La destruction du Vieux-Port en 1943: l’histoire d’une rafle à travers les photos des nazis
C’est Wolfgang Vennemann, reporter pour la propagande nazie, qu’on retrouve derrière cette série de photos de la rafle, entre le 22 et le 24 janvier 1943, à Marseille. – Archives fédérales allemandes, via Wikicommons CC
Il y a 80 ans, entre le 22 et le 24 janvier 1943, la rafle de Marseille balafrait le quartier du Vieux-Port et envoyait 1 300 personnes en déportation, sous le regard de reporters à la solde de la propagande nazie. Les images des nazis, premier épisode.
En 1973, un entrefilet dans Le Monde saluait un livre aujourd’hui épuisé, qu’on pourrait avoir un peu oublié. Comme son sujet, longtemps méconnu : la destruction du quartier du Vieux-Port, et la rafle de Marseille. Et si à l’occasion des 80 ans de l’événement, la mémoire se ranime un peu, durant des décennies, c’est plutôt une trace enfouie, et confuse, que ce mois de janvier 1943 aura laissée. Plus de 20 000 habitants au total seront évacués de chez eux, entre le 22 et le 24 janvier 1943, puis à moindre échelle, dans les jours qui suivront. La plupart vivent du côté du Vieux-Port et aux abords de l’Opéra. On dit alors « les vieux quartiers ».
Bientôt, ces quartiers partiront en fumée, dynamités début février 1943 après avoir été vidés de leurs occupants. Cinquante rues sur les flancs du Vieux-Port seront rayées de la carte. Mais rapidement, c’est d’abord de cela qu’on parlera, quand on mentionnera, sans que ça trouve un écho vigoureux d’ailleurs, « la rafle de Marseille » : un projet de grand nettoyage urbain, et la volonté délibérée de faire place nette là où historiquement, vivaient à deux pas du port et en contre-bas du Panier, des Italiens, des Noirs, des artistes, la pègre, quantité de prostituées, et donc aussi des juifs. Premières victimes de ce que les nazis appelleront « l’Opération Sultan » et qui avait été décidée dès fin 1942 par Himmler lui-même, deux tiers des juifs arrêtés dans la rafle marseillaise étaient français. Parmi eux tous, 1 642 seront déportés, principalement en Pologne, et assassinés.
Lorsque paraissait ce livre, pour les trente ans de l’événement, cette rafle avait à peu près disparu des radars. Et l’on manquera longtemps de travaux propres à raconter cette histoire correctement – elle circule encore d’ailleurs souvent, truffée d’inexactitudes ou de fausses évidences. La rafle et la destruction du quartier du Vieux-Port fut ainsi, durablement, une béance, pas si différente de celle qui, des années durant, s’est imprimée physiquement dans ce coin du bas du Panier – bien qu’on ait reconstruit. Ce livre de 1973, qu’on doit au journaliste Gérard Guicheteau, s’intitulait Marseille 1943 – La Fin du Vieux-Port. Il était le premier d’une nouvelle collection spécifiquement consacrée aux archives de guerre (aux éditions Daniel). Et pour cause : la destruction du Vieux-Port par les Allemands, entre le 22 et le 24 janvier 1943, avait en réalité été soigneusement documentée.
L’événement recelait ainsi des archives édifiantes, produites par les nazis, qui racontent, dans leur regard, cette histoire marseillaise et française qui s’était finie dans un énorme nuage de fumée, et plusieurs convois vers Sobibor ou Auschwitz. On a d’ailleurs pris l’habitude d’appeler les convois 52, et 53, à destination du camp de Sobibor, « les convois des Marseillais ».
Contrairement à la rafle du Vel d’Hiv, en juillet 1942 à Paris, et pour laquelle on ne dispose pas d’images, les opérations marseillaises ont été gravées sur la pellicule avec soin. Plusieurs centaines de photos existent.
Car la destruction de ce coin Marseille, pilotée en haut lieu côté français comme côté allemand, répondait à un double objectif : débarrasser l’Europe de ce quartier populaire au ras du port que les dignitaires du Troisième Reich appelaient le « chancre de l’Europe ». Et en même temps, faire coup double en envoyant en déportation ce qu’on pouvait rafler là de juifs, principalement, alors que la Solution finale avait été décidée six mois plus tôt. Et les deux objectifs tiraient dans le même sens.
