Le 5 septembre 1972, 11 athlètes israéliens étaient assassinés lors des JO de Munich. Cinquante ans après, les Palestiniens, toujours instrumentalisés par les bonnes âmes, n’ont pas renoncé au terrorisme. Pour arriver à la paix, André Chouraqui avait proposé d’unir les territoires et de séparer les peuples.


Dans un livre d’entretiens paru voici une quinzaine d’années et intitulé La Discorde [1], Élisabeth Lévy modérait un dialogue nourri, argumenté et divergent entre Alain Finkielkraut et Rony Brauman. Les échanges portaient sur les relations entre Israël et les Palestiniens, ainsi que sur les Juifs et la France. Or, de tels éléments de réflexion n’en finissent pas, aujourd’hui comme hier, de diviser la société française en courants inconciliables. Ces désaccords marquants produisent de l’incompréhension réciproque, interdisant l’émergence d’un consensus apaisant. Certains en profitent pour accroître leur représentativité politique ; d’autres s’enlisent dans l’équivoque.

Lors d’une récente réunion ouverte, une obédience maçonnique a présenté un travail figuratif sur la Shoah et ses effets au sein des familles de victimes. L’exposé exhaustif d’un dignitaire a été suivi de prises de parole. Immanquablement, l’un des intervenants a évoqué le désarroi occidental généré par les souffrances du peuple palestinien « dans les territoires occupés », dont il rendait Israël – pays et peuple – responsable. L’orateur principal de la soirée répondit : « Cela montre que les persécutés peuvent devenir persécuteurs. »

Vichy et les territoires occupés

Vingt ans après la fin de la grande extermination, Vladimir Jankélévitch avait anticipé ce type d’insinuations. Citons le philosophe français : « D’autres essayistes en quête d’alibis ont découvert récemment qu’il existait des “Kapo” juifs […]. On imagine l’empressement avec lequel un certain public s’est jeté sur cette attrayante perspective : après tout, les Juifs étaient peut-être eux-mêmes des collaborateurs ? […] Et si par hasard les Juifs s’étaient exterminés eux-mêmes ? » [2] La réplique est avisée ! Il faut souligner la date de l’apparition de l’expression « territoires occupés » : elle remonte à l’époque du régime de Vichy, et plus précisément à une note du 14 mai 1941 qui commence ainsi : « En accord avec la délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés, la Préfecture de police a procédé, sur convocations, à la concentration des ressortissants polonais, Juifs, âgés de 18 à 40 ans [3] […]. » Les premières déportations dans des camps français débutent et la police parisienne se met à la disposition de l’occupant nazi.

La conjugaison de cette filiation vichyste et de l’entêtement à rendre Israël responsable du malheur des Palestiniens offre le paysage bien connu de la mutation de l’antisémitisme virulent. La bataille de la communication engagée par les nazis a reposé sur la haine devenue paroxystique du Juif, entretenue presque partout en Europe depuis des siècles, pour ensuite être prolongée par la substitution de la victime européenne en bourreau moyen-oriental. Depuis environ vingt années, une partie de la gauche française et désormais des éléments de LFI puisent sans vergogne dans ce dernier sac à boniments, en mêlant les années 1930 et la période ouverte par la seconde Intifada, puis le sort des suppliciés de la Shoah et la situation des Israéliens installés dans les implantations. Ces virtuoses de l’enfumage (quelle sinistre passion de procéder ainsi avec un peuple monté en fumée dans les fours crématoires !) se répandent au détriment de la cohésion nationale, dégât majeur que le juge des référés du Conseil d’État, décidant l’annulation d’un spectacle particulier de Dieudonné M’Bala M’Bala, avait su repérer en janvier 2014.

Il s’agissait alors d’empêcher les moqueries proférées et les ricanements suscités au détriment des victimes de la Shoah, les unes et les autres produisant leurs effets négatifs sur le pays.

André Charouqui à Jérusalem, années 1970 / D.R.

