L’ancien grand rabbin de France René-Samuel Sirat est décédé

L’ancien grand rabbin de France René-Samuel Sirat est décédé ce vendredi à l’âge de 92 ans, a annoncé son petit-fils Ariel Danan. Il sera enterré dimanche à Jérusalem. De nombreuses personnalités et institutions françaises juives et non-juives, ont adressé leurs condoléances et exprimé leur tristesse.

« C’est avec tristesse que le Crif a appris la disparition du Grand Rabbin René-Samuel Sirat, Grand Rabbin de France de 1981 à 1988. Il incarnait un judaïsme porté sur l’étude, humaniste et engagé dans la société. Nous adressons nos sincères condoléances à sa famille », a réagi le Crif sur Twitter.

Le grand rabbin René Samuel Sirat est né le 13 novembre 1930 à Bône (Annaba) en Algérie. Il parle arabe, sa langue maternelle, avant d’apprendre à parler français. Durant la guerre, il est exempté des lois racistes de Vichy, qui ferment aux écoliers juifs les portes des écoles et lycées: « Mon père avait combattu à Verdun et cela m’avait permis d’obtenir cette dispense et de continuer à aller à l’école… Les élèves me persécutaient parce que juif et c’étaient les élèves musulmans qui me défendaient ». 

La communauté juive de Bône compte alors 3000 juifs. « A Bône, on était juifs comme on respirait », disait le grand rabbin Sirat. Il apprend ses premiers versets de Torah auprès de celui qui restera son maitre, le vénéré grand rabbin Rahamim Naouri, ancien mythique président du Tribunal rabbinique de Paris. C’est ce dernier qui lui insuffle l’amour de l’étude, de l’enseignement et la passion du rabbinat: « C’était un formidable pédagogue totalement autodidacte qui savait parler aux enfants », dira de lui le grand rabbin Sirat.

En 1946, il quitte l’Algérie pour aller étudier à la Yéchiva d’Aix-les-Bains, où il se retrouve en décalage par rapport à l’enseignement d’ouverture du grand rabbin Naouri. Il entre ensuite au Séminaire Israélite de France, rue Vauquelin,  à Paris. Il en sortira plus jeune diplômé rabbin à l’âge de 21 ans et demi. Il est nommé d’abord à Clermont Ferrand, puis en 1951 à Toulouse, communauté durement touchée par la Shoah mais qu’il va redynamiser.

En 1956, il retourne à Paris et devient aumônier des étudiants juifs de France, ce qui va le ramener sur la voie universitaire. Il va alors mener de pair la fonction de rabbin et celle d’enseignant d’hébreu moderne. A l’écoute des développements en Algérie, il sera touché, dans sa chair, par l’assassinat de son frère en 1962, lors d’un attentat terroriste.

En 1964, il est le traducteur officiel de la rencontre à Paris entre le président De Gaulle et le Premier ministre israélien Levy Eshkol. Il y a quelques années, il a relaté, pour la première fois, que l’atmosphère de cette visite était « glaciale ». Il va aussi, avec André Neher et le rabbin Léon Ashkenazi (Manitou), fonder le Centre universitaire d’études juives. Fervent sioniste, comme le fut son maitre le grand rabbin Naouri, il rencontre lors de la bar mitzva de son fils en Israël le rabbin Tzvi Yéhouda Kook chef de file du sionisme religieux. Ses enfants vont, très jeunes, faire leur alya. Et le grand rabbin Sirat vivra longtemps le cœur en Israël et les pieds en France.

Professeur des universités, il persuade, dans les années 70, le ministre français de l’Education de créer une chaire d’hébreu à l’INALCO (Ecole des Langues Orientales). Le succès de cette chaire sera immédiat. Avec le départ à la retraite du grand rabbin Jacob Kaplan, il est élu grand rabbin de France en 1980 et prend ses fonctions en 1981 pour un septennat qui se conjuguera avec celui de François Mitterrand à la présidence de la République ! C’est durant ce mandat que les synagogues consistoriales vont abolir l’usage du micro (et de l’orgue) pendant le chabbat. Comme l’explique Michel Allouche qui a rédigé, il y a trois ans, la biographie du grand rabbin (Itinéraire d’un enfant juif en Algérie. Editions Albin Michel) : « Le grand rabbin Sirat était la parfaite expression de ce que le Talmud appelle, pour qualifier les Sages d’Israël, un « Makel Noam », une « Autorité bienveillante »: « C’était un fervent défenseur d’une orthodoxie sans compromis mais qu’il pratiquait dans l’ouverture et la bienveillance, qui plus est avec une extrême modestie… ». Le grand rabbin Sirat appartenait à cette génération de rabbins algériens qui avaient su avec doigté choisir la voie médiane du Judaïsme inspiré par l’enseignement de Maïmonide.