Contrairement à ce qu’on croit parfois, en ce mois de janvier 1943, la ligne de démarcation avait déjà vécu, et les Allemands occupaient Marseille depuis la mi-novembre 1942. Parmi ces effectifs, une batterie de correspondants de guerre sous uniforme nazi, dont un photographe du nom de Wolfgang Vennemann, qui appartenait à la Propagandakompanie, la “PK”. On retrouve sa signature derrière les photos mises en lumière par Guicheteau en 1973. Et la plupart des images allemandes qui circulent depuis lors, parfois mal créditées.
C’est à la gare d’Arenc que les habitants du quartier et des juifs marseillais ont été entassés, puis triés, pour être acheminés vers Fréjus ou Compiègne. – Wolfgang Vennemann, Archives fédérales d’Allemagne via Wikicommons CC
Le Troisième Reich, en effet, avait ses reporters. Des photographes professionnels, dont le travail consistait à documenter l’avènement de l’hitlérisme triomphant ; mais aussi tout ce que le nazisme entendait réduire à néant.
A Marseille, la cible était non seulement les juifs, mais encore le métissage, des vies bancales d’artistes ou de saisonniers aux amarres incertaines, mais aussi quantité de façons de vivre en marge, par choix ou par nécessité. À Marseille, les abords du Vieux-Port, durablement le quartier des prostituées, étaient connus pour abriter des centaines de bordels et quelques dédales de la pègre, mais aussi des musiciens, des étrangers, et parfois tout à la fois.
Les journalistes à la solde de la propagande documenteront finalement surtout la rafle, et enfin les explosions, après le 24 janvier 1943. Leur travail est propre, il a même une portée esthétique, et c’est sur les soldats qu’il se concentre au premier chef. Avant de mitrailler l’explosion, sur des séries aux allures de grand spectacle.
Au beau milieu de ce qu’on appelait alors « les vieux quartiers », une poignée de bâtiments historiques seront conservés, symboles a posteriori sidérants du soin méticuleux apporté à la chose.
Tout au long de la guerre, et en particulier l’Occupation, les reporters du Reich seront ainsi les premiers auteurs du récit sur la guerre. On leur doit quantité d’archives, même si c’est Joseph Goebbels, ministre de l’Éducation du peuple et de la Propagande de Hitler, qu’il faut créditer de cette idée de créer les Propagandakompanien.
Prises pendant l’évacuation du quartier du Vieux-Port à Marseille, du 22 au 24 janvier 1943, ces images de Wolfgang Vennemann servaient le récit nazi. – Archives fédérales allemandes, via Wikicommons CC
Les images de Marseille mises dans la boîte au moment-même où la ville subissait la balafre brûlaient-elles trop les doigts ? Trente ans après cette rafle et la destruction d’un quartier emblématique, sur le seuil de la Méditerranée, c’était, de fait, huit bobines de Leica oubliées que Gérard Guicheteau avait remises en lumière en 1973.
Assoupis dans les archives fédérales allemandes, ces documents découverts l’année précédente sont pourtant d’une importance considérable. Ils nous montrent précisément la propagande nazie en train de se charpenter, image après image. En filigrane, ces pellicules posent aussi la question de la portée symbolique de la rafle de Marseille.
Cette rafle en effet n’est pas tout à fait du même ordre que d’autres qui précèdent, en particulier celle du Vel d’Hiv, à Paris six mois plus tôt, en juillet 1942, et ses 13 000 morts, mais aussi celle qu’on nomme désormais “la rafle du Billet vert” (le 14 mai 1941) ou encore la “rafle des notables” (le 12 décembre 1941). Est-ce parce que l’expression « rafle de Marseille » recèle aussi une géographie urbaine et ce projet de destruction de tout un monde et d’une manière de vivre ?
L’administration de Vichy, main dans la main avec les autorités allemandes qui poursuivaient leur projet d’extermination, en fera son affaire lorsqu’elle verra l’opportunité d’un grand nettoyage. Et les juifs et les autres seront mêlés dans le même événement, sans que le sort des uns et des autres ne soit identique. A posteriori, on peut se dire que cet emboîtement des histoires dans un tout petit périmètre a pu retarder la mémoire, et ajouter au flou.
