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Le très florissant marché de l’art sous l’Occupation

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Le très florissant marché de l’art sous l’Occupation

Publié le 07.03.2021

 Près de deux millions de biens culturels furent échangés entre 1940 et 1944. Plus la pénurie alimentaire s’installait, plus la cote des œuvres augmentait, valeur refuge en temps de guerre.

Ce marché florissant a été rendu possible par l' »aryanisation » du monde de l’art, par des lois racistes, des spoliations, des trafics d’œuvres, du pillage. Un documentaire à voir sur PlayRTS revient sur cette période.

Hitler a rêvé jusqu’à la fin de créer à Linz, en Autriche, le plus grand musée de peinture européen tandis qu’Hermann Göring a pu enrichir sa collection personnelle de plus de 1300 peintures. Mais cette situation a aussi profité à la Suisse.

« Histoire vivante » sur La Première consacre une série en cinq épisodes au marché de l’art pendant la guerre, avec un important volet suisse, à travers le portrait du Zurichois Emil Georg Bührle, vendeur d’armes et grand collectionneur.

Après la guerre, peu de sanctions seront prises. Si de nombreuses oeuvres ont été restituées aujourd’hui, la question de l’origine reste plus que jamais d’actualité.

Marie-Claude Martin

L’avant garde contre le classicisme

Paris contre l’Allemagne nazie

Dans les années 1930, Paris est le centre mondial de l’art. Et tandis que la capitale est au pic de la modernité avec le dadaïsme, le cubisme et le surréalisme, l’Allemagne célèbre le classicisme et conspue les avant-gardes.

En 1937, les nazis organisent à Munich deux expositions, l’une consacrée à « l’art dégénéré » juif et bolchévique, l’autre à l’art héroïque. Dans le même temps, les dignitaires du national-socialisme retirent des musées allemands tous les tableaux ne correspondant pas aux canons académiques.

Mais que faire des tableaux condamnés? Une partie sera détruite, une seconde conservée près de Berlin et les œuvres les plus cotées vendues sur le marché international pour financer l’armée du Reich.

August Macke, "Gartenrestaurant", 1912. [August Macke, "Gartenrestaurant", 1912. - Kunstmuseum Bern]August Macke, « Gartenrestaurant », 1912. – Kunstmuseum Bern

Le 30 juin 1939, c’est en Suisse, à Lucerne, que sera organisée par le galeriste et commissaire priseur Theodor Fischer la mise aux enchères de 125 chefs-d’oeuvre de l’art moderne raflés dans les musées allemands. Les collectionneurs les moins regardants réalisent de très belles affaires. Pour beaucoup, la vente Fischer sonne le début du dérèglement du marché de l’art.

Theodor Fisher restera un homme-clé de ces transferts d’œuvres et saura en tirer avantage, Hermann Göring payant ses services en tableaux.

Collectionneur et vendeur d’armes

Le Zurichois Emil Bührle

Canons de l’art. Mais aussi art et canon. Un autre Suisse saura tirer les marrons du feu de ce marché déréglé et florissant. Emil Georg Bührle, marchand d’armes et amateur d’art. En 1939, sa fortune est estimée à 8,5 millions de francs suisses; en 1945, elle s’élève à 170,6 millions, entre vente d’armes et achats d’œuvres à prix bas.

 

L'entrepreneur zurichois Emil Georg Bührle (au centre) a fait sa fortune en fabriquant des armes, notamment des canons, à Oerlikon. Ici, en 1954, avec Tafari Makonnen (à gauche), régent d'Ethiopie et dernier empereur d'Abyssinie. [KEYSTONE/Ilse Guenther - Keystone]KEYSTONE/Ilse Guenther – Keystone

 

Mais de ses acquisitions entre 1939 et 1945, treize œuvres se révéleront d’origine douteuses, dont celles ayant appartenu au marchand d’art juif Paul Rosenberg. Après la guerre, Bühler, faisant preuve de bonne foi, les lui restituera… avant de les lui racheter.

 

"Le semeur au soleil couchant" de Vincent Van Gogh est à voir à l'Hermitage jusqu'au 29 octobre 2017. [Laurent Gillieron - Keystone]Laurent Gillieron – Keystone

En 1948, il acquiert « Le Gilet rouge » de Cézanne et en 1949 « La petite Irène » de Renoir. C’est une des plus belles collections d’impressionnistes au monde.

Oskar Kokoschka, le seul peintre avec lequel Bührle ait eu des contacts personnels, disait de lui: « c’est un homme solitaire. L’armurier ne s’occupe pas seulement des canons, des mitrailleuses et des fusées. Il voulait aussi ciseler des armes intellectuelles. La collection d’art public est comparable à un arsenal mental, car elle représente des siècles de puissance créatrice des talents de notre peuple, et elle permet d’y puiser de nouvelles forces spirituelles ».

