Le ténor du barreau lillois a été choisi par le terroriste présumé pour assurer sa défense en France. L’avocat a accepté au nom de sa conception de la justice.
Deux gueules. Jusqu’alors, il y avait Sven Mary, l’avocat belge, crane rasé, oeil vif et allure décontracté. Depuis mardi, Salah Abdeslam s’est entouré pour sa défense de Frank Berton. Avec ses cheveux gominés, sa carrure de rugbyman, ses cernes gonflées et sa voix rocailleuse, le pénaliste lillois, âgé de 53 ans, est un ténor dans son domaine. Une réputation acquise au fil d’affaires aussi médiatiques que sulfureuses.
Salah Abdeslam « a le droit à un procès équitable, ce garçon doit être jugé pour ce qu’il a fait et pas pour ce qu’il n’a pas fait », martèle-t-il sur BFMTV à propos du terroriste présumé mis en examen mercredi.
Frank Berton a rencontré pour la première fois Salah Abdeslam vendredi dernier dans sa cellule en Belgique. L’avocat lillois a bien hésité avant de s’engager dans cette aventure complexe mais la robe a pris le dessus. « J’ai voulu le rencontrer parce que si c’est pour se murer dans le silence, ne rien dire… explique Me Berton sur France 2. On a besoin d’un procès pour les victimes, pour lui. Il faut l’entendre, il faut l’écouter. » Une position qui n’est pas partagée par tous.
L’avocat, et député RBM du Gard, Gilbert Collard assure qu’il n’aurait « pas accepté de défendre Salah Abdeslam. « Il ne faut pas se mentir, quand on défend quelqu’un […], on prend son idéologie », considère-t-il sur BFMTV et RMC.
Déjà intervenu dans un dossier terroriste
Frank Berton ne défend pas ses clients. Il s’imprègne de leur histoire, l' »absorbe », reconnait-il. « Il est passionné par la nature humaine, il passe son temps à chercher à comprendre pourquoi, comment?, confiait, à L’Obs, sa femme Bérangère, elle aussi avocate. Frank a une intuition phénoménale. » Au risque d’apparaître souvent aux côtés de ceux que l’opinion publique souhaite clouer au pilori. « Le procès c’est pour expliquer les choses, sinon dressons la guillotine », exagère-t-il volontairement au sujet de Salah Abdeslam.
Le cas de l’ennemi public numéro 1 n’est pas le premier dossier de terrorisme que va défendre Me Berton. Dans l’enquête sur les attentats commis à Paris en 1995, le pénaliste a pris en charge la défense de Smaïn Aït Ali Belkacem, membre du Groupement islamique armé (GIA) et principal responsable de ces attaques. Il est sur le banc d’en face quand il s’agit de défendre les parents de Camille, une petite fille de 10 ans tuée le 28 avril 2011 dans un attentat à Marrakech, au Maroc, comme le rappelle Le Figaro.
Enfant battu et bête des prêtoires
Berton, c’est aussi le travail sous le feu des médias. Au gré de dossiers difficiles, il s’est forgé une réputation en accompagnant Odile Marécaux ouDaniel Legrand, dans le procès Outreau, jusqu’à l’acquittement. C’est lui aussi qui va ramener la Française Florence Cassez du Mexique en pointant du doigt les irrégularités de l’enquête. De cette affaire naît une proximité avec l’ancien président Nicolas Sarkozy, mais pas d’affinités politiques pour ce fils d’une ancienne secrétaire du Parti communiste français (PCF).
« J’ai refusé deux fois la Légion d’Honneur. Je ne suis affilié à rien, ni personne. Ni franc-maçon, ni encarté politiquement. La seule attache que j’accepte et revendique, c’est ma famille, mes enfants, ma femme, mes potes », détaille-t-il.
C’est toujours lui qui obtiendra une peine réduite de moitié à Dominique Cottrez reconnue coupable d’avoir tué huit de ses enfants à leur naissance. Lors de ces débats en 2004, Me Hubert Delarue rencontre Frank Berton. « Ce qui le caractérise, c’est qu’il est très sérieux, explique son confrère à Europe 1. C’est quand même 95% de travail, de transpiration et 5% du reste. »
Travailleur acharné, certains disent que le ténor du barreau lillois tient sa pugnacité de son histoire personnelle. Pendant son enfance, il est battu par son père. Ce dernier le force à entreprendre des études de commerce. Frank Berton veut être avocat. Il devient DJ en Belgique pour y parvenir et prête serment en 1989.
« Un adulte est un enfant couvert de cicatrices. C’est très vrai pour Frank », poursuit son ami, Me Hubert Delarue, citant Louis Pons.
Avocat de Christophe Naudin
Frank Berton est souvent comparé à un autre ténor du barreau lillois, une autre gueule de la justice: Eric Dupond-Moretti, qu’il a côtoyé sur le procès Outreau. Le principal intéressé décrit alors un combatif. « Un type qui est défendu par Frank Berton est bien défendu. Il s’accroche, il se bat », pose Me Eric Dupond-Moretti. « Il sait prendre les coups et les rendre », résume un autre avocat lillois en vue, Emmanuel Riglaire.
Le prochain combat de ce bon-vivant, comme le décrivent ses proches, se déroulera à des milliers de kilomètres de la prison de Fleury-Mérogis, là où Salah Abdeslam a été incarcéré. Samedi, le ténor du barreau lillois s’envolera pour la République dominicaine. Il a accepté de défendre Christophe Naudinqui doit comparaître devant la justice. L’expert en sécurité aérienne a aidé, en novembre dernier, les pilotes Pascal Fauret et Bruno Odos, condamné à 20 ans de prison pour trafic de drogue à s’enfuir vers la France.
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