A Marseille, l’expression « rafle du Vieux-Port », est aujourd’hui utilisée (y compris par la municipalité) pour décrire toute l’Opération Sultan, orchestrée du 22 au 24 janvier. En réalité, ce furent d’abord les juifs, principalement, qui furent raflés le premier jour, notamment pendant le shabbat où les familles étaient réunies.
Or ces Marseillais n’habitaient pas seulement les ruelles du Vieux-Port mais, pour beaucoup, le quartier de l’Opéra, et des inspecteurs de police élargiront même la traque bien au-delà, jusqu’à la Belle-de-Mai par exemple. Eux aussi furent les victimes de « la rafle du Vieux-Port », bien que l’expression en prenne un coup.
Et lorsque circule le chiffre de 20 000 personnes raflées, il comprend en fait tous ceux qui ont été délogés dans le cadre de cette opération de police franco-allemande. Mais tous ne furent pas entassés dans des camps, ou destinés aux convois pour Compiègne et finalement Auschwitz ou Sobibor.
Une partie des victimes de la rafle, non juives, passeront la fin de la guerre dans des camps à Fréjus, mais ne seront pas déportées.
Marseille et sa balafre muette
Est-ce parce que justement elle était plus contrastée, et finalement plus complexe ? A moins que ce ne soit un effet en ricochet de la réputation rugueuse qui fut longtemps celle de Marseille, bien avant que la ville méridionale ne devienne tellement à la mode ? Longtemps, cette histoire est passée entre les gouttes des initiatives mémorielles, en même temps que de bien des travaux historiques.
Même à Marseille, l’épisode traumatique a longtemps semblé refoulé. Tout ce flanc du Vieux-Port, et ce qui s’appelle aujourd’hui “le quai du Port” (rebaptisé “quai Maréchal-Pétain” à l’époque), en porte pourtant directement l’empreinte, à même le cadastre : c’est parce que le contre-bas du Panier avait été rasé, en 1943, que le bassin du port célèbre est asymétrique.
Et que, lorsqu’on longe l’Hôtel-de-Ville en direction du Mucem à présent, on passe devant des bâtiments construits par l’architecte Fernand Pouillon à partir de 1949, qui évoquent davantage Le Havre après la Libération que l’architecture provençale vernaculaire. Rien d’étonnant : Fernand Pouillon et Auguste Perret ont largement travaillé ensemble.
En 1973, lorsque Guicheteau avait fait paraître son livre, les Marseillais, pourtant, savaient bien que quelque chose s’était joué là d’une mémoire violente, et meurtrière. Non seulement la déportation, et l’assassinat de plus treize cent habitants de ce quartier (et même d’un peu plus loin) ; mais de surcroît une humiliation symbolique. Car raser le quartier, c’était dire à coups d’explosif la moindre valeur de ces vies-là, même lorsqu’on n’avait pas le malheur d’être juif, et d’être la première victime des nazis. Ainsi, l’histoire était-elle sue, à défaut d’être tout à fait connue.
En temps réel, la destruction du bas du Panier est documentée, le 24 janvier 1943, à Marseille. – Wolfgang Vennemann, Archives fédérales allemandes, via Wikicommons CC
Entre-temps, la rafle s’est frayée un chemin dans les mémoires et récemment la municipalité de la deuxième ville de France s’est montrée plus proactive. Plusieurs personnes ont travaillé à exhumer cette mémoire, et l’épisode de l’effondrement de la rue d’Aubagne, en 2018, est par exemple venu réveiller les souvenirs assourdis de Marseille, bien que l’histoire de ces éboulements n’ait rien à voir – sinon peut-être d’avoir traumatisé des quartiers populaires, où des gens relégués ont péri, dans des conditions peu comparables.
En 2019, les témoins directs se faisaient rares et seuls ceux qui étaient enfants au moment de la destruction du bas du Panier étaient encore vivants. Mais un avocat marseillais, Me Pascal Luongo, et quelques familles prenaient le relais : une plainte pour crime contre l’humanité avait été déposée. L’initiative n’aura pas seulement une portée judiciaire, mais aussi l’ambition du souvenir, et d’un redressement de la mémoire bancale.
