Rabbi Yehudah Loew ben Betzalel (ZAL) est enterré dans l’antique cimetière juif de Prague 

Le prénom du MaHaRaL est Yeouda (Judah). Le lion est le symbole de la tribu de Juda.

Un des plus remarquables ouvrages du MaHaRaL a pour titre אריה ץור « Gour Aryé « , c’est à dire « Le jeune lion ». Le titre est directement tirée de la Genèse -1-. L’ouvrage est une étude basée sur les commentaires de Rachi de Troyes -2-.

Sans doute, Rabbi Löwe aurait pu choisir Aryé comme pseudonyme. C’est sans doute ainsi que le percevaient ses disciples qui le vénéraient.

Rabbi Yeouda Löwe ben Bezalel est probablement né en 1512, à Posen-3-. En 1553, il part pour Nikolsburg -4- pour y occuper la fonction de Grand Rabbin de Moravie, fonction qu’il a occupée pendant vingt ans. En raison de sa présence, de nombreux juifs se sont installés dans la ville et leur influence s’y est accrue.

En 1573, Prague était l’un des principaux foyers juifs d’Europe centrale. Rabbi Löwe s’y rendit pour fonder puis diriger sa Maison d’Études (Klaus), une Yeshiva qui atteignit la plus grande notoriété dans l’intelligenzia juive et qui accueillit des disciples parmi les plus brillants dont le Rav David Gans sur lequel nous reviendrons-5-.

En 1592, alors qu’il est âgé de 80 ans, la notoriété du MaHaRaL s’épanouit dans le monde des gentils. Il a été invité au palais de l’empereur Rodolphe II de Habsbourg pour un entretien prolongé en face-à-face avec le souverain.

Ce premier contact sera suivi de rencontres et d’entretiens fructueux avec les scientifiques qui entourent le souverain et, en particulier avec Tycho Brahé, le Maître de Kepler qui devint son ami 6-.

Suite à cet entretien, Rabbi Löwe part pour sa ville natale en Pologne et y occupe simultanément les postes de Roch Yeshiva et de « Rabbin de toute la province de la Diaspora de Pologne ». Il reviendra à Prague quatre ans plus tard et y restera jusqu’à la fin de sa vie en 1609. C’est à dire un an avant l’assassinat de Henri IV en France et la période que les historiens intitulent Les temps modernes.

La rencontre du Rabbin et de l’Empereur est cruciale par ses effets et par sa date. 1592 est une année de « grand crû ». Tout d’abord, c’est un triple centenaire :

•En 1492, Christophe Colomb débarque sur un nouveau continent. Dans ce monde que l’on croyait connaître, il existerait donc un monde encore inconnu. C’est une fantastique gifle au narcissisme ambiant !

•En 1492, les souverains de la très catholique Espagne expulsent les juifs de leur royaume et amorcent ainsi un considérable déclin. Certains en sont très conscients un siècle après.

•En 1492, Gutenberg découvre l’imprimerie. Cent ans après, la culture s’est déjà propagée hors des monastères. Le savoir est libéré.

 

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Statue du MaHaRal
Hôtel de ville de Prague

En 1592, six jours avant la fête de Shavouot, le premier ouvrage du plus brillant disciple du MaHaRaL, David Gans est imprimé Cet ouvrage est intitulé le « Tsémah David צמח.דוד (Germe de David). Il contient le portrait que David Gans a fait de son Maître -7-.

« Rabbi Lowe (Le MaHaRaL) est le Maître par excellence, la couronne des Sages, le prodige de notre génération. Sa lumière éclaire tous les enfants de notre peuple et toute la dispersion d’Israël boit à sa source… Durant vingt ans il a été le Rabbin de toute la province de Moravie. Puis il est venu ici s’installer à Prague en l’an 5733 (1573). Il y a fondé une maison d’étude pour les Sages, le grand Bet-Midrash connu sous le nom de Klaus. Il y a fait rayonner son enseignement pendant onze ans puis de nouveau pendant quatre ans… Que D. prolonge ses jours et ses années et que nos yeux puissent voir le roi dans son éclat, jugeant les peuples avec droiture. »

En 1592, Mort de Michel de Montaigne, il lègue les notes de son travail pour une nouvelle édition des essais qui sera publiée en 1595 et qui est celle que nous connaissons. (La Pléiade). On retrouve de nombreux points communs entre le rabbin Löwe et Montaigne. Ils se rejoignent sur l’humanisme et les prin-cipes de l’enseignement. On pense que ces deux grands esprits de la Renaissance se connaissaient et communiquaient.

