Philippe Pétain, Dr. Jekyll et Mr. Hyde ? L’historien Henry Rousso, le théoricien du négationnisme, analyse les ressorts de la polémique actuelle, et les enjeux de la crispation mémorielle actuelle autour de la « séquence guerrière » 1914-1945.

 

L’historien Henry Rousso, spécialiste de la mémoire de Vichy et théoricien du négationnisme, revient sur les enjeux de la polémique autour de l’hommage qu’a rendu Emmanuel Macron au maréchal Pétain, qualifié de « grand soldat ».

Il analyse les enjeux de la crispation mémorielle actuelle autour de la « séquence guerrière » 1914-1945.

Henry Rousso : « Il a pu être un salaud parce qu’il a été un héros, c’est ça l’idée fondamentale ».

Emmanuel Macron, 7 novembre 2018  : « Le maréchal Pétain a été, pendant la Première Guerre mondiale aussi, un grand soldat. On peut avoir été un grand soldat à la Première Guerre mondiale, et avoir conduit à des choix funestes durant la Deuxième. »

En 1945, Philippe Pétain est condamné coupable d’indignité nationale

Henry Rousso : « C’est même le seul chef d’État qui ait connu un tel sort. Mais malheureusement, ça n’enlève rien au fait que dans l’histoire, il a joué un rôle important durant la Première Guerre mondiale. Même si l’honorer paraît une absurdité compte tenu de ce qu’il a fait durant la Seconde Guerre mondiale, passer sous silence son action fait problème. D’autant plus que son action s’est déroulée pour partie à Verdun et que Verdun est devenu le symbole de la Première Guerre mondiale. C’est tout le paradoxe et toute la polémique qu’il y a à l’heure actuelle autour du « Il y a deux Pétain » vient de là. Ce n’est pas juste un jugement sur lui qui importe pour l’historien. Ce qui importe, c’est qu’en 1940, les Français vont aduler Pétain

Parce que c’est un homme qui a mis fin à une guerre qui était globalement perdue, et qui parle de restaurer un ordre à un moment de très grand chaos. Mais les gens n’imaginent pas qu’à la faveur de cette situation, il va entreprendre de démolir systématiquement les institutions républicaines, d’accepter une collaboration avec le vainqueur nazi qui n’en demandait pas tant et de faire l’une des taches les plus noires sur l’Histoire de France ».

Comment comprendre la polémique sur l’hommage à Pétain ? 

Henry Rousso : « Cette polémique est née de la difficulté de définir exactement ce qu’est la commémoration, la bonne commémoration de la Première Guerre mondiale. Dans la situation actuelle, tout concourait à faire du 11 Novembre une commémoration consensuelle, ce qu’elle a, ou a pratiquement toujours été. De toutes les commémorations françaises, c’est celle qui ne provoque quasiment jamais de polémique.

Et puis il y a cette question de savoir : « est-ce qu’on va commémorer la paix ? est-ce qu’on va commémorer la souffrance des soldats ? » Et qu’est-ce qu’on allait faire de la dimension militaire, de l’hommage aux grands chefs, c’est-à-dire retomber au fond dans une commémoration très traditionnelle de la guerre.

Inévitablement allait se poser la question de « que faire du cas Pétain ? ». Et ce problème s’est posé depuis toujours, quasiment depuis la mort de Pétain : le général de Gaulle, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, ont eu à se prononcer sur Pétain, la plupart s’en sont sortis à peu près correctement.

Et là, parce que c’est une « petite phrase », une réponse donnée à un journaliste sur un pas de porte, la polémique enfle parce que les propos n’ont pas été pesés, insérés dans un discours, préparés, etc., ce qui est une banalité dans la politique d’aujourd’hui, malheureusement.

Pourquoi tant de crispation autour de la « séquence guerrière » 1914-1945 ? (polémiques sur l’antisémitisme de Maurras et Céline, sur la comparaison récurrente avec les années 1930…) 

Henry Rousso : « C’est un sujet sensible, il est particulièrement sensible aujourd’hui avec la montée de l’antisémitisme. Vichy a été quasiment le seul moment de l’Histoire de France où une politique d’État a visé une catégorie particulière, à savoir les Juifs ».

Après 2 ans de baisse, les actes antisémites en France sont en hausse de 69% en 2018. 

Henry Rousso : « Et on est donc là devant un effet cumulateur. Ce qui était un problème que d’autres présidents de la République ont rencontré l’est aujourd’hui pour Emmanuel Macron dans un contexte particulièrement tendu.  

Mais ce problème n’est pas nouveau. Ce qui joue c’est au fond comment un président doit-il parler de l’Histoire et est-ce qu’on peut répondre sur une question de nature historique par définition socialiste, comme on va répondre sur une question d’actualité, sur une réforme en cours, sur le prix de l’essence… On ne peut pas tout mettre sur le même niveau. Il faut un minimum de recul, lorsqu’on s’adresse aux Français, surtout quand on est président de la République ».

Par Camille Renard

 

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