Un voyage en Pologne n’est pas un voyage ordinaire. Même si ce pays grâce aux financements européens fait montre d’un dynamisme remarquable et si son économie est en pleine expansion, même si les centres commerciaux ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux qui parsèment nos villes, si les magasins regorgent des mêmes produits que les nôtres, si les infrastructures sont en constante progression, si la population est plutôt avenante et aimable, la Pologne pour les Juifs est avant tout et pour toujours le lieu de l’indicible tragédie, de l’assassinat programmé de notre peuple, de nos parents, de nos enfants, de nos bébés, de notre culture, de notre langue, de nos traditions.  97 % d’une population qui avoisinait  en 1938 3.800.000 a été tuée dans les conditions les plus inhumaines, les plus atroces, qui défient l’imagination. Dans aucun autre pays la quasi-totalité des nôtres n’a été ainsi massacré.

Les cimetières, les ruines d’anciennes synagogues,

Un voyage en Pologne à la recherche de la mémoire juive est une terrible et lugubre déambulation le long des routes peuplées autrefois de shtetls bourdonnants de vie, de rires et de prières et aujourd’hui peuplés de silence et de souvenirs. Les cimetières, les ruines d’anciennes synagogues, les restes délabrés de maisons juives d’avant la guerre, les musées de l’holocauste avec leurs terribles photos se succèdent le long des chemins en milieu rural comme dans les avenues des grandes villes. Une sinistre litanie de noms et de chiffres : Gora Kalwaria, Kozienitz, Kasimierz, Lublin, Izbica, Zamosc, Przemysl, Rzeszow, Demica, Tarnow, Szydlowiec, Radom. Ici il y avait 45000 juifs en 1939, là 6000, ailleurs 25000….ici 2 ont survécu, là 10, ailleurs aucun.

Y a-t-il encore des juifs en Pologne ?

A peine une poignée, 15000 à 20000 tout au plus. Les institutions juives parlent de 8000 officiellement recensés, c’est à dire qui fréquentent les synagogues ou appartiennent aux associations communautaires. Et on considère généralement qu’il y en a autant qui ne font pas partie des cercles juifs mais le sont ou ont des liens plus ou moins avoués. Une communauté surprenante et paradoxalement passéiste : les offices de shabbat sont peuplés, (si l’on peut dire car il est souvent difficile de faire un minian de dix  hommes) d’orthodoxes et même de hassids qui ont à cœur de faire revivre ou du moins de conserver le souvenir du monde d’avant la catastrophe.

Qui sont ils ?

Pour la plupart des descendants d’enfants cachés sous la Shoah par les familles polonaises qui les ont sauvés, adoptés et convertis. Et qui retrouvent un beau jour, on ne sait trop comment, leur histoire et leurs origines juives. Et s’y accrochent comme à leur dernier repère. Certains sont issus d’une famille juive assimilée qui, sous le coup des terribles campagnes antisémites du régime communiste de Gomulka en particulier avaient tiré un trait sur leur identité et osent désormais la revendiquer. Beaucoup de Juifs Polonais avaient fui les nazis en se réfugiant en Union Soviétique. Les plus chanceux ont été protégés en partant vers l’est lointain, parfois jusqu’à la Chine et sont revenus après la guerre. Plusieurs dizaines de milliers de ces survivants voulaient se réinstaller chez eux et reprendre si possible le fil de leur existence. Mais ils ont été si mal accueillis que la plupart se sont définitivement exilés sous des cieux plus cléments, la Palestine mandataire puis Israël, les Etats Unis, le Canada, la France.

Américains ou Européens en pèlerinage sur les lieux du martyre

L’Union des communautés religieuses juives initiée et soutenue par Ronald Lauder, le président du Congrès Juif Mondial compte 8 synagogues qui fonctionnent pour des offices religieux à Varsovie, Cracovie, Lodz, Szczecin, Katowice, Bielsko Biala et Lagnica. Beaucoup d’autres ont été transformées en musées mais ne sont pas réhabilitées comme lieu de prière. La pandémie a ralenti le tourisme et peu de visiteurs se pressent cette année dans ces lieux de triste mémoire. Mais jusqu’en 2020 on comptait beaucoup de passage : Américains ou Européens en pèlerinage sur les lieux du martyre de leur famille.

Point n’est ici le lieu ni l’ambition de faire l’histoire de la cohabitation entre Juifs et Polonais depuis 1000 ans de proximité. Mais quelle est aujourd’hui l’attitude des Polonais envers ces juifs qu’ils ont côtoyés pendant des siècles avec des comportements divers et des sentiments mélangés? Ignorance, indifférence, haine, jalousie, gêne, culpabilité, honte : on trouve tout depuis les excuses du président Duda pour l’expulsion des Juifs en 1968 jusqu’à la mise en place du « Jewish road » de Cracovie.

