Pour Moscou, une “question de vie ou de mort”.

Hu Xijin, ancien rédacteur en chef du journal nationaliste chinois Huanqiu Shibao, évalue sur son blog les différentes issues possibles de la guerre en Ukraine. Selon lui, quelle que soit la suite des événements, ce conflit aura un impact sur la Chine.

Alors que la situation en Ukraine reste très incertaine, on me demande souvent quelles en seront les conséquences sur le monde et sur la Chine. Certes, la guerre en elle-même va avoir un impact énorme. Mais c’est surtout de son issue que découlera véritablement le nouveau paysage mondial.
Cette guerre est en fait une violente riposte de la Russie à l’Otan. Cette dernière, en s’élargissant vers l’est, a comprimé l’espace de sécurité russe. Les objectifs de Poutine devraient donc être limités. Si la puissance nationale russe permet à ce dernier de “s’opposer” partiellement aux États-Unis et à l’Occident, une confrontation totale serait forcément au-dessus de ses forces.

Si la Russie gagne la guerre

En cas de victoire de la Russie, Poutine neutraliserait l’Ukraine, éliminant ainsi le risque de voir cet ancien État de l’Union soviétique rejoindre éventuellement le clan occidental contre la Russie. Il s’agirait d’une contre-attaque réussie de Moscou aux pressions accrues qu’exerce Washington depuis l’effondrement de l’Union soviétique, avec un affaiblissement de l’hégémonie américaine à la clé. Bien sûr, la guerre aura échaudé l’Europe, qui risquerait à l’avenir de compter encore plus sur les États-Unis pour assurer sa sécurité. En outre, l’Europe pourrait se montrer plus hostile encore envers la Russie.
De ce fait, le succès russe serait limité. En effet, il est inimaginable que cette guerre ouvre une nouvelle ère d’expansion russe en Europe et que Poutine s’empare progressivement des anciens États membres de l’Union soviétique et du pacte de Varsovie. La Russie n’a pas la puissance nécessaire pour tenir tête à l’Otan, affrontement que sa population n’approuverait par ailleurs certainement pas.
Cette guerre sera le début d’un réarmement massif de l’Europe. Une Europe dans laquelle la Russie sera isolée à cause de son président. Cet isolement sera la facture que Poutine devra payer personnellement, avec à la clef un nouvel ordre au Kremlin sans ce dernier. Une révolution politique aura lieu car les russes n’imaginent pas être déconnectés de l’Occident, pour l’illusion d’un retour à la Russie Tsariste.

Si la Russie perd

En cas de défaite de la Russie, on assisterait à un enlisement des opérations militaires en Ukraine. La population ukrainienne, avec le soutien matériel et moral venu de l’étranger, lancerait un mouvement de résistance populaire généralisée. L’Ukraine, deuxième plus grand pays d’Europe, deviendrait alors un bourbier pour la Russie, dont l’envie de poursuivre la guerre serait finalement sapée. L’issue serait donc tout autre.
Cela entraînerait presque à coup sûr des bouleversements politiques en Russie, voire une “révolution de couleur” [en référence notamment à la “révolution des roses” de 2003 en Géorgie, et à la “révolution orange” de 2004 en Ukraine, considérées en Chine comme des mouvements populaires soutenus – voire instrumentalisés – par les États-Unis contre des régimes autoritaires], ainsi que d’autres réactions en chaîne difficiles à prévoir aujourd’hui dans la politique intérieure russe.
Par-delà le jugement moral que l’on peut porter sur cette seconde hypothèse, celle-ci aboutirait à une consolidation de l’hégémonie américaine sur le plan stratégique mondial. En effet, la guerre aura poussé les États-Unis et le reste de l’Occident à faire bloc, et si elle se terminait par un échec de Poutine, cela prouverait la puissance de ce bloc et constituerait globalement un encouragement pour l’Occident.

Entre les États-Unis et la Russie, une guerre d’usure

Comme le montre l’analyse ci-dessus, si ni la Russie ni les États-Unis ne peuvent “se permettre de perdre” la guerre, c’est, pour Moscou, une “question de vie ou de mort”. Par conséquent, la situation militaire en Ukraine m’inspire les trois observations suivantes : tout d’abord, les Russes affichent une grande confiance dans leur capacité à contrôler la guerre. Par ailleurs, ils estiment avoir le choix dans la manière de la mener, même s’ils hésitent quelque peu entre leur désir d’atteindre leurs objectifs militaires et le souci d’éviter les pertes civiles. Enfin, la Russie n’a pas encore lancé de mobilisation générale pour cette guerre – mobilisation qui engendrerait de nombreuses souffrances. Une solution qu’elle préférera adopter plutôt que de battre en retraite sans avoir atteint ses objectifs.
Que la guerre soit éclair ou non, c’est une affaire entre la Russie et l’Ukraine. En revanche, la confrontation entre la Russie et les États-Unis sera forcément une guerre d’usure, qui se fera notamment à coups de sanctions. Aussi, l’issue de ce conflit ne se joue pas seulement sur le champ de bataille de l’Ukraine ou à la table des négociations, mais aussi sur la capacité de la Russie à résister aux sanctions généralisées des États-Unis et du reste de l’Occident.
Il reste à voir quelles seront les conséquences concrètes de l’exclusion de la Russie de la messagerie sécurisée interbancaire Swift par l’Occident et de l’arrêt de toutes les relations économiques et culturelles. Est-ce que cela pourra vraiment pousser la “grande puissance” au bord du gouffre ?

Des effets certains sur la Chine

Ces différentes issues possibles à la guerre auront naturellement des répercussions profondes sur tous les aspects des relations internationales, au point même de redessiner dans une large mesure le paysage mondial, ce qui affectera aussi les intérêts nationaux de la Chine.
Pour finir, je souhaiterais souligner que la Russie est comme un bac à sable. Tout ce qui se passe dans ce bac à sable mérite d’être suivi de près par les Chinois. L’effondrement de l’Union soviétique en 1991 semble avoir vacciné politiquement la société chinoise, produisant des effets qui se font toujours sentir aujourd’hui. Maintenant que Poutine est passé à l’attaque, il ne nous reste plus qu’à attendre de voir la suite des événements.

Hu Xijin, ancien rédacteur en chef du journal nationaliste chinois Huanqiu Shibao,

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