En 1592, Galilée âgé de 28 ans est nommé professeur à l’Université de Padoue et offre au monde scientifique une exceptionnelle leçon inaugurale.

Il deviendra l’un des plus solides piliers de la pensée scientifique moderne. À la suite de Copernic, il prend position pour la théorie héliocentrique et non géocentrique de l’univers.

Il révèle que Jupiter, tout comme la terre à des lunes. La Terre ne serait donc qu’une planète comme les autres -8-! C’est une autre fantastique gifle au narcissisme ambiant !

Mais ces triomphes de la raison ne doivent pas masquer certaines tristes réalités. En 1592, la huitième guerre de religion fait rage. Elle s’achèvera en 1598.

La vie du MaHaRaL de Prague couvre la plus grande partie du seizième siècle. Il n’a commencé à écrire à l’âge de 70 ans. Jusqu’à la fin de sa longue vie il a rédigé une œuvre des plus importante bien qu’inachevée dont les textes sont encore de nos jours des sujets d’études talmudiques et philosophiques dans les yeshivoth et les universités du monde entier. Parmi ses oeuvres maitresses nous pouvons citer :

Le jeune lion, la Puissance Divine, la Gloire d’Israël, l’Éternité d’Israël, le Chemin de la Vie, les Routes Éternelles, le Puits de l’Exil, la Haggadah glosée -9- .

L’action du MaHaRal se fait surtout sentir dans la seconde moitié du seizième siècle. Il est au coeur de la pensée de la renaissance, c’est à dire de l’humanisme. Il ne s’agit plus de l’humanisme flamboyant Rabelaisien du début du siècle mais d’un humanisme tempéré par les évènements de la fin de siècle et les guerres de religion qui font rage. En cela sa pensée se rapproche de celle de Montaigne.

Le MaHaRaL de Prague est enterré dans le vieux cimetière juif de Prague. Sa tombe est encore visitée de nos jours. Il est mort entouré d’une légende de rabbin miraculeux.

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Tombe du MaHaRaL à Prague

Le MaHaRaL a gagné l’admiration de certains de ses contemporains tels le Rav Chlomo Luria (Maharshal ל »מהרש), le Rav Meir (Maharam מהרם) de Lublin, et bien d’autres encore. Il reçut plusieurs surnoms respectueux comme « le pilier de fer soutien d’Israël », « notre souffle de vie ». Il avait acquis une telle érudition et une telle profondeur de pensée qu’il était capable d’aborder les questions fondamentales tout en sachant qu’il n’arriverait jamais à une réponse définitive.

Et pourtant, sa renommée est restée très inférieure à ce qu’elle méritait. Rabbi Löwe a plusieurs fois posé sa candidature au poste de grand rabbin de Prague, mais ce n’est qu’en 1597, à l’âge de 85 ans, qu’il a été élu. Il conservera cette position 12 années, jusqu’à sa mort en 1609.

Un seul des ouvrages a été publié avant sa mort et il est tombé dans l’oubli au cours des deux siècles qui ont suivi en raison de son non-conformisme considéré comme hérétique par certains.

Rabbi Löwe n’a été réédité qu’au milieu du 18ème siècle. Son oeuvre a contribué à la création du mouvement Hassidique par le Baal Chem Tov. Encore aujourd’hui, beaucoup de commentaires émis sur les réseaux sociaux sont très réservés, en particulier quand ils émanent de certains groupes orthodoxes. La Vérité du MaHaRaL se situe dans l’avenir. C’est pourquoi elle est difficile à appréhender par les plus conservateurs.

Le MaHaRaL fut un Kabbaliste de renom et c’est surtout pour cet aspect de son travail que le Rav Kook qui fut le premier Grand rabbin d’Israël et un maître de la Kabbale a beaucoup travaillé.

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Le Golem

En 1580, à Prague comme dans de nombreux endroits en Europe, la persécution des juifs est monnaie courante. La violence envers le peuple juif est attisée par des accusations de crimes de sang perpétrés contre des enfants catholiques. Rabbi Löwe se demande comment il pouvait mettre fin à la souffrance de son peuple obligé à vivre dans un ghetto. L’idée lui vint en un rêve de créer un protecteur à forme humaine.