En donnant de l’écho à leur plainte, c’est aussi cet épisode très mal connu à Paris et ailleurs en France, que les parties civiles espéraient lester d’une amplitude inédite. Une occasion, aussi, de faire savoir que la France de Vichy avait joué tout son rôle dans la rafle et la destruction de Marseille. C’est Himmler, et tout l’appareil nazi, qui avaient décidé, et ordonné, la destruction de ces entrailles méridionales.
Mais c’est avec la complicité de la police de René Bousquet que, plusieurs heures durant, entre le 22 et le 24 janvier 1943, on aura évacué puis trié les gens, avant de pulvériser leurs maisons à la dynamite.
Les policiers français furent si bien mis à contributions qu’on avait même dépêché à Marseille du renfort – pas moins de 12 000 hommes, dont une grosse centaine d’inspecteurs venus de Paris, qui commenceront par traquer les familles juives, de part et d’autre du bas de la Canebière, pour les envoyer patienter aux Baumettes.
Sur les photos des services de la propagande, on remarque aussi des volontaires français de la milice, et quantité d’uniformes français. René Bousquet, l’équivalent du ministre de l’Intérieur à Vichy, avait mis les moyens.
René Bousquet en col de fourrure
Bousquet, justement, avait fait le voyage à Marseille. On le voit sur certaines photos du 13 janvier 1943, parmi ces archives qui permettent de restituer l’événement. Ces quelques pellicules racontent une histoire à deux voix : du côté des habitants ou des soldats, en pleine rafle, dans les ruelles ; et aussi, à hauteur des donneurs d’ordre : le photographe avait ses entrées à l’Hôtel de ville. Bousquet, le préfet et les chefs de l’armée d’Occupation s’était réunis là, à quelques dizaines de mètres à peine des immeubles qu’on viderait de leurs habitants quelques heures plus tard. Officiellement, on avait dit que c’était à cause des nombreux attentats contre l’occupant, commis par la Résistance, que Berlin avait exigé de Vichy cette opération. Les rares historiens qui se soucieront de la rafle de Marseille répercuteront aussi cette version. Mais Himmler en vérité, qui était obsédé par Marseille comme les nazis l’avaient été par Hambourg avant la guerre, avait pris sa décision en amont. Et pour Pétain, qui avait connu la ville, plus jeune, c’était une aubaine : le quartier du Docker noir, d’Ousmane Sembène (qui reparaîtra au printemps 2023 chez Heliotropismes) ou de Banjo et Romance in Marseille, de Claude McKay, avait mauvaise réputation. “L’Opération Sultan”, comme l’appelleront les occupants nazis, était l’occasion d’un grand nettoyage qui arrangeait tout le monde. Et des années plus tard, lorsque des retraités qui, à l’époque, n’étaient encore que des enfants, témoignent, on est frappé de les entendre dire qu’ici, pourtant, vivaient “des gens bien”. C’est-à-dire, pas seulement les crapules auxquelles on avait facilement assimilé le quartier. Comme si cela rendait sa destruction moins scandaleuse.
Ces photos désormais sont mieux connues des historiens. La plupart se trouvent encore aux archives fédérales allemandes, à Coblence bien qu’on en trouve aussi aux archives départementales des Bouches-du-Rhône par exemple. Et c’est à un historien allemand, Ahlrich Meyer, qu’on doit d’avoir produit un gros travail, dans les années 1990, sur ce fonds d’archives : un livre (en allemand), intitulé Marseille 1942 – 1944, le regard de l’occupant (1999), redonne toute leur portée à ces images du temps de la rafle. Il les imprime aussi sur nos rétines pour longtemps. Aujourd’hui âgé, Meyer fut longtemps un des seuls à pouvoir raconter cette présence allemande à Marseille. Ce faisant, il n’avait pas seulement remis d’aplomb tout un pan de l’histoire de l’Occupation, en éclairant un épisode obscurci. Il avait aussi contribué à un vaste travail de rénovation de l’histoire du nazisme, qui était en train de se déployer, depuis les années 1970, de l’autre côté du Rhin. En se concentrant sur les acteurs plus près du sol, et en poursuivant la discussion amorcée par un autre historien, Christopher Browning, Meyer contribuait à son tour à revisiter l’Occupation et la collaboration. Il expliquait par exemple dans ce livre comment la politique de représailles, et notamment l’exécution d’otages, résistants et souvent communistes, avait progressivement laissé place, après 1941, à l’idée de déporter systématiquement une population plus ciblée, et surtout moins susceptible d’empoisonner les relations avec le régime de Vichy. La rafle de Marseille est ainsi décidée six mois après la Solution finale, alors que la collaboration entre les troupes du SS Karl Oberg, chef des services de sécurité et de sûreté du Reich nommé en France au printemps 1942, et la police de René Bousquet est désormais parfaitement huilée. Comme Bousquet, Oberg avait fait le voyage à Marseille, en janvier 1943, lui aussi, et c’est dire ce que représentait l’objectif.