Pour autant, la situation tragique des Palestiniens demeure une variable d’ajustement au Moyen-Orient. Le choix catastrophique du terrorisme meurtrier leur a davantage nui que la corruption trop souvent observée de certains de leurs dirigeants et les phases de confrontation meurtrière avec Israël. Les 5 et 6 septembre prochains, nous commémorerons l’attentat de Munich, au cours duquel périrent, sous les balles d’un commando palestinien, 11 membres de la délégation israélienne lors des Jeux olympiques d’été de 1972 [4]. Choisir cette ville, siège du parti NSDAP, un quart de siècle après la reddition nazie et malgré ce que fut au même endroit l’orchestration de la propagande hitlérienne, pour les JO s’entendait en termes de résilience. Encore fallait-il que le respect des victimes intervînt.

Mais le président du Comité international olympique, Avery Brundage, n’était pas à son coup d’essai. Il fut celui qui bloqua le boycott, envisagé par les États-Unis, des Jeux de 1936 à Munich. Son indifférence à l’égard d’un régime sur lequel plus personne au monde ne conservait d’illusions ne fit pas obstacle à son élection à la tête du mouvement mondial. Lorsqu’un commando de Septembre noir attaqua à Munich la délégation israélienne au sein du village olympique et commença par assassiner une partie de ses athlètes, Avery Brundage, au terme d’une déclaration qu’il voulait consensuelle, affirma : « Les Jeux doivent continuer […]. » Ils continuèrent, après une très courte suspension. Comment ne pas songer, à nouveau, à Jankélévitch ?

Le philosophe décrit ainsi l’esprit d’après-guerre : « Ce qui est arrivé n’avait pas la même importance pour eux et pour nous. » [5] Le tour de passe-passe consistant à faire des Israéliens, donc des Juifs, des nazis se heurte à une réalité première : l’obsession chez les terroristes et les fascistes de séparer pour tuer. Le choix continu de cette violence ajoute au malheur accentué des Palestiniens. Prendre en compte leur détresse profonde nécessite de renoncer à les instrumentaliser. Il s’agit, pour tous ceux érigeant leur cause en une priorité, de décider enfin s’il est préférable de les savoir partie intégrante des progrès de paix, ou de les encourager dans la haine des Juifs qui repose toujours sur des mensonges.

La clairvoyance d’André Chouraqui

Juriste de réputation internationale, conseiller de David ben Gourion, penseur érudit, André Chouraqui fut avant tout un homme de paix et d’espoir. Sa dénonciation des « lamentables » guerres israélo-arabes occupe une partie de ses considérations réunies dans Ce que je crois [6]. Après avoir analysé les causes d’un conflit fratricide, il évoque le voyage d’Anouar el-Sadate à Jérusalem et la logique de cessation des guerres. Menahem Begin et le chef d’État égyptien, qui le paiera de sa vie, se sont attelés à surmonter les obstacles sur le chemin d’un traité, toujours en vigueur, aux prolongements inespérés initialement mais effectifs aujourd’hui.Citons André Chouraqui : « La solution qui pourrait concilier les légitimes intérêts d’Israël, de la Jordanie et des Palestiniens serait de créer sur leurs territoires réunifiés une fédération où chaque entité ethnique verrait ses droits nationaux reconnus et garantis. [7] » Le génie, au sens d’opérabilité et de lumineuse intuition, réside ici dans la double signification de la notion d’impasse : faire adroitement l’économie d’une question territoriale qui se révèle insoluble, tout en concrétisant une perspective partagée hors la voie sans issue des conflits. Begin et Sadate possédaient une commune volonté d’en finir avec les morts inutiles.

La paix ne s’installe jamais si les guerres recommencent stupidement.

Leur accord reposa sur l’amputation d’une partie des exigences du président égyptien de promouvoir la cause des Palestiniens et de récupérer le Sinaï. Il n’eut satisfaction que sur ce deuxième point. L’accentuation des difficultés actuelles des Palestiniens repose sur le ressort, depuis près de trois quarts de siècle, d’une indépassable haine du Juif. Elle a pris le relais, au Moyen-Orient, d’un antijudaïsme n’ayant plus droit de cité dans l’Europe honteuse de la Shoah. Puis ce transfert de la détestation d’Israël a produit une contagion en Europe, par le biais d’esprits malins maniant avec dextérité la détresse des Palestiniens.