Le rabbin étant un érudit il trouva rapidement le moyen de réaliser sa vision. Aidé par son gendre et son apprenti préféré, il se rendit durant la nuit du 20 Mars sur les rives de la Vltava. Là, les trois hommes façonnè-rent une forme humaine dans la terre glaise. Ils commencèrent alors une série de rituels et d’incantations hébraïques pour don-ner la vie à la créature inanimée. Pour parachever le travail, le Rabbin inscrivit sur le front de la statue de terre le mot אמת qui signifie vérité. Ainsi le Golem se réveilla, prêt à suivre les ordres du Rabbin. Mais le temps passant, le golem devint de plus en plus violent. Il terrorisait la population praguoise toute entière si bien que l’empereur pria le Rabbin de stopper sa créature. Le Rabbin accepta à condition que la situation de sa communauté soit améliorée. Pour désactiver le Golem il effaça la lettre א du front du golem ne laissant plus que le mot מת signifiant mort. L’empereur tenu parole et des lois empêchant la persécution des juifs pour de faux motifs furent instaurés. Le corps sans vie du golem fût placé dans le grenier de la synagogue Vieille-Nouvelle où certains disent qu’il repose toujours prêt à être ramené à la vie en cas de besoin.

Il est bien sur possible que cette histoire ait été montée de toute pièce par Rabbi Löwe pour effrayer les habitants de Prague et obtenir ainsi du prince une tranquillité relative pour la population juive de la ville au prix de la destruction du monstre.

C’est parce qu’il était entouré de mystère que le MaHaRaL pu créer le Golem, sinon le personnage, du moins le mythe.

Le Maharal a travaillé inlassablement sur la Haggadah -10- talmudique ou Midrash, c’est-à-dire l’immense littérature qui, n’étant ni juridique, ni rituelle, constitue plus de la moitié du corpus du Talmud. Alors que les écoles médiévales juives avaient tendance à la négliger ou même à la dédaigner, le Maharal la réhabilite en une apologie splendide et va jusqu’à y déceler la philosophie juive par excellence.

Pour mieux comprendre en quoi l’approche du MaHaRaL est nouvelle, nous allons comparer son interprétation du don de la Torah avec celle d’un des plus grands maîtres du moyen-âge: Maïmonides dit Rambam, le médecin -11-.
Il est une phrase bien connue du Pirke Avot dans la Mishna qui dit ceci :

אדמ בני כילשן תורה ד׳כרה
La Thora a parlé dans le langage des hommes

Effectivement, on peut lire dans le Tanakh des expressions telles que la main ou le visage de Dieu, la bonté ou la colère de Dieu. Dieu pleure sur le déluge, Dieu regrette d’avoir fait Saül roi d’Israël. Les exemples sont multiples.

Par ailleurs, la Torah -12- semble impliquer que l’homme ressemblerait à Dieu :

« Dieu créa l’homme à son image; c’est à l’image de Dieu qu’il le créa. Il les créa mâle et femelle. -13-»

Peut-on considérer que cette image de Dieu n’est autre que la projection du divin dans l’univers de l’homme ?

Les antropomorphisme sont si nombreux dans la Torah écrite qu’il semblerait parfois que ce soit l’homme qui ait essayé de créer Dieu à sa propre image !

Pour la Rambam cette apparente ressemblance du Dieu de la bible avec l’homme est due aux allégories et aux antropomorphismes permettant à l’homme de comprendre le modèle simplifié d’une Torah d’essence divine qu’il n’est pas à même d’appréhender. Le grand architecte de l’univers nous laisse entrevoir un modèle ultrasimplifié adapté à nos compétences intrinsèques.

Dieu n’a donc pas donné à Moshe toute la Thora qui ne saurait être contenue dans un livre lisible par l’homme. Moshe n’a reçu de Dieu qu’un modèle approché, simplifié donc incomplet de la Thora. Maimonides place Dieu au centre de la Thora mais il n’a pas dit « toute la vérité » à l’homme.

L’approche du Rabi Löwe est toute différente : Dieu ne ment pas ! Le MaHaRal commence par se pencher sur les conditions de la réception de la Torah par Moshe.

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מסיני תורה קיבל משה
Moshe à reçu la Thora du Sinaï
Moshe a REÇU la Torah du Sinai.

