Première visite. Un petit calendrier hébraïque

J’ai ouvert une première boîte. Elle avait visiblement appartenu à mon grand-père. Elle contenait des boutons de manchette, une vieille montre très abîmée qui indiquait 8 heures moins 2 minutes, des papiers et surtout un petit calendrier.
Tous les ans depuis Mathusalem, les communautés impriment le calendrier hébraïque de l’année en cours. Dans ma famille, on les garde autant que faire se peut parce qu’on ne jette pas de textes en hébreu, à fortiori de prières. Et puis, ces calendriers qu’on garde sont en général ceux d’années marquantes. Mariages. Naissances. Morts.
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Je me suis dit qu’il y avait une grande cohérence à commencer par là notre tri, en consultant des années que le romantisme familial entendait sortir du temps. J’ai tourné et retourné le petit carnet dans mes mains. J’ai senti mon cœur avoir un raté en lisant l’année de son impression. 1942-1943.
Des questions ont explosé dans ma tête. Des livres de prières ont été imprimés en France en 1942 ? Éditions culturelles Grunewald à Limoges.
Il y a un visa de censure. On censure quoi dans un livre de prières ? Quel pouvait être le message du rabbin qui toujours rédige la préface ? Qui était-il ? Et surtout, dans ce contexte terrible, qu’avait-il bien pu trouver à dire ?
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J’ai ouvert avec appréhension le fragile petit fascicule. J’y ai trouvé le texte extraordinaire de Monsieur le Grand Rabbin R. Hirschler, Aumônier Général. Avant de vous livrer ce texte, je voudrais partager avec vous quelques recherches que j’ai faites sur le rabbin Hirschler.
René Hirschler. Né à Marseille. Nommé rabbin de Mulhouse à 23 ans après un brillant séminaire. Marié en 33 à Simone Lévy, qui écrivait des contes pour enfants qu’elle signait Grande sœur dans Kadimah, le bulletin bimensuel pour les communautés israélites de Mulhouse et du Haut-Rhin qu’ils avaient créé ensemble en septembre 1930.
René Hirschler devint grand rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin dès 1939. Aumônier général, puis aumônier général des camps d’internement.
Malgré le danger grandissant, ce couple admirable avait caché ses trois jeunes enfants dans un home d’enfants laïc à Combloux, en Haute Savoie et était resté uni face à l’ampleur de ses responsabilités dans la tempête. Apportant soutien et réconfort à tous, de l’intérieur, en multipliant les visites aux communautés en souffrance à travers toute la France et aussi de l’extérieur, en défendant sans relâche la cause des internés auprès du gouvernement de Vichy.
Dans son rapport, rédigé après sa tournée de décembre 1939 dans les centres de repliement des populations juives de Strasbourg et du Bas-Rhin, le Grand Rabbin Hirschler conclut : « Mais à côté des dangers et de ces menaces qu’il serait coupable de ne pas voir et de ne pas écarter, malgré tant d’autres problèmes où se joue la vie même de la nation, que de raisons de confiance !
Partout le dévouement et la générosité se révèlent. En certains endroits, l’arrivée de nos alsaciens ressuscite des communautés mourantes. Le bien peut sortir du mal. Encore faut-il que l’organisation, la centralisation, l’initiative des autorités compétentes donnent un cadre à ces bonnes volontés dispersées. Le Judaïsme alsacien doit vivre dans l’exil et sa dignité veut qu’il trouve d’abord en son sein les raisons et les moyens de vivre. Dieu voudra les y aider. »
Le bien peut sortir du mal…
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J’ai lu que Simone Hirschler avait organisé et fait vivre un émouvant système de parrainage de juifs internés par des juifs libres. Résistants d’un immense courage, le Grand Rabbin Hirschler et sa femme ont été arrêtés à Marseille le 22 décembre 1943, soit onze mois après la grande rafle de l’Opéra qui a vu partir tant de membres de notre famille. Dans mon petit calendrier de 1942, juste après le « tableau des barmitzwah », il y a le tableau du Corps rabbinique. Tous les noms et adresses de tous les rabbins en « zone non occupée ». A quel moment la « zone libre » est-elle devenue la « zone non occupée » ? Le grand rabbin Hirschler habitait 65, bd des Vagues à Marseille…
Je vous épargne les détails de l’arrestation.
Les Hirschler sont arrivés à Auschwitz en février 44 et n’en sont jamais revenus.
Allez. Je réouvre mon tout petit calendrier. Voici dans son intégralité le texte bouleversant de l’héroïque Grand Rabbin Hirschler. Je pense à mon grand-père Moïse, dit Michon. Je me dis que, quand sa famille a été emportée en janvier, quand il a perdu sa femme en avril, ce texte l’a aidé à rester fort. Reconnaissance éternelle.
Préface de Monsieur le Grand Rabbin R. Hirschler, Aumônier général.
Ce modeste livre de prières est d’abord destiné à nos coreligionnaires retenus dans les camps d’hébergement ou dans les centres d’accueil.
Heureux, en ces temps douloureux, ceux qui savent prier ! A ceux-là, quelle que soit leur misère, nous croyons offrir ici, facilitant ce rapprochement avec Dieu, le plus précieux des réconforts.
Parmi nos malheureux frères, beaucoup ne savent pas prier ou ne savent plus prier. Mais un grand nombre, nous en avons fait l’expérience, ont trouvé dans les méditations le chemin qui conduit au Dieu de leurs pères. Ainsi, le malade cloué sur son lit de douleur découvre l’inaliénable liberté et, comprenant sa vraie mesure, tend vers la seule grandeur de Dieu. A ceux qui désirent se rapprocher du Miséricordieux, source de toute consolation, père de toute espérance, nous prêtons en ces pages les mots et les pensées pieuses qu’au milieu d’autres souffrances ont forgé leurs propres ancêtres, comme pour les guider dans leur retour vers la foi éternelle d’Israël.
Que la langue de nos prières vous soit familière ou non, Dieu qui connaît le cœur et les entrailles vous entendra. C’est en de tels moments, notre orgueil étant brisé et notre chair meurtrie, que nous devons Le chercher. C’est en de tels moments qu’Il fait germer de l’humiliation et de la souffrance la bénédiction et le salut.

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