CHRONIQUE

Les risques d’une récession mondiale s’accumulent pour 2020

A mesure que les Etats-Unis et la Chine s’éloignent l’un de l’autre, sur fond de guerre commerciale, les risques de récession globale, déjà nombreux, prennent de l’ampleur. D’autant que les tensions au Moyen-Orient pèsent sur les cours du pétrole. Attention danger.

Les guerres commerciales et hausses potentielles du cours du pétrole constituent un risque du côté de l’offre.

Paul Box/Report digital-REA

Par Nouriel ROUBINI (président de Roubini Global Economics)

Publié le 20/06 à 07h30

L’été dernier, mon collègue Brunello Rosa et moi-même avions identifié dix risques potentiels susceptibles d’engendrer une récession aux Etats-Unis et dans le reste du monde en 2020. Neuf de ces risques existent toujours aujourd’hui.

La plupart  concernent directement les Etats-Unis. Les conflits commerciaux avec la Chine et d’autres pays, ainsi que les restrictions sur les migrations, l’investissement direct étranger et les transferts technologiques, pourraient avoir de profondes conséquences sur les chaînes d’approvisionnement mondiales, et accentuer la menace d’une stagflation (ralentissement de la croissance et augmentation de l’inflation). Le risque de diminution de la croissance américaine est par ailleurs d’autant plus réel aujourd’hui que la relance associée à la législation fiscale de 2017 a fait son temps.

Dans le même temps, les marchés boursiers américains sont toujours en effervescence. D’autres risques viennent s’y ajouter en raison du creusement de nouvelles formes de dette, notamment sur de nombreux marchés émergents, où l’emprunt est en grande partie libellé en devises étrangères. La capacité des banques centrales à faire office de prêteurs de dernier recours devenant de plus en plus limitée, les marchés financiers illiquides sont vulnérables aux « krachs éclairs » et autres perturbations. L’une d’entre elles pourrait provenir du président américain Donald Trump, s’il était tenté de déclencher une crise de politique étrangère avec un pays comme l’Iran. Une telle démarche le servirait sans doute dans les sondages, mais pourrait également déclencher un choc pétrolier.

Chine surendettée

Au-delà des Etats-Unis,  la fragilité de la croissance dans une Chine surendettée, ainsi que sur d’autres marchés émergents, demeure préoccupante, tout comme le sont les risques économiques, législatifs, financiers et politiques en Europe. Plus problématique encore, dans la plupart des économies développées, la boîte à outils d’élaboration de politiques de réponse à une crise reste limitée. Les interventions monétaires, budgétaires et autres filets de sécurité pour le secteur privé mis en oeuvre après la crise financière de 2008 ne peuvent tout simplement plus être déployés aujourd’hui.

Le dixième facteur que nous considérions résidait dans la politique de taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine. Après des hausses de taux en réponse à la relance budgétaire procyclique de l’administration Trump, la Fed a inversé le cap au mois de janvier. A l’avenir, il faut davantage s’attendre à ce que la Fed et  les autres grandes banques centrales réduisent les taux pour gérer les différents chocs sur l’économie mondiale.

Consommation globale menacée

Tandis que les guerres commerciales et hausses potentielles du cours du pétrole constituent un risque du côté de l’offre, elles menacent également la demande globale, et par conséquent la croissance de la consommation, dans la mesure où droits de douane et pétrole plus coûteux réduisent le revenu disponible. Face à tant d’incertitude, les entreprises opteront probablement pour une réduction des dépenses en capital et des investissements.

Dans ces conditions, un choc suffisamment violent pourrait déclencher une récession mondiale, même en cas de réponse rapide des banques centrales. En 2007-2009, la Fed et les autres banques centrales ont réagi agressivement à la crise financière mondiale, mais sans parvenir à empêcher la « grande récession ». Aujourd’hui, le taux directeur de référence de la Fed est de 2,25-2,5 %, contre 5,25 % en septembre 2007. En Europe et au Japon, les banques centrales se situent d’ores et déjà en territoire de taux négatifs. En présence par ailleurs de bilans gonflés liés à des phases successives d’assouplissement quantitatif (QE), les banques centrales rencontreraient des obstacles similaires si elles devaient renouer avec des achats d’actifs à grande échelle.

Le poids des déficits et des dettes

Sur le plan budgétaire, la plupart des économies développées présentent soit des déficits supérieurs, soit une dette publique plus lourde que jamais avant la crise financière mondiale, ce qui laisse peu de place aux dépenses de relance. Par ailleurs, comme Brunello Rosa et moi-même le faisions valoir l’an dernier, « les sauvetages du secteur financier seront intolérables dans des pays aux mouvements populistes résurgents, et aux gouvernements quasi insolvables ».

Parmi les risques susceptibles d’entraîner une récession en 2020, la guerre commerciale et technologique entre la Chine et les Etats-Unis requiert une attention particulière. Une escalade du conflit est possible de plusieurs manières. L’administration Trump pourrait décider d’élever encore les droits de douane des exportations chinoises. Une interdiction pour Huawei et d’autres sociétés chinoises d’utiliser des composants américains pourrait également entraîner un processus de démondialisation à grande échelle. Si cela devait arriver, la Chine disposerait de plusieurs options de représailles contre les Etats-Unis, telles que la fermeture de son marché aux multinationales américaines comme Apple.

Vers une crise mondiale ?

Dans un tel scénario, le choc pour les marchés du monde entier serait suffisant pour engendrer une crise mondiale. Les tensions actuelles affectant d’ores et déjà la confiance des entreprises, des consommateurs, des investisseurs, et ralentissant la croissance mondiale, une nouvelle escalade plongerait le monde dans la récession. Et compte tenu de l’ampleur de la dette publique et privée, une nouvelle crise financière s’ensuivrait certainement.

Il est possible que Trump et Xi se rencontrent pour discuter lors du sommet du G20 des 28 et 29 juin à Osaka. Pour autant, même s’ils consentent à reprendre les négociations, un accord global de résolution de leurs nombreux points de discorde est encore très lointain. A mesure que les deux camps s’éloignent l’un de l’autre, l’espace propice au compromis se réduit, et le risque de récession ou de crise planétaire se fait croissant, dans une économie mondiale déjà fragile.

Nouriel Roubini est président de Roubini Global Economics.

Ce texte est publié en collaboration avec Project Syndicate, 2019

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Shelomo

Ce qui est étonnant dans cet article, c’est qu’il n’est question nul part de l’Europe actuelle, est-ce que ce conglomérat de pays fait de tout et de pas du tout conforme à une économie pérenne survivra? Et sa monnaie, lEuro quid de l’assurance de sa valeur?

Élie de Paris

C’est plus une certitude qu’un risque.
Quand seule la spéculation règle le profit, et non plus le produit, et que cette spéculation devient elle-même un produit spéculé (!), la bulle démesurée finit par crever.
A la defense, les tours (à moitié vides !) voient d’autres constructions en cours, pour la seule speculation immobilière.
Le dernier à tenir la patate chaude, sans preneur, la balancera pour ne pas se brûler.
La bourse est le mélanome de l’économie.
Malin.