Pourquoi ne dit-on pas plutôt que Moshe a reçu la Torah de Dieu? Cela pourrait sembler plus approprié.

De fait, la Torah insiste sur le lieu de la rencontre comme pour indiquer un rendez-vous que Dieu a donné à Moshe. Cette lecture particulière oriente la signification de la réception de la Torah par MosheCet évenement est voulu par Hachem qui a CONVOQUÉ Moshe.

Le mot קיבל est fondamental.

Le texte ne dit pas que Dieu a donné la Thora mais que Moshe l’a reçue. Ce n’est pas du tout pareil.

Tout enseignant sait bien que l’élève ne reçoit pas exactement ce que lui offre le maître. Lorsque je fais un cours, je dois avoir conscience que chacun de mes étudiants le recevra en fonction de son éducation, de ses croyances,de sa culture. La réception de la Torah est à l’image de Moshe. Ce n’est pas Hachem qui a donné à Moshe une Thora incomplète comme le crois le Rambam, c’est Moshe qui l’a reçue suivant ses possibilités qui pour être considérables n’en étaient pas moins humaines.

Notre Thora ne contient donc pas d’allégories. Elle est la vérité אמת תורת. La vérité percue par l’homme. L’homme est au centre de la Thora.

Pour le RAMBAM la Thora est centrée sur Hachem

Pour le MaHaRaL la Thora est centrée sur l’Homme.

Ce postulat tout humaniste s’insère dans l’esprit de la Renaissance bien au delà de la seule pensée juive.

Comme illustration de ce postulat, Rabbi Löwe donne cet exemple :

« Dieu avait façonné à partir de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel. Et Il les amena devant l’homme pour voir comment il nommerait chacun d’eux. Tout nom que l’homme donnerait à un être vivant, tel serait son nom. -14- »

C’est l’homme, Adam, qui a nommé les animaux lors de la création. Or nous savons que dans la langue hébraïque les mots ont une valeur par eux même et qu’ils se confondent parfois avec l’objet qu’ils représentent. Cet concept est particulièrement développé dans la Kabbale. Donc, en quelque sorte, Adam a recréé les animaux en les nommant !

Le Nom est l’Objet et Dieu est Le Nom. (Hachem)

On peut ainsi mieux comprendre les réticences et les difficultés subies par le MaHaRaL à son époque et plus tard.

Le philosophe Hégélien Franz Rosenzweig va encore plus loin comme il l’explique dans son remarquable ouvrage intitulé L’Étoile de la rédemption (Der Stern der Erlösung, 1921) -15- .

Il reprend les thèses du Rambam et du Maharal pour montrer qu’au centre de la Thora ne se trouvent ni Dieu ni l’homme mais la rencontre entre les deux.

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Étoile de la rédemption

Dieu transcende l’espace et du temps, mais l’homme vit en un lieu donné à une époque sonnée. Si Dieu avait contacté un homme ou une femme d’aujourd’hui pour lui donner la thora. La thora reçue aurait sans doute été différente. S’il avait choisi, et peut-être l’a t’il fait aussi, des êtres d’ailleurs que se passerait-il? À quoi pourrait ressembler une Torah reçue par des extraterrestres non humains mais dotés de conscience.

Lorsque nous disons que le MaHaRal est au centre de la renaissance du judaïsme, nous devons préciser ce que l’on entend par renaissance.

Le moyen âge n’était pas celui d’un obscutantisme absolu comme le montrent, en particulier les considérables apports du Rambam et de Rashi. Le mot renaissance ne fait pas référence aux hommes, mais aux textes et dogmes anciens qui bénéficient d’une nouvelle approche. Aristote et Platon pour le monde chrétien, le talmud pour les Juifs. Sous l’influence du Maharal, des textes juifs anciens vont ainsi renaître. Son axiome de base est que les textes fondateurs du judaïsme sont la Thora et la Mischna, à partir de là, il convient d’adapter les autres textes et les considérer à la lumière du temps présent (16ème siècle). Il ne suffit pas d’apprendre les lois du judaïsme il faut comprendre et étudier de manière contradictioire le comment et le pourquoi.

C’est en fait une approche quasi scientifique qui est celle du Rabbin Lowe, aussi bien dans ses approches de la Haggadah que de la Halakhah ou surtout de la Kabbale.

