LA RUSSIE FACE A LA COMPETITION INTERNATIONALE©

PREMIERE PARTIE

La presse européenne et américaine voit le président Poutine comme un matamore assoiffé de  pouvoir, qui ne tolère la contestation, ni chez lui, ni chez les anciens membres de la défunte URSS. Chacun voit midi à sa porte. Il nous semble qu’il convient d’analyser la situation de la Russie et par conséquent celle de Poutine, de manière moins émotive et idéologique pour comprendre les défis auxquels est confronté le président russe et les voies qu’il a trouvées pour les relever.

Par Michel Rozenblum

Une structure de la richesse digne de certains pays en voie de développement.

Selon la revue Forbes, le nombre de milliardaires russes est passé de 77 à 96 et leur fortune de 360 à 460 milliards de dollars de 2016 à 2017, alors que dans le même temps, crise aidant, le revenu des ménages russes diminuait de 2,5%.

Cette richesse ne se répercute que très partiellement sur l’économie russe.

Mikhaïl Borissovitch Khodorkovski, qui avait acquis dans des conditions très critiquées le contrôle du groupe pétrolier Ioukos, a vu sa fortune confisquée par le pouvoir lorsque son ambition l’a poussé a vouloir s’émanciper et jouer un rôle politique. Il n’est pas le seul, loin de là, à avoir fait sa fortune dans des conditions douteuses.

Cette richesse individuelle ne favorise pas de manière significative l’amélioration du niveau de vie de la population ni la diffusion du développement économique. Les aléas que constituent les variations brutales du prix des matières premières empêchent la mise en place de politiques de développement de long terme dans un pays dont les exportations dépendent justement très largement des matières premières..

De plus, les risques que courent les privilégiés qui déplaisent au gouvernement sont majeurs, et cela n’incite pas à bloquer leurs richesses en Russie pour développer y l’industrie. Au contraire, cette insécurité, de même que le nombre limité d’opportunités de placements à risques de longue durée, comme le sont les investissements dans la recherche et la production commerciale, incitent plutôt les 6 oligarques à sortir leur fortune de Russie et à la placer dans des pays sûrs, que ce soit dans des entreprises, dans de l’immobilier ou dans des clubs sportifs.

Une démographie déséquilibrée et un chômage inquiétant créateurs de tensions sociales.

Comme de nombreux autres pays dans le monde, la Russie et les membres à majorité musulmane de sa fédération sont attaqués par le salafisme, qui vient concurrencer le soufisme habituellement pratiqué dans les républiques musulmanes d’Asie centrale, notamment au Daguestan, en Tchétchénie et en Ingouchie.

Ces régions sont aussi celles qui connaissent la plus forte natalité 29 0/00 en Tchétchénie, 19 0/00 au Daghestan. A cette forte natalité s’ajoute une faible mortalité. Ce dynamisme démographique provoque de forts taux de chômage (18% dans le Caucase – 53% enIngouchie 42% en Tchétchénie 17,2% au Daghestan – contre 5,4% dans l’ensemble de la
Russie).

Le manque d’infrastructure explique en partie le problème, mais pas seulement. Une croissance démographique supérieure au taux de croissance de l’économie induit inévitablement le déclassement et la misère.

Ce dynamisme démographique et l’absence de perspectives d’emploi pour les jeunes produira plusieurs effets. L’émigration tout d’abord, dans le reste de la Russie et à l’étranger ; un déséquilibre créateur de tension dans les régions d’accueil ; une dérive vers des idées extrémistes, notamment religieuses, pour les laissés pour compte.

Un durcissement de la politique occidentale de transfert de technologie

Les coopérations technologiques ont souffert de l’embargo mis en place par les puissances occidentales, sous la pression des Etats-Unis. Les partenariats avec la Chine n’ont pas compensé cet apport. Le pays a investi dans l’amélioration de ses communications électroniques avec l’assistance chinoise. Rostelecom, allié depuis 2003 avec des opérateurs chinois (China Telecom et China Unicom) a entamé la mise en place d’un réseau à très haut débit entre l’Europe et l’Asie appelé le Transi Europe- Asia (TEA) qui permet de faciliter les communications par Internet à haut débit.