Quelque 200 œuvres de cette collection s’apprêtent à intégrer le nouveau bâtiment du Kunstmuseum de Zurich qui doit beaucoup à l’industriel, notamment, en 1958, le financement de l’agrandissement du musée.

 

La collection Bührle doit devenir l’étendard du nouveau musée d’art de Zurich. Une collection au financement controversé / 19h30 / 2 min. / le 17 novembre 2020

 

Des lois antisémites

Hitler rêve d’un grand musée à son nom

Mais revenons en France. Le 28 juin 1940, Paris est occupé. Hitler a promis à son peuple un grandiose musée dédié à l’art héroïque et baptisé le Führermuseum. Il le veut à Linz, en Autriche. Et Paris regorge d’œuvres que le Führer convoite pour son projet.

Les choses vont alors très vite. Hitler exige que soient mis en sécurité les objets appartenant aux juifs puis une ordonnance stipule que les Français en territoire occupé doivent déclarer à la Kommantur tout objet de valeur supérieur à 100’000 francs.

La confiscation du patrimoine français commence. Plus qu’une confiscation, un braquage institutionnel organisé par le Reich et encouragé par le gouvernement de Vichy qui promulgue des lois antisémites, notamment celle d’octobre 1940 qui interdit aux juifs de pratiquer leur métier, dont celui de marchand d’art. En 1941 à Paris, l’exposition raciste « Le Juif et la France » couronne la propagande nazie et la politique antisémite de Vichy.

 

Le marché de l'art sous l'Occupation [RTS]
Le marché de l’art sous l’Occupation / Histoire vivante / 54 min. / le 28 février 2021

 

Privé de ces marchands juifs inspirés, vidé de ses artistes, Paris est à prendre jusqu’au dernier bibelot. La suite est un théâtre occulte qui met en scène Otto Abetz, qui organise l’expropriation des biens appartenant à des familles juives, Alfred Rosenberg, théoricien de la pensée nazie et responsable des biens confisqués, Hermann Göring, grand collectionneur des maîtres anciens, et Bruno Lohse, marchand d’art, spécialiste de la peinture flamande et conseiller de Göring. Pour le compte du Reich et pour leur propre compte, ils s’adonnent à de véritables pillages.

Prudent, Le Louvre a eu la bonne idée, dès septembre 1939, d’évacuer ses principaux chefs-d’oeuvre (3690 tableaux décrochés) en direction du château de Chambord, puis de les disséminer dans différents châteaux de province.

Peintures contre devises

Gurlitt, l’homme de de l’ombre

En décembre 1942, la salle des ventes Drouot met en vente la magnifique collection de feu George Viau, chirurgien-dentiste, mécène et premier acquéreur d’un Cézanne. Un homme fait monter les enchères, Hildebrand Gurlitt, passionné d’avant-garde, contraint de démissionner en 1933 de son poste de directeur du musée de Zwickau sous la pression du national-socialisme.

Il sera pourtant mandaté quelques années plus tard par Hitler – qui lui confie la collection de son futur musée – pour vendre l' »art dégénéré » des musées allemands à l’étranger et le transformer en devises. Il en profite pour monter sa propre collection.

Reportage sur la Collection Gurlitt, état des lieux "L'art dégénéré" - Confisqué et vendu [RTS]
Reportage sur la Collection Gurlitt, état des lieux « L’art dégénéré » – Confisqué et vendu / La Puce à l’Oreille / 3 min. / le 14 décembre 2017

 

En février 2012, 1285 œuvres non encadrées et 121 œuvres encadrées, dont une grande partie était déclarée perdue depuis la période nationale-socialiste, sont découvertes dans l’appartement munichois de Cornelius Gurlitt, son fils.

C’est le Kunstmuseum de Berne qui, à la surprise générale, devient légataire unique de cette collection, tout en assumant la responsabilité morale de ce choix.

La restitution des œuvres

Un casse-tête

Après la guerre, 60 000 objets culturels sont récupérés par la France. Les trois quarts de ces œuvres sont reconnus et restitués à leur propriétaire. Mais plus de 2000 sont toujours conservées par des musées publics français sous l’étiquette MNR (Musées Nationaux Restitution) en attente d’identification des ayants droit.

Le général Eisenhower examine le 12 avril 1945 des oeuvres d'art volées par le gouvernement nazi dans les pays occupés et cachés dans une mine de sel en Allemagne. [Keystone]Keystone

Ces vingt dernières années, plusieurs lois internationales tentent de mettre de l’ordre dans cette épineuse question de la restitution. Des centaines, voire des milliers d’oeuvres possiblement spoliées sont aujourd’hui dans les collections de certains musées. A l’ère numérique, les recherches de provenance représentent une partie importante du travail muséal.

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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