Il n’est donc pas surprenant que MaHaRaL ait été un scientifique passionné. Ses compétences et son remar-quable esprit critique étaient particulièrement appréciés par l’élite. Il observait avec attention les découvertes qui faisaient suite à la révolution copernicienne. Copernic a proposé un modèle dans lequel il place le soleil au centre et les planètes tournent autour. L’Univers n’est pas centré sur la Terre qui n’est qu’une planète parmi d’autres.

Le créateur de l’univers n’est donc pas géocentrique? L’homme, par contre, est limité par ses perceptions et son environnement. Il est le centre de son univers subjectif. L’étude du Maharal est d’abord centrée sur l’homme. Elle commence donc par une profonde introspection. En cela il rejoint un autre humaniste du seizième siècle, Michel de Montaigne.

Le MaHaRaL se défend d’être sociologue mais, bien qu’intemporelle, sa philosophie, se nourrît de tous les courants de pensée marquant son époque. Il réactualise les enseignements de la Thora en mettant l’homme au centre de ses préoccupations. C’est un réformateur, on dirait aujourd’hui un libéral!
Bien entendu, les disciples de ce grand Rabbi le véné-raient et suivaient ses avis lorsqu’il les engageait à élargir leurs horizons au-delà des études talmudiques. Il faut dire qu’en ces temps là, l’étude, le savoir, la recherche étaient, par essence pluridisciplinaires et tous les do-maines de la pensée se recouvraient.

Sa manière d’appréhender les textes :

« Ce ne sont pas des paroles de sages, ce sont des paroles sages » aimait-il à dire.

Le MaHaRaL considérait que les études talmudiques permettaient de mieux orienter l’homme dans son environnement et dans la société contemporaine.

L’essor culturel de la renaissance a beaucoup apporté au judaïsme.

Le MaHaRaL, érudit versé dans la tradition juive, et surtout ses disciples participent aux discussions des astronomes centrées sur un thème majeur : comment concilier les nouvelles découvertes de la science avec la Révélation divine. Le judaïsme est moins gêné que le christianisme par cette dialectique alors nouvelle entre science et religion. Le MaHaRaL soutient une thèse qui s’enracine dans la tradition juive; l’homme est doté d’un pouvoir de créativité qui permet de s’ouvrir à la science, à la recherche, au doute. Cette pensée constitue une étape de l’entrée des juifs dans la modernité.

Montaigne a écrit : « Le monde n’est qu’une branloire perenne : Toutes choses y branlent sans cesse, la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Ægypte : et du branle public, et du leur. La constance mesme n’est autre chose qu’un branle plus languissant. Je ne puis asseurer mon object : il va trouble et chancelant, d’une yvresse naturelle. Je le prens en ce poinct, comme il est, en l’instant que je m’amuse à luy. Je ne peinds pas l’estre, je peinds le passage. »

De même le MaHaRaL saisit l’Homme dans le mouvement. Il refuse toute attitude installée, perenne. Pas de « yeshiva » dans sa Yeshiva, en d’autres mots, dans son École, nul ne peut se reposer sur des connaissances acquises.
Comment se situe-t’il par rapport à ses contemporains :

•En ce temps là, vit à Safed, en Terre Sainte, le Rabbi Yossef Karo (1488-1575) né en Es-pagne avant l’expulsion des juifs. Il est connu pour son œuvre majeure le Shoulhan Aroukh ( ערוך שולחן table dressée) qui est une compila-tion des lois énoncées dans le talmud.

•En ce temps là, vit à Cracovie, en Pologne, le Rabbi Moshe Isserles (1525-1572) connu sous l’acronyme de ReMO. L’œuvre capitale du ReMO est la Mappah, la nappe étendue qui recouvre la table dressée par Karo. Les com-mentaires du Juif ashkénaze de la Golah sur l’œuvre du juif séfarade de Terre Sainte est un remarquable exemple de coopération entre deux sages qui s’estimaient. Le ReMO qui cor-respond avec Joseph Karo est un concilia-teur :

Pas de conflit entre la loi sépharade et la loi ashkénaze. Pas d’opposition entre la Philosophie et la Kabbale, la pensée philosophique et la pensée mystique.

•En ce temps là, vit à Prague Rabbi Yeouda Löwe ben Bezalel, le MaHaRaL.
Un jour Rabbi Löwe fait irruption au milieu de ses élèves en proie à une très vive exaspération.

