Face aux défis environnementaux, « l’intelligence artificielle est un formidable outil »

Si l’émergence de l’IA pose de nouveaux défis en matière d’écologie, à commencer par une importante consommation d’énergie, les progrès attendus portent la promesse d’une meilleure gestion des périls environnementaux.

Les espoirs sont immenses, les inquiétudes aussi. L’intelligence artificielle (IA) pourrait contribuer à une diminution de 16 % des émissions de gaz à effet de serre au cours des cinq prochaines années, selon le Capgemini Research Institute.
Mais le monde virtuel se heurte aux réalités de la physique : les centres de données nécessaires à l’IA consomment toujours plus d’énergie, de métaux rares et d’eau, et produisent une grande quantité de déchets électroniques. L’IA peut-elle être une alliée face aux défis environnementaux et notamment dans la lutte contre le dérèglement climatique ? Éléments de réponse avec Dejan Glavas, professeur associé de finance à l’école de commerce ESSCA. Il a travaillé comme expert en finance durable auprès de la Commission européenne et dirige aujourd’hui l’institut « AI for Sustainability ».

France 24 : Dans quels domaines l’IA pourrait-elle aider face aux défis environnementaux ?

Dejan Glavas : En premier lieu, il y a l’adaptation aux changements climatiques. L’IA a d’immenses capacités prédictives. Nourris de données, les modèles pourraient prévoir précisément les risques d’inondations, les sécheresses ainsi que d’autres événements climatiques extrêmes, sur une zone. L’IA peut aussi intervenir dans la gestion des énergies renouvelables. Actuellement, leur point faible vient des caprices de la météo. Les aléas naturels produisent la production d’énergie renouvelable inconstante, et donc dépendante d’autres sources d’énergie (fossile ou nucléaire). Nous sommes obligés d’anticiper les situations de sous-tension du réseau liées à l’inconstance du soleil ou du vent. Cette anticipation augmente les besoins en énergie non renouvelable : par sécurité, nous misons sur des sources d’énergie plus constantes mais aussi, beaucoup de cas, plus émettrices de carbone.

Or des modèles d’IA peuvent prédire, avec une grande précision, la production d’électricité d’un parc éolien ou solaire. La justesse de ces prédictions permet d’augmenter au maximum la part provenant des énergies renouvelables au sein du réseau. Enfin, l’IA peut aider à préserver la biodiversité, qui est menacée par le greenwashing. Au début de l’année, une enquête publiée par le Guardian a dénoncé l’expertise de Verra, pourtant une référence dans le contrôle des crédits carbone, ces « droits de polluer » achetés par les entreprises. Les crédits étaient supposément réinvestis dans la lutte contre la déforestation. Pourtant, 90 % d’entre eux ne permettaient pas de réduction réelle du gaz à effet de serre. De telles erreurs, ne survivront pas au contrôle d’une IA, du fait de l’immense quantité de données vérifiées par ces machines. Correctement entraînés, des modèles d’IA pourraient faire office de redoutables sentinelles vérifiant les engagements des États ou des entreprises.

Que répondre aux inquiétudes liées à l’impact environnemental de l’IA dans ces tâches ?

Ce qui pollue le plus, c’est l’entraînement d’un modèle d’IA, qui correspond à environ 300 tonnes de CO2 émises dans l’atmosphère. On fournit à l’IA une grande quantité de données qui lui permettent d’apprendre à accomplir une tâche. Par exemple, pour apprendre à reconnaître les visages, un algorithme d’IA utilise des grandes quantités de photos de personnes. Or, plus un modèle d’IA doit être précis, plus la quantité d’informations qu’on doit lui injecteur augmenter. Et ce de manière exponentielle. Plus une IA est puissante, plus son entraînement pollue. Mais il y a plusieurs bémols à préciser. D’abord, l’impact environnemental de l’utilisation de l’IA est marginal en comparaison de celui de son entraînement. Une fois paramétrée, une IA peut être utilisée autant qu’on le souhaite, sans avoir besoin de l’entraîner à nouveau. Les entraînements sont réalisés au sein de data centers (les lieux regroupant les équipements informatiques qui servent à stocker, traiter et diffuser des données numériques, NDLR). Ou les entreprises gérantes ces centres de données ont intérêt à tout mettre en œuvre pour réduire la consommation d’énergie, pas nécessairement pour la planète, mais au nom de la compétitivité : une production énergivore n’est pas louable.

Centre de données (Data center) à Lulea, en Suède. Image d’achiveCentre de données (Data center) à Lulea, en Suède. Image d’achive © Jonathan Nackstrand, AFP

Le bilan carbone d’un data center dépend en outre du mix énergétique du pays où il est localisé. S’il est basé en France, son impact sera par exemple bien moindre qu’il se situe en Pologne. Ainsi, moins nos économies utiliseront les énergies fossiles, moins l’IA seratrice de CO2.

Ne voyez-vous pas un paradoxe à utiliser à plus de technologie pour faire face à un péril qu’elle a elle-même produit ?

Les modèles d’IA sont de plus en plus puissants. Aujourd’hui, de grands groupes américains comme OpenAI se séparent du marché de l’intelligence artificielle. Mais demain, combien d’entreprises chercheront à développer ces technologies ? Cela suscitera une inquiétude : cette démocratisation de l’IA pourrait tout simplement se heurter aux limites physiques de la planète. Mais on peut répondre que la technologie, IA incluse, reste un formidable outil. Que cet outil soit mis au service d’un avenir plus durable ou qu’il ne détruise davantage la planète n’est pas tant une question technologique qu’un sujet de société, ne doit pas s’emparer de la puissance publique. Il serait souhaitable que l’Union européenne s’approprie rapidement les enjeux de l’IA et qu’elle lui impose des limites. Celles-ci doivent non seulement garantir le respect des règles sur le traitement de nos données – comme s’y attelle déjà la Commission européenne – mais aussi la protection de notre environnement.

JForum avec France 24

 

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