Scruter les photos de Vennemann à l’hôtel de ville de Marseille, le 22 janvier 1943 en pleine rafle, c’est comprendre la Collaboration à hauteur d’hommes. – Archives fédérales allemandes, via Wikicommons CC
« L’esprit fanfaron de Marius »
Sur les photos que le livre d’Ahlrich Meyer vient inscrire dans le temps long, on voit les responsabilités allemandes et françaises s’encastrer dans un mouvement du buste, un rictus, ou tout simplement à travers une façon de se tenir ensemble, proches et finalement complices, affairés ensemble à décider. Le seul sourire de René Bousquet, qui pose au milieu des huiles nazies, dans son manteau à col de fourrure, raconte tout cela.
Pendant la rafle, le 23 janvier 1943, René Bousquet, en col de fourrure, entouré par le SS Bernhard Griese, Antoine Lemoine, Rolf Mühler, et Pierre Barraud. – Wolfgang Venneman, archives fédérales allemandes, via Wikicommons CC
Cette perspective historique fera aussi l’objet d’un débat, et même d’une controverse, parmi les historiens et les historiennes du nazisme. Attraper les représentations à petite échelle et au ras des acteurs de terrain, n’était-ce pas risquer de diluer les responsabilités – à commencer par celle d’un certain Adolph Hitler, ravalé au rang d’arbitre ? A envisager de quoi se nourrissait l’imaginaire d’un soldat ou d’un photographe au service de la propagande, en oublierait-on l’agenda funeste de la Solution finale, et ses chefs d’orchestre ? À Marseille, Meyer cherchera aussi à mettre en évidence combien ceux qui interviennent, sur place, sont personnellement façonnés par une manière de voir, et de se figurer leurs cibles comme des victimes légitimes, convenables.
Dans les archives du journal hitlérien Signal, on découvre ces lignes, sous la plume du journaliste nazi Walter Kiaulehn : “Dans l’avenir, lorsqu’on écrira l’histoire de Marseille, on signalera ce fait remarquable qu’en faisant évacuer le vieux quartier patricien, l’organisateur avait utilisé les policiers français et allemands comme un groupe d’ingénieurs et de médecins. » Et puis, un peu plus loin, du même correspondant à Paris : « L’esprit fanfaron de Marius devait se taire en face de la rigueur scientifique… “
Mais début février 1943, le régime de Vichy lui aussi avait fait paraître dans les journaux un communiqué aux allures de plaidoyer : « Le cadre du Vieux-Port était présenté comme le foyer de la misère, de la tuberculose et de la révolte. On montrait des Français trop veules, trop avachis, trop dégénérés pour s’affranchir de cette plaie sociale… L’occasion s’est présentée de mettre fin à ce scandale et elle a été saisie. Qui oserait blâmer les autorités qui ont osé mettre le point final à cette anomalie qui, peut-être, flattait certains artistes de passage, mais révoltait les gens que le destin contraignait à vivre dans des lieux malsains ? En tout cas, ce n’est pas à l’heure où la défense de la race passe au premier rang des préoccupations gouvernementales qu’il faut prendre feu et flamme en faveur de la couleur locale qui a déjà coûté la vie à tant d’enfants des classes déshéritées… »