Le Maître dit à ses disciples qu’une catastrophe venait de survenir dans le monde juif. Cause de cet émoi, la parution du Shulran Arukh qui selon lui, annonçait la fin des études talmudiques.

Rabbi Löwe n’est pas un homme de compromis et tout condensé, table ou aide mémoire lui parait détestable. Il a horreur des tables des matières qui permettent de se faire une très vague idée du contenu d’un ouvrage sans avoir à le lire.

De même, il considère qu’une table de commandements qui ne s’appuie pas sur la déduction et la compréhension est inacceptable: elle correspond à ce que l’on nommerai de nos jours: « Le Judaïsme pour les nuls. -16-« 

Le Maître Rabbi Löwe ne fait pas appel à la mémoire mais au raisonnement, à l’analyse et à la déduction. Il considère qu’à chaque niveau de développement intellectuel, il convient de n’étudier que ce que l’on est capable d’assimiler et ainsi il prêche pour une formation continue tout au long de la vie à laquelle il se soumet lui-même. C’est sans doute pour cela que cet homme qui a tant dit n’a commencé à écrire qu’à 70 ans et qu’il a continué à étudier jusqu’à 97 ans.
Une réponse entraine un grand nombre de nouvelles questions et les textes anciens doivent continuellement être remis en question.

Dans ses écrits et ses enseignements, La MaHaRaL a mis l’accent sur la compréhension du sens littéral des passages étudiés, en évitant la complexité de l’étude connue sous le nom de Pilpoul -17-.

L’attitude du MaHaRaL vis à vis du Shulran Arukh est la conséquence logique de ses principes d’éducation : Les élèves doivent posséder une connaissance approfondie de la Bible et de la Mishnah -18-, avant de commencer l’étude du Talmud -19-.

De plus il réfute tout résumé ou aide mémoire d’un texte. Il ne veut pas que l’on retienne uniquement les recettes toutes faites mais que l’on comprenne les raisonnements qui y conduisent.

La recherche théologique ne doit pas être purement réthorique pour parvenir à des consensus, à des synthèses. On doit toujours rechercher une progression asymptotique dans l’approche de la divinité qui ne peut être atteinte.

Enseignement par la recherche, didactique de la théologie, maîtres et élèves sont des chercheurs, des collègues en quelque sorte, comme le sont aujourd’hui les professeurs d’université avec leurs étudiants doctorants. Ceci entraine une certaine familiarité tout en conservant le respect. C’était l’atmosphère du Klaus, de sa maison d’Étude.

Nous avons parlé plus haut de David Gans, fidèle élève du MaHaRaL mais qui avait été auparavant élève du ReMO. Il réussit à surmonter les difficultés constantes que lui posait sa fidélité inamovible à ses deux grands Maîtres si opposés mais qu’il vénérait tous deux.

Il considérait que pour assurer la pérennité du Judaïsme en ces temps difficiles, ses deux Maîtres étaient plus complémentaires qu’opposés, comme, en d’autres temps Hillel et Chamaï.

Cette attitude conviendrait sans doute aujourd’hui et il serait bon que les différentes composantes du judaïsme soient respectées sinon adoptées par tous. C’est la leçon que j’aimerais tirer de ces quelques réflexions sur un immense personnage de notre passé est encore très présent par sa modernité.
Cette conclusion concerne sans doute autant le disciple (Gans) que le Maître (Ma-HaRaL). Qui est exactement David Gans ? Cela est une autre histoire….

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Hillel et Chamaï

« Les paroles des uns et des autres sont les paroles du Dieu vivant »

A l’origine, les deux sages ne s’opposèrent que sur 3 points de Halakha dont un seul concernait une loi de la Thora. Ce sont leurs écoles qui se sont opposées.

Cette sentence, « les paroles du dieu vivant », clôt une discussion talmudique dont la contradiction parait indépassable. Si l’on suit la voix céleste, c’est l’École de Hillel qui a été choisie, car elle exposait d’abord les thèses de l’école de Chamaï avant de se poser les siennes. Le pluralisme est une condition intangible du processus législatif.

Betton, le 23 novembre 2014

Par Michel Nusimovici, Professeur émérite à l’École normale supérieure.