Mais les investissements dans la technologie civile, dans la production d’objets de consommation à des prix compétitifs de qualité restent rares.

Un accès plus difficile aux investissements étrangers alors que les ressources du pétrole diminuent. Le commerce des matières premières est, comme nous le faisons observer ci-dessus, très aléatoire. L’importance démesurée de ce commerce dans l’économie russe accentue les déséquilibres. Les plans de développement à long terme, que ce soit au niveau industriel ou pour l’équipement des forces armées sont soumis à ces aléas alors que le développement de la Russie impose un plan de long terme.

Une infrastructure industrielle ne se construit pas en un jour. Elle commence surtout par la création d’usines produisant des produits bons marchés et de faible qualité pour basculer progressivement dans des productions plus élaborées, reléguant le bas de gamme, soit à des régions défavorisées du pays, dans lesquelles la main-d’œuvre est très bon marché, soit vers des pays du tiers-monde. La Chine a suivi cette voie, tout en cherchant parallèlement à acquérir des technnologies.

Le pétrole et le gaz représentaient en 2015 43% environ des recettes budgétaires de la Russie. La baisse des cours du pétrole et les difficultés du commerce liées aux mesures de représailles mises en place par l’Occident ont contribué à une baisse globale des ressources et donc des disponibilités pour le développement industriel et pour le rééquipement des forces armées russes en matériels plus modernes.

Aux débuts de la Perestroïka, les entreprises occidentales s’étaient intéressées au marché russe et avaient investi dans certaines entreprises, favorisant des transferts de technologie au profit de l’industrie russe. Avec les mesures de rétorsion, ces transferts se sont faits plus discrets et ont été réduits.

L’accès aux emprunts internationaux s’est tari et la Chine montre une profonde réticence à remplacer le financement occidental. Deux raisons peuvent expliquer cette réticence : la crainte de renforcer la Russie, qui est un adversaire potentiel de la Chine ; la crainte d’une évaporation de l’aide financière, par détournement ou mauvaise gestion.

Certes, on soulignera l’investissement colossal des Chinois dans l’infrastructure routière et ferroviaire en direction des Etats pétroliers d’Asie Centrale, susceptible de désenclaver les régions traversées par ces nouvelles voies de communication qui ont pour vocation de joindre l’Asie à l’Est à l’Europe de l’Ouest. Ce projet s’appelle le « One Belt One Road ».

Mais la question qui se pose est « qui en profitera » ? Les Chinois garderont la maîtrise économique de ces voies et se créeront une population de « clients » chez qui ils achèteront des matières premières et à qui ils vendront des produits finis, mode d’échange qui constitue la reproduction, sous une forme plus moderne, du colonialisme des 18 ème et 19 ème siècles. Les voies de communication profitent essentiellement à ceux qui disposent de produits à vendre et de matières premières ou agricoles à acheter, dans un échange totalement déséquilibré en faveur de la puissance industrielle partenaire.

La présence de plus en plus visible des Chinois dans les républiques musulmanes commence à être ressentie négativement par les populations locales . Elle est suivie avec inquiétude par la Russie, qui craint la mainmise des Chinois sur ses ressources naturelles. De même, la pratique des Chinois qui consiste à acheter des terrains agricoles à l’étranger pour de très longues durées est ressentie, à raison, comme une forme déguisée de colonialisme.

L’annulation de la vente de deux navires d’assaut par la France, sous la pression américaine, est une incitation à accélérer le développement d’une industrie navale à nouveau capable de produire des navires évolués. Initialement, il était prévu des transferts de technologie et une partie au moins de ces transferts a été réalisée.

Pour la France, cette décision est une erreur, comme ce fut le cas avec les vedettes Saar destinées à Israël. La France, qui a besoin d’exporter des armes, à la fois pour réduire son déficit commercial mais également pour réduire le coût de production de ses propres armements, a sacrifié un marché et perdu de sa crédibilité pour les clients étrangers potentiels, sacrifice dont elle ne tirera aucun bénéfice politique. Une diplomatie commerciale offensive, aurait vendu, en plus, Des bateaux de même type à l’Egypte. La cession ultérieure de ces navires à l’Egypte, avec un financement de l’Arabie Saoudite, n’a peut-être pas couvert totalement le coût de fabrication et les indemnités de rupture de contrat versées à la Russie.