Le résultat de la manipulation des apprentis sorciers est d’avoir, dans les années 1970, ancré le terrorisme au Moyen-Orient et en Europe de l’Ouest. Cette mécanique étant impossible à stopper net, la violence terroriste devient cyclique, parfois paroxystique, toujours difficile à combattre. L’extirper représente une cause prioritaire qui trouvera une traduction par une solution négociée entre les Palestiniens et Israël. À l’approche du 75e anniversaire de la naissance de ce pays, relire André Chouraqui présente un intérêt immédiat, dans un environnement politique et stratégique marqué par la reprise des actes terroristes et, à l’inverse, par la mise en œuvre des Accords d’Abraham, amplifiés par des coopérations affirmées avec d’autres pays arabes.

Voici le credo d’André Chouraqui : « Unir les territoires que l’on se dispute et séparer les ethnies pour mieux assurer la protection de leurs droits nationaux, politiques, religieux, linguistiques et culturels, mettrait un terme au conflit. La route de la paix est barrée parce qu’elle va dans des directions exactement contraires : on entend séparer les territoires et confondre les nationalités au lieu d’unir les premiers et de donner aux deuxièmes la possibilité de s’exprimer dans des entités politiques et culturelles autonomes. »

André Chouraqui défendait une conception structurée de la paix, reposant sur des institutions adaptées, telles que la naissance d’une fédération israélo-jordano-palestinienne préfigurant une confédération d’États plus large, pour en finir avec « le heurt de nos contradictions ». Les actuels échanges technologiques, sécuritaires et politiques vont dans le sens d’une histoire qui donnera probablement naissance, malgré les coups d’arrêt observés, à un ensemble fédératif. Lorsque la menace nucléaire extérieure à ces pays, les défis climatiques et la nécessité d’un partage des ressources naturelles auront contraint des dirigeants en quête d’une sortie des confrontations, l’impasse territoriale sera alors traitée comme la difficulté à surmonter.

Toujours inspiré, André Chouraqui, dont l’absence est décidément cruelle, concluait dans le même ouvrage : « L’essentiel réside dans notre volonté de résister au vertige de la mort et d’imposer à nos consciences la chance fragile de la survie et du salut, le nôtre et celui du monde. » Il publia Ce que je crois l’année de la révolution iranienne, qui instaura dans ce pays l’affirmation de la volonté prioritaire de détruire Israël. Les déclinaisons exhaustives de l’antisémitisme – au sens du rejet de tous les sémites du Moyen-Orient – aspirent à se rejoindre dans l’action néfaste. Trop de Palestiniens ont été élevés dans l’idée que le seul compromis possible serait le renoncement d’Israël à son propre droit d’exister. Ceux qui ont élevé leur cause scandaleusement rentabilisée au stade de magistère de la pensée sommaire contribuent au maintien de la condition douloureusement abaissée des Palestiniens.

S’il s’agit de l’amélioration de leur sort, les pistes de réflexion ouvertes par André Chouraqui méritent d’être privilégiées, car des solutions pourront advenir au gré des rapprochements en cours. Mais si l’unique question est de savoir comment continuer, à toute force, de susciter depuis l’Europe ou le continent américain la détestation des Juifs, les Palestiniens resteront les jouets de ceux qui les instrumentalisent avec une mauvaise foi faussement contristée et indifférente au malheur de ceux dont ils prétendent se soucier. Le statu quo de la haine, laquelle constitue l’activité la plus nocive de l’homme pour lui-même, n’a jamais produit aucune avancée viable sur quelque sujet que ce soit.


[1] « Champs essais », Flammarion, 2008.

[2] L’Imprescriptible : Pardonner ? Dans l’honneur et la dignité, Seuil, 1986.

[3] Voir Maurice Rajsfus, La Rafle du Vel’ d’Hiv (2002), Détour, 2021, page 14.

[4] Crime qui avait suscité l’enthousiasme révolutionnaire d’un certain Edwy Plenel.

[5] Op. cit, pp. 98 et 99.

[6] Grasset, 1979.

[7] Ibid., page 289.

 

 

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