Le pouvoir communiste a tout fait pendant des années pour occulter la spécificité de l’extermination des Juifs. Les monuments et les plaques mémorielles gommaient systématiquement l’identité juive des victimes, « ici ont été exécutés entre 1941 et 1942 500 Polonais par la barbarie nazie » Les Juifs, si souvent exclus et discriminés ici au fil des siècles, étaient tout d’un coup de vrais, purs et bons Polonais. Une récupération outrageante à laquelle a mis fin la chute du communisme et l’entrée dans l’Union Européenne.

Les grandes villes ont multiplié les musées,

Devant les protestations occidentales et la manne financière des organisations juives internationales, l’administration polonaise a changé de stratégie. Les grandes villes ont multiplié les musées, les salles d’expositions, les plaques de souvenir, les tertres sur les lieux d’exécution, les rappels sur les chemins qui venaient des ghettos vers les camps de concentration et  d’extermination.

Cracovie, lieu riche d’une communauté juive de 300 000 personnes, a crée une « Jewish Road » pour mettre en valeur les différentes étapes de la vie juive, bain rituel, synagogues, musées, écoles, heder, yeshiva et s’enorgueillit chaque été d’un festival yddish. Ce « tour juif » agace certains et ce « tourisme de la mort » est souvent contesté. Mais va-t-on se plaindre à présent que, même si les motivations sont peut être ambigües, les Polonais reconnaissent et se souviennent ?

Le Pape Jean Paul II, qui fut l’évêque de Cracovie et a grandi dans un village dont 80% de la population était juive a fait beaucoup pour cette reconnaissance. Il a fait en sorte que les  honteux projets de bâtir un Carmel à l’entrée d’Auschwitz ne voient pas le jour et a dissuadé l’église et les autorités d’ériger une croix sur les lieux du martyr juif. Varsovie est un immense terrain du souvenir sur la place de l’ancien ghetto avec le  somptueux musée Polyn cofinancé par le gouvernement polonais et les institutions juives, le monument pour la révolte du ghetto, l’Institut d’Histoire juif, le tertre en mémoire de la chute du ghetto et les noms des rues qui portent les noms des révoltés.

Pourtant étrangement, insidieusement, le tableau de Rembrandt exposé au Palais Royal intitulé « La Fiancée Juive » a perdu sa judéité et est intitulée « La Jeune Fille dans le cadre » Le mot juif serait-il quelque fois proscrit ? Une association de voyages culturels juifs, Valiske, qui organise régulièrement des voyages en Pologne, s’en est émue et a protesté devant cette dénomination mensongère.

Culpabilité ?

Beaucoup veulent oublier les pogroms d’après guerre et les massacres de survivants, les 2000 juifs tués entre 1945 et 1947 dont le meurtre de Kielce. Les Polonais se revendiquent comme victimes des Allemands autant que les Juifs. Cette concurrence victimaire se trouve surtout dans les couches défavorisées de la société, aigries et peu évoluées. Dans les milieux intellectuels, artistiques la tendance est plutôt à chercher à savoir le rôle joué par les membres de sa famille de la génération précédente. Quelques uns, courageux et dévoués, se sentent investis d’une mission d’expiation et travaillent à restaurer des maisons juives, des synagogues, se plongent dans les archives, les documents, les photos. Il s’est créée dans les universités, dont la célèbre université Jagellon à Cracovie, des chaires de littérature yddish, de culture juive, d’études de la religion juive. Mais dans les bourgades rurales le rappel du passé et de la présence juive est très inégale suivant les municipalités. Tantôt des plaques mémorielles ou même des stèles ou monuments tantôt le vide de l’oubli et le désir d’effacer.

L’actuel gouvernement très nationaliste de Kascyncki ne déborde peut être pas de passion envers ses Juifs mais entretient d’excellentes relations avec Israël tout du moins sous le gouvernement de Benjamin Netanyahou. Cette nation déterminée, courageuse et fière correspond mieux aux valeurs militaires et nationalistes prônées dans cette nouvelle Pologne que les religieux orthodoxes qui vivent dans l’ombre des livres et la crainte de Dieu.

Avez-vous des origines juives ?

Un des militants de la mémoire répond à la question « avez-vous des origines juives ? » en plissant les yeux malicieusement « pas que je sache, mais peut être. Nous avons vécu si longtemps ensemble que si on gratte un Polonais, on trouve toujours quelque part un juif et souvent plusieurs. »

Liliane Delwasse

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Le Goan

Une jeune fille dont le nom de famille était « Lévy » s’était mariée à l’église avec un goy. La judaîté de cett femme n’a jamais plus été évoquée et ses enfants ont grandi dans la religion catholique avec présence réguliére aux messes, communion solennelle, etc.
Une autre jeune fille dont la mere est également juive porte le nom de son pere, un pur Breton, chrétien mais laîque. Cette jeune fille, sépharade s’est intéressé au judaîsme via les livres autobiographiques d’Elie Wiesel dont les récits l’ont empéchée longtemps de dormir tout en éveillant chez elle un sentiment aigu de véritable appartenance à son peuple dont elle a voulu partager passé, présent et futur, d’oû ses fréquents voyages en Israél durant lesquels elle se porrait « volontaire » pour effectuer differents travaux au sein de bases militaires.. aujourdd’hui elle vit en Israel, sa fille y a fondé sa famille.