La malédiction des pays riches en matières premières 

Pour assurer à terme son statut de grande puissance, la Russie doit investir massivement dans l’industrie et la technologie et devenir largement exportatrice.

La ressource pétrolière ou gazière, avec les importantes entrées d’argent qu’elle permet, masque la fragilité de l’économie russe, avec des ressources qui ne sont pas éternelles, malgré l’annonce de la disponibilité de réserves de gaz et de pétrole, non encore exploitées, dans l’Arctique.

La région arctique assure aussi 99% de la production russe de diamants, 98% de la platine,
90% du chrome et du manganèse 80% du cobalt et du nickel et 60% du cuivre. La corruption, la lourdeur administrative, l’insécurité sont autant d’obstacles à la venue d’investisseurs. Les actions « musclées » du président Poutine en Crimée et dans le Dombass compliquent encore la donne.

Les dirigeants chinois, depuis Teng Xiao Ping, ont eu cette chance de ne pas récupérer un Etat en pleine décomposition obligé de réaliser des « coups de force » pour éviter son complet démantèlement. Et d’encourager le développement d’une activité économique privée, développement auquel participent des institutions tant nationales que locales. Leur ambition sur les Kouriles et Spratly ne se manifeste que progressivement, au fur et à mesure de la montée de leur puissance économique. Et ils ont su se rendre indispensables pour la fourniture de biens technologiques et de matières rares indispensables aux puces électroniques.

L’essentiel des moyens de pression russes, en dehors des interventions militaires à ses frontières ou en Syrie, réside dans les pipe-line qui alimentent l’Ouest en gaz et en pétrole ; Et cette arme, utilisée contre l’Ukraine dans le cadre du conflit qui l’oppose à la Russie, a entraîné, en raison des menaces qu’elle fait peser sur l’approvisionnement de l’Europe de l’Ouest, l’examen des possibilités de contournement du territoire de la Fédération des Etats
Indépendants, via la Turquie et la Grèce.

C’est aussi sans doute pourquoi la Russie ménage désormais la Turquie. Les exportations de la Turquie vers la Russie avaient chuté de 75% après la destruction en vol d’un chasseur bombardier russe par l’aviation turque. La dépendance de la Turquie du pétrole russe et iranien la rend sensible au maintien de relations apaisées avec la Russie. En 2015, via le gazoducs Blue Stream et le Trans Balkan Pipeline, la Turquie recevait 27,2 milliards de mètre cubes de gaz de la Russie, soit 55% de sa consommation. Elle recevait également de la Russie 12,4% de son pétrole.

Pour contrer le projet de gazoduc par le Sud envisagé par les Occidentaux pour s’affranchir d’un éventuel chantage russe aux approvisionnements, la Russie a signé à Istamboul en octobre 2016, le projet du Turk Stream visant à faire transiter du gaz via la Turquie. Le projet a perdu en priorité depuis que la réduction de la consommation mondiale a entraîné une baisse des ambitions mais pas encore l’annulation du projet.

Ce nouveau développement est destiné à remplacer le projet du South Stream qui devait, par une coopération en Gazprom et la compagnie italienne ENI, créer un gazoduc via la Mer Noire, la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie, la Slovénie et le Nord de l’Italie. Il a aussi pour finalité complémentaire de lier davantage les intérêts de la Turquie avec ceux de la Russie et d’assurer une voie complémentaire d’acheminement du gaz, pour réduire les possibilités de chantage des pays de l’Europe de l’Est traversés par les gazoducs actuels.

Malgré ses postures agressives contre Israël, la Turquie, pour réduire sa dépendance vis-à- vis de ses fournisseurs actuels, négocie avec Israël la création d’un pipe-line, qui, à partir des champs gaziers de l’Etat Hébreu de la Mer Méditerranée, arriverait en Turquie avant d’être envoyé vers l’Europe. Parallèlement, la Turquie négocie avec les Azerbaïdjanais des fournitures de pétrole.

(A suivre)

Michel Rozenblum
Institut de Stratégie Internationale et de Simulation (I.S.I.S.)

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