain Klein.

Détail de la base de l’une des 29 colonnes qui composent le décor intérieur © Jacques-Sylvain Klein/Métropole Rouen Normandie/Éditions Points de vues

Faute d’entretien depuis 2001, le monument s’est rapidement dégradé. Un taux d’humidité proche de 100 % dû à une mauvaise isolation de la dalle et à des remontées de la nappe phréatique a entraîné l’apparition de dépôts de sels et de bactéries sur les murs, provoquant un effritement de la pierre.
L’association la Maison Sublime présidée par l’historien Jean-Robert Ragache a obtenu en 2012 la mise en route d’un projet de restauration et de mise en valeur et réuni depuis plus de 800 000 € auprès de l’État, des collectivités locales et de quatre fondations privées.
Une souscription nationale lancée avec le concours de la Fondation du Patrimoine a également réuni près de 50 000 €.
Sous la direction de l’architecte en chef des Monuments historiques Antoine Madelénat, des travaux d’assainissement et d’étanchéité ont démarré en février dernier et doivent s’achever en octobre, dans une scénographie qui permettra de faire revivre le judaïsme médiéval à l’époque du royaume anglo-normand.

Myriam Boutoulle


Visite du monument sur rendez-vous à l’office de tourisme de Rouen Association la Maison Sublime

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