Pleinement engagé dans le dialogue interreligieux, le grand rabbin Sirat occupera les fonctions de co-modérateur de la Conférence mondiale pour la paix et sera reçu par le pape François en audience privée en 2018. Il sera aussi le fondateur de l’Institut universitaire européen Rachi de Troyes.

Officier de la légion d’honneur et Grand officier de l’ordre du mérite en France, il restera toujours attentif aux développements politiques et sociétaux dans l’Etat d’Israël. Courageusement, il s’exprimera après la guerre des Six Jours en faveur d’un dialogue et d’une paix entre l’Etat hébreu et le monde arabo-musulman. Il avait fait son alya en 2013 avec son épouse et vivait depuis à Jérusalem. Au cours de sa dernière sortie publique, il y a quelques mois a Ashdod dans le cadre d’un colloque sur le judaïsme algérien, il avait été longuement ovationné par des centaines de participants.

 

Message du Rav Haïm Korsia, Grand Rabbin de France

Monsieur le Grand Rabbin, Monsieur le Rabbin, Cher ami, Nous avons appris avec une grande tristesse le décès survenu ce matin à Jérusalem du Grand Rabbin René-Samuel Sirat zal, Grand Rabbin de France de 1981 à 1988, ancien Rabbin à Clermont-Ferrand et à Toulouse. Président fondateur de l’Institut universitaire européen Rachi de Troyes, il a œuvré tout au long de sa carrière pour la diffusion de l’hébreu en France. Professeur à l’INALCO, il a dirigé la chaire d’études juives et hébraïques de 1968 à 1996 et a été un acteur important du dialogue interreligieux. Nous savons tous ce qu’il a apporté au judaïsme français en termes de fidélité à la halakha et d’ouverture vers Israël. A titre personnel, j’avais été le voir et avais mesuré combien il tenait à faire reconnaître l’hébreu comme une part du génie français. Il était ma mémoire des grands rabbins Rahamim Naouri zal et Emmanuel Chouchena zal nos maitres et nous conserverons pieusement son souvenir.
L’enterrement aura lieu dimanche à Jérusalem. Vous pouvez adresser vos messages de condoléances à l’adresse suivante: ariel.danan1501@gmail.com Que l’Eternel apporte la consolation à la famille endeuillée. Avec mon amitié fidèle.
Chabbat chalom Haïm Korsia

 

René-Samuel Sirat est le fils de Ichoua Sirat et de Oureida Atlan. Ses deux frères ont été assassinés: l’un a été tué par un chauffeur ivre près des Champs-Élysées, et l’autre, Edmond Baruch Sirat, a été tué en janvier 1962, durant la guerre d’Algérie, alors qu’il sortait de la synagogue à Constantine un vendredi soir.

Il a trois enfants – Helène, Gabriel et Annie – de son premier mariage avec Colette Salamon, qu’il a divorcé en 1973. Il s’est remarié avec Nicole Holzmann en 1978. Après sa retraite, il a fait son aliyah à Jérusalem en Israël.

Le Grand Rabbin Sirat sur Radio Qualita (2018)

Interview sur le Grand Rabbin Sirat (Le P’tit Hebdo)

Comment est née chez vous la vocation de Rabbin et d’éducateur ?

Grand Rabbin René Samuel Sirat : J’ai suis né à Bône, près de Constantine et j’ai été élève au Talmud Torah du Grand Rabbin Rahamim Naouri, z »l. Ce fut un privilège, tous ses élèves lui doivent beaucoup.

En 1945, j’avais alors 15 ans, nous avons appris l’horreur de la Shoah en Europe. Nous savions que les Juifs étaient voués à un triste sort, mais nous n’imaginions pas à quel point. Le Grand Rabbin Naouri m’a convoqué, avec son fils Shaoul et Emmanuel Chouchena. Il nous a fait part du choc qu’a été cette prise de conscience du drame de la Shoah et ce que cela impliquait sur la communauté juive de France. Tout était à reconstruire. Il nous a alors confié une mission : partir étudier à la yeshiva d’Aix-Les-Bains, y passer notre bac puis aller au séminaire rabbinique à Paris. L’objectif qu’il nous avait fixé était de rendre à la communauté juive de France ce qu’elle avait donné aux Juifs d’Algérie, en l’aidant à se remettre sur pied après la Shoah.

Mes parents ont d’abord eu du mal à accepter l’idée de laisser partir si loin leur petit dernier. Mais le Grand Rabbin Naouri a su se montrer convaincant.

Vous avez donc suivi la mission qui vous avait été confiée.

