Le renseignement au cœur de la riposte de Washington contre Pékin dans l’Indo-Pacifique

Le vaste projet de loi ciblant Pékin appelle les Etats-Unis à renforcer le partage de renseignement trilatéral avec le Japon et l’Australie. Il doit être voté dans un premier temps par le comité du Sénat. Ce au moment où l’Europe réfléchit quant à elle à sa présence dans l’Indo-Pacifique.

Intitulée « Strategic Competition Act of 2021 », la nouvelle stratégie bipartisane afin d’endiguer la Chine prône le resserrement toujours plus fort des liens des Etats-Unis avec le Japon, l’Australie et l’Inde, grâce notamment à l’arme politique de l’échange de renseignement. Cette proposition de loi a été introduite plus tôt ce mois-ci par deux sénateurs du Senate Foreign Relations Committee – le démocrate Bob Menendez et le républicain Jim Risch – et a été votée par la commission le 21 avril.

Le texte appelle ainsi à l’expansion de projets de coopérations avec ces trois pays, qu constituent avec les Etats-Unis le Quad, notamment en matière de cybersécurité et de sécurité maritime, mais aussi d’exercices militaires. Les pays du Quad, aux côtés de la France, ont d’ailleurs mené début avril des exercices navals dans le golfe du Bengale (Intelligence Online du 15/02/21).

Washington souhaite de plus multiplier les accords de défense avec le Japon et l’Australie et renforcer fortement le partage de renseignement trilatéral. Le projet de loi propose également d’approfondir les projets sécuritaires avec l’Inde et d’établir un fonds nippo-américain dédié aux technologies utiles à la sécurité et à la défense. Ces initiatives devraient intervenir en parallèle de l’augmentation du nombre d’attachés de défense américains dans les pays de la zone Indo-Pacifique et de la mise en place par le Pentagone d’une task force inter-agence pour lutter contre les opérations hybrides combinant déploiement militaire, cyber et espace informationnel que Pékin pourrait vouloir lancer dans la région.

En parallèle, Washington cherche à politiser l’alliance des Five Eyes (Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie, Nouvelle-Zélande et Canada) afin de tourner plus ses antennes directement vers Pékin, ce qui provoque des remous au sein même de l’alliance. Wellington veut garder ses marges de manœuvre face à cette posture perçue comme trop agressive. Pour les mêmes raisons, à l’inverse, le Japon, lui, toque à la porte de l’alliance SIGINT pour l’intégrer. Tokyo fait déjà office d’un des principaux pays bénéficiant des partages de renseignement américain dans la région, avec Séoul.

L’ASEAN, bientôt bénéficiaire du renseignement US

En second rideau, les Etats-Unis veulent travailler davantage avec les Philippines et la Thaïlande sur le cyber, le spatial et le renseignement. Le texte préconise de plus le partage de renseignement et le suivi des investissements chinois dans les infrastructures stratégiques locales avec les pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN). Et ce, alors que le président américain Joe Biden et le premier ministre japonais Yoshihide Suga ont indiqué le 16 avril leur volonté de collaborer en matière de 5G, dans l’objectif de freiner la présence croissante du géant chinois Huawei dans les marchés internationaux. Huawei opère déjà plusieurs contrats majeurs d’infrastructure dans les pays d’Asie du Sud.

Ce projet de loi du Sénat répond à la posture de la Maison blanche, où le dossier est traité par le coordinateur de la politique Indo-Pacifique au sein du National Security Council (NSC) Kurt Campbell (Intelligence Online du 27/01/21).

Davantage d’échanges inter-agences

Parmi les initiatives prévues dans le texte – dont un programme de 100 millions de dollars pour sécuriser les réseaux de télécommunications internationaux et un autre de 75 millions de dollars pour développer les infrastructures dans l’Indo-Pacifique – figure le « Countering Chinese Communist Party Malign Influence Act » visant à contrer les opérations d’influence de Pékin. Ce projet, qui serait doté d’un budget de 300 millions de dollars, devrait entre autres voir la multiplication d’échanges entre le Global Engagement Center (GEC) du Département d’Etat, chargé de la lutte contre la désinformation, et d’autres services, en particulier le National Counterterrorism Center (NCTC), placé sous la tutelle l’Office of the Director of National Intelligence (ODNI).

Vers une stratégie Indo-Pacifique européenne ?

Le projet de loi survient au moment où l’Union européenne (UE) réfléchit elle aussi à sa présence dans l’Indo-Pacifique. Si la France reste une puissance maritime dans la zone – et cherche par ailleurs à nouer ses propres projets de coopération avec New Delhi, Tokyo et Canberra (Intelligence Online des 15/02/21, 18/01/21 et 09/11/20) – elle pousse aussi la stratégie continentale. Un texte préliminaire à ce sujet publié le 19 avril par le Conseil européen envisage une présence navale « significative » dans la zone ainsi que le renforcement des partenariats en termes de sécurité maritime, cyber, désinformation et la 5G.

Une telle stratégie européenne est très désirée par Paris, le premier pays européen à formaliser sa stratégie Indo-Pacifique, dès 2018. L’Allemagne et les Pays-Bas ont suivi avec leurs propres plans pour la région en 2020.

Edition du 26/04/2021

Bob Menendez et Jim Risch, deux sénateurs du Senate Foreign Relations Committee. ©EFE/EPA/Greg Nash

Intelligence Online.

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