Raphaël Enthoven : « Pourquoi j’ai accepté l’invitation de Marion Maréchal »

Le philosophe interviendra à la convention organisée par les soutiens de Marion Maréchal. Il explique au « Point » pourquoi il a répondu favorablement à l’invitation.

PAR HUGO DOMENACH
Modifié le 04/09/2019 à 17:58 – Publié le 04/09/2019 à 16:03 | Le Point.fr

Les premiers intervenants annoncés à la « grande convention de la droite » organisée par les soutiens de Marion Maréchal ont été annoncés. Si on retrouve les habituels profils classés à l’extrême droite, un homme qui s’assume en contradiction avec Marion Maréchal « sur tous les sujets » a accepté de monter sur scène : Raphaël Enthoven. Le philosophe fera un discours sur « la critique de la critique des élites » le 28 septembre à la Palmeraie, où se déroulera l’événement. Au Point, il explique pourquoi il a répondu favorablement à l’invitation. Entretien.

Le Point : Pourquoi avoir accepté cette invitation ?

Raphaël Enthoven : Parce qu’elle correspondait à mon souhait. Quand Erik Tegnér m’a écrit, sa première proposition était que je participe à un débat à quatre. Or, faire entendre les motifs d’une divergence au sein d’un tel dispositif relevait de l’utopie. J’ai donc fait à M. Tegnér la même réponse qu’au cabinet de Marlène Schiappa l’an dernier, quand j’avais été invité à l’université d’été du féminisme : « Permettez-moi, plutôt que de participer à une foire d’empoigne, de travailler pour vous, sur un sujet qui vous déplaît. » Quand ils ont accepté cela, je ne pouvais plus refuser. Parole d’honneur.

Quelle a été l’utilité, s’il vous plaît, du cordon sanitaire qu’on a longtemps étendu autour de ces idées ?

Avez-vous subi des attaques depuis l’annonce de votre participation ?

Non. Pas grand-chose. Quelques cris d’orfraie du côté des diabolisateurs sans mains, qui trouvent, depuis leur moquette, que je vends mon âme en mettant les miennes dans le cambouis. Quelques antisémites d’extrême droite et d’extrême gauche qui ne doutent pas que je sois « payé » (j’aimerais bien, vu le temps que je vais passer à préparer mon intervention, mais non). Quelques traditionalistes rancuniers qui ne me pardonnent pas une récente baston avec Valérie Boyer. Et puis aussi une attaque en loucedé, comme à son habitude, de Rokhaya Diallo qui feignit d’y voir la preuve de ma collusion avec l’extrême droite, et que j’ai neutralisée en brandissant toutes les fois où elle-même avait débattu avec les gens que je vais retrouver. Sinon, calme plat.

Avez-vous déjà rencontré Marion Maréchal ?

Une fois. Au Trib’s de l’aéroport de Toulon, où elle prenait une eau minérale et moi-même (si j’ai bonne mémoire), un sandwich au jambon. Elle s’est assise à un bout de la salle, moi-même à un autre. Et ce fut tout. C’était intense. Qui plus est, je crois bien que nous prenions le même avion. Une preuve supplémentaire de connivence.

On vous retrouvera dans cette convention au milieu des habituels protagonistes classés à l’extrême droite, dont la plupart sont adeptes de la théorie du grand remplacement. N’avez-vous pas l’impression de leur offrir une forme de caution par votre présence ?

Quelle a été l’utilité, s’il vous plaît, du cordon sanitaire qu’on a longtemps étendu autour de ces idées ? À quoi nos indignations lointaines ont-elles servi ? Et pourquoi n’a-t-on pas étendu le même cordon sanitaire autour de Rokhaya Diallo quand elle-même a validé (en en faisant une prédiction) la théorie du grand remplacement et le « changement d’identité » de la France ? La théorie du grand remplacement est un dogme qui traverse les appartenances et qu’on combat mieux en le contredisant qu’en se bouchant le nez. Mes hôtes n’ont aucun besoin de caution. Le suffrage de millions de personnes qui se sentent méprisées, confortées dans leur vote par toutes les tentatives de diabolisation, leur suffit aisément.

J’aurais adoré, de son vivant, débattre avec Jean-Luc Mélenchon. Aujourd’hui, ça n’a plus d’intérêt.

Avec qui avez-vous ou auriez-vous refusé de débattre ?