Oui, après avoir obtenu notre bac, nous avons tous les trois intégré le séminaire rabbinique et avons entamé une carrière de rabbin. Pour ma part, j’ai été d’abord nommé à Toulouse où j’ai exercé entre 1950 et 1956 avant de rejoindre la capitale où je suis devenu directeur de l’enseignement religieux.

En effet, on peut dire que vous êtes un rabbin mais surtout un enseignant ?

Le métier d’enseignant est, à mon sens, le plus beau métier. J’en ai donc fait parallèlement à mes fonctions religieuses, une de mes activités principales. J’ai commencé par étudier la littérature à la Sorbonne. Puis lorsqu’André Neher a obtenu la création d’une chaire de langue et littérature hébraïques, j’ai préparé avec lui une licence, une maitrise et un doctorat.

Ensuite, avec le Professeur Neher, nous avons fondé le centre de formation des étudiants juifs afin de leur donner au-delà des fondamentaux spirituels, une culture juive : histoire, sociologie, littérature comparée. Lorsqu’André Neher a fait son alya, j’ai pris la tête de ce centre.

J’ai également été professeur à l’INALCO, poste que j’ai continué à occuper lorsque j’étais Grand Rabbin de France. J’ai beaucoup œuvré, pendant ces années, pour que l’hébreu obtienne un statut identique aux autres langues vivantes enseignées dans les écoles et universités françaises. J’ai obtenu auprès du ministère de l’éducation la création du CAPES et de l’agrégation d’hébreu. J’en ai même été président du jury.

Alors que vous êtes Grand Rabbin de France, en 1986, vous participez à la première rencontre des religions pour la paix, à Assise, avec le Pape Jean-Paul II. Ce rapprochement inter-religieux, avec les Chrétiens mais aussi les Musulmans, vous est cher. Pourquoi ?

La situation des Juifs et d’Israël me préoccupent au plus haut point. Ce rapprochement inter-religieux entre dans ce souci. En effet, dans un contexte où Israël est décrié, où la haine se développe, il est, à mes yeux, l’un des meilleurs moyens pour développer la fraternité et calmer le jeu. Ce n’est qu’ainsi que nous parviendrons à créer une vie de paix, de bonheur et de joie pour tous.

Vous sentez-vous suivi dans cette opinion?

Il s’agit d’un domaine où on ne peut pas forcer la main. A la base de cette vision du monde, se trouve la volonté des hommes. Cela doit être un élan du cœur. En Israël et en France, on trouve des Rabbins qui poursuivent ce chemin et on peut dire qu’à leur échelle, il rencontre un certain succès. Au niveau des fidèles des différentes communautés aussi, sur le terrain, on peut constater le développement de ce dialogue qui ne peut qu’être positif pour nous tous.

Pour ma part, les liens que j’ai noués à l’époque où j’étais en activité, ne se sont jamais défaits. L’arabe étant ma langue maternelle, j’entretenais des relations avec les dignitaires du monde musulman. Il y quelques jours, j’ai reçu les vœux du Prince Hassan, qui était vice-roi de Jordanie. Je suis aussi resté ami avec Jean-Paul II. J’ai fait partie des Rabbins qui l’ont accompagné au Kotel.

Avec le recul que vous avez aujourd’hui, pensez-vous que ce dialogue a porté ses fruits?

Nous sommes encore, malheureusement, dans une période de guerre et de haine. Mais je suis convaincu que Dieu nous enverra le bonheur suprême, c’est-à-dire, la paix. Je reste optimiste.

Quel lien aviez-vous avec Israël avant votre alya?

Déjà en Algérie, j’appartenais au Bné Akiva et je militais pour Israël. Je l’ai toujours porté dans mes pensées et dans mes actes lorsque j’exerçais mes différentes fonctions. Mon fils Gabriel a voulu faire sa bar mitsva au Kotel. A la fin de la cérémonie, il nous a annoncé qu’il ne rentrerait pas en France. Ses deux sœurs l’ont suivi peu de temps après. Pour ma part, j’avais des responsabilités et dès que j’ai pris ma retraite, après 62 ans de vie rabbinique en France, nous nous sommes installés à Jérusalem avec mon épouse.

Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que vous étiez le lauréat 2019 du prix israélien pour l’éducation toranique en Diaspora ?

J’ai été surpris et très ému. Cela fait maintenant plusieurs années que j’ai cessé toutes mes activités, je ne m’y attendais plus. C’est un grand honneur pour moi.

Quel message souhaiteriez-vous transmettre à la communauté juive aujourd’hui et aux futures générations ?

J’espère que les contacts entre les communautés juives de Diaspora et celle d’Israël continueront à se développer ainsi que les contacts entre les religions. Je prie pour que Dieu nous envoie le Machiah qui nous apportera la paix et la fraternité totales.

Dossier réalisé par JForum avec i24NEWS,  hassidout.org et LPH (Guitel Ben-Ishay)

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