———–

Notes :

-1- Berechit 49:9

-2- Rabbi Shlomo ben Itzhak HaTzarfati (Rabbi Salomon fils d’Isaac le Français) plus connu sous les noms de Rachi, Rabbi Shlomo ou Salomon de Troyes, est un rabbin, exégète, légiste, décisionnaire, poète et vigneron champenois du XIe siècle (Troyes, c. 1040 – 13 juillet 1105).

Principalement connu de nos jours pour ses commentaires sur la quasi-totalité de la Bible hébraïque et du Talmud de Babylone, il est l’une des principales autorités rabbiniques du Moyen Âge et compte parmi les figures les plus influentes du judaïsme

-3- Aujourd’hui Poznan en Pologne à 100 km de la frontière allemande

-4- Aujourd’hui Miculov en République Tchéque.

-5- C’est David Gans qui a servi de modèle à Marek Halter pour son roman « Le Kabbaliste de Prague ». Ce roman, facile à lire et diverstissant est cependant très éloigné de toute approche historique. L’ouvrage disponible à la médiathèque du Centre Safra à Rennes.

-6- Tycho Brahé marque une rupture dans l’histoire de l’astro-nomie, et plus généralement dans l’histoire des sciences. À une époque où prévaut encore le respect de la tradition et des anciens comme Aristote, il donne la priorité à l’observation, avec le souci constant de valider ses hypothèses au regard de celles-ci. Pour lui l’expérience prime sur la théo-rie. Avant Galilée, toutes les observations astronomiques se font à l’œil nu mais nécessitent des instruments de visée le plus précis possible. Tycho Brahé prend grand soin de la fabrication et de la mise au point de ses instruments qui lui permettent de recueillir un nombre considérable de don-nées. Bien les mesures qu’il a effectué sont, à leur meilleur, au moins 10 fois plus précises que celles de ses prédéces-seurs en Europe. Ainsi, ses observations de la supernova de 1572, le conduisent à remettre en cause l’immuabilité du monde supra lunaire énoncée par Aristote, remise en cause confirmée par ses observations de la grande comète de 1577, dont il met en évidence qu’elle ne peut être un phé-nomène atmosphérique soit sublunaire.

Ses observations très précises des positions de la planète Mars jouent un rôle décisif dans la découverte par Johannes Kepler de la trajectoire des planètes et plus généralement des trois lois qui régissent le mouvement de celles-ci.

-7- Traduction de André Neher

-8- Le mot planète formé à partir du mot latin « planeta », qui vient lui-même du grec « planêtês » : « errant vagabond ». Plutôt péjoratif pour notre Terre que l’on croyait au centre de l’univers !
Le mot planète est apparu en Français au 12 ème siècle.

-9-Haggadah commentée.

-10- À l’époque de la Mishna, le terme Haggadah, désigne une exégèse des versets bibliques dans un autre but que celui d’en tirer des lois

-11- Talmudiste, philosophe, juriste et médecin, Rabbi Mo-ché Ben Maïmone naquit à Cordoue, le 30 mars 1135 (14 Nissan 4895) dans une Espagne soumise à l’Islam. Il mourut en 1204-4965).

-12- Genèse 1.27

-13-Notez comme le singulier dans une proposition devient pluriel dans la suivante.

-14- Genèse 2, 19

-15- Cet ouvrage peut être consulté à la médiathèque du centre Safra de Rennes.

-16- Vous pouvez consulter cet ouvrage à la médiathèque du centre Edmond Safra.

-17- Le pilpoul (dérivé du mot pilpel, « poivre », littéralement « raisonnement aiguisé ») est une méthode introduite vers 1500 en Pologne, qui consiste en une étude systématique du Talmud. C’est une sorte de gymnastique intellectuelle entre deux étudiants, un maître et un étudiant, etc. qui relève du postulat que les contradictions et les différents avis émis par les maîtres du Talmud ne peuvent être qu’apparents. Pour résoudre cette contradiction, l’élève doit parvenir à démontrer que les deux avis émis ne sont pas contradictoires. Il s’agit d’étudier des textes particuliè-rement ardus dans leur interprétation. Le pilpoul a souvent été considéré comme un pédantisme sémiologique. Le pil-poul a souvent été critiqué et même interdit par des rabbins qui le considéraient plus comme un exercice de vaine rhé-torique que comme une recherche approfondie.

-18- Mishnah signifie répétition.

-19- Cette méthode n’est pas sans rappeler celle que voulait utiliser Etienne Pascal pour enseigner les Mathématiques à son fils Blaise.

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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