J’ai refusé de débattre avec un nazi négationniste (Vincent Reynouard) parce que, comme dit Desproges, les juifs nourrissent, pour d’obscures raisons, une « franche hostilité à l’égard des nazis ». J’ai eu tort de débattre avec François Bégaudeau, dont l’unique but n’était pas de discuter mais de me pourrir (littéralement). J’aurais aimé qu’Étienne Chouard prît position sur les chambres à gaz avant les trois discussions que nous avons enregistrées. Enfin, j’aurais adoré, de son vivant, débattre avec Jean-Luc Mélenchon. Aujourd’hui, ça n’a plus d’intérêt. Pour le reste, des Indigènes de la République aux adversaires de la PMA (qui parfois sont les mêmes) et hormis Soral ou Dieudonné (parce que, quand même, la vie est courte), je débats tranquillement avec tout le monde.

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Vous étiez déjà à l’université d’été du féminisme alors que vous étiez rejeté par une partie des féministes. Pensez-vous que ces conditions, où vous êtes en terrain hostile, sont propices à des débats productifs ?

Elles sont propices, en tout cas – et désormais je le dis d’expérience –, à l’introduction d’un ver dans le fruit. Quand des « féministes » mal-nommées dénient à un homme le droit de penser autre chose qu’elles-mêmes, voient dans sa prise de parole un exercice de domination et finissent par me ranger dans une liste noire entre Zemmour et Bolsonaro, elles sont tellement ridicules que ça finit par sauter aux yeux. En la circonstance, la courtoisie de mes hôtes leur commande de me laisser la tribune pendant vingt minutes. Tout ce que je dirai, ils l’entendront. Je suis curieux de voir ce que ça va donner.

Lire aussi Sexisme, racisme : la mise au point de Raphaël Enthoven

Votre intervention porte sur la critique de la critique des élites. La question intéressante n’est-elle pas plutôt de savoir comment les élites peuvent influencer positivement l’ensemble de la société ? Ou comment faire redémarrer l’ascenseur social ?

Certainement, mais, si j’avais la réponse aux questions que vous posez, je ferais un autre métier et je briguerais des suffrages. Ce n’est pas là-dessus que je travaille. Chacun sa compétence. En ce qui me concerne, j’applique ce qu’en nietzschéen j’appelle « l’outil généalogique » qui consiste à se demander, devant un dogme, à quelle pathologie correspond le désir d’y croire. Quelle est l’arrière-pensée du sentiment que les hommes ne peuvent pas développer une pensée du féminisme ? À quelle forme de rancune (ou de haine de soi) correspond le sentiment que les « élites » forment un groupe homogène qui a la main sur tout, et qu’on est dépouillé du savoir par celui qui en dispose ? C’est la même question. C’est le même outil, appliqué à des dogmes différents.

Comment en vouloir à une droite identitaire de croire que c’est par le raidissement de son identité qu’elle parviendra aux affaires ?

Vous avez dit que le projet politique de cette nouvelle droite autoproclamée vous « inquiète ». Pourquoi ?

Le mot n’est pas exact. Il m’est venu comme ça, du désir de durcir un peu le trait pour échapper à quelques flèches – ce qui est bien naturel. Car, à dire vrai, je ne vois pas d’avenir politique pour un mouvement dont le cœur bat à droite. Ni à gauche, d’ailleurs. Ce que je veux dire, c’est que, dans le monde comme il s’ordonne, ils ont autant de chance de prendre le pouvoir que pour Olivier Faure de devenir président de la République. En même temps, comment en vouloir à une droite identitaire de croire que c’est par le raidissement de son identité qu’elle parviendra aux affaires ? La méthode est à l’image des convictions. C’est cohérent. Faux, mais cohérent.

Sur quels sujets êtes-vous en opposition avec elle ?

Tous. Hormis la possibilité d’en discuter.

Êtes-vous parfois d’accord avec Marion Maréchal ? Sur quels sujets ?

J’étais (probablement) d’accord avec elle pour dire que le Medef aurait mieux fait de ne pas annuler son invitation après l’avoir faite. Mais, contrairement à elle (peut-être), je ne vois pas du tout ce qu’elle serait allée expliquer aux patrons.

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Charles Kamoun

Marion Maréchal n’est pas moins fréquentable qu’un certain Macron, énemi juré d’Israël.

Jankel

Une rationalité un langage une capacité d »‘analyse admirables! R. Enthove,n aux manettes!?
Non mais tout le mode à débattre; avec Enthoven.
L’ysegoria contre les élites perverses et la populace qui les vaut bien….
La Solutionn’est pas dans l’election- piège, mais dans la représentativité générale.