Qu’il ne suffise pas de se réclamer de la Thora, de la Loi, pour en devenir un exemple probant est illustré ad nauseam par la présente paracha, Korah, puisqu’elle met aux prises non pas des membres de tribus différentes mais des membres de la même tribu, et quelle! la tribu de Lévi.
Le déclenchement de la révolte dont Korah’ et sa clique vont prendre l’initiative n’en est pas moins décrit de manière surprenante; « Et Korah’ prit, fils de Kéhat, fils de Lévi.. ».
Surprenante, à coup sûr, d’abord au plan grammatical puisque le verbe « prendre », utilisé ici, n’a pas de complément d’objet comme le voudrait la grammaire habituelle. Faute de copiste? Erreur de transcription?
Si tel avait été le cas, cette faute ou cette erreur eût été mentionnée en marge du texte, selon la règle dite du kétiv-kéri, littéralement: « C’est écrit comme ceci, mais il faut lire comme cela.. ». Ce n’est pas le cas. Dès lors comment entendre cette formulation?
Plusieurs commentaires en ont été proposés au cours des siècles, portant notamment sur le fait que Korah’ et ses affidés avaient « pris » leurs comparses au piège de leurs paroles captieuses pour les dresser contre Moïse et Aharon son frère.
Une autre hypothèse est envisageable toutefois qui se rapporterait à la force de la pulsion à l’oeuvre en cet affrontement mais également à sa cécité. Tout se passe comme si Korah’ avait été mu par ce que les psychanalystes nomment une pulsion d’emprise dont l’objet qui la soutient initialement importe peu.
Dans une situation de ce type, l’on prend pour prendre puis l’on est pris soi même par ce même mouvement. Telle semble être la pulsion particulière qui investit notamment la volonté de Pouvoir. Tous les prétextes lui sont bons. Et comme aucun objet déterminé n’est véritablement de nature à la satisfaire, nul n’est besoin d’en préciser la nature.
L’intelligence elle même lui est asservie et la fournit en «bonnes raisons» et en sophismes de mauvaise foi.
C’est sans doute pourquoi le texte des Nombres précise également la généalogie de Korah’, lévite certes mais de la famille en charge, l’on s’en souvient, du service divin au Sanctuaire.
Si tant est que l’honneur soit le motif déterminant d’une conduite, quel honneur serait plus grand que celui là! Et pourtant Korah’ et sa bande ne s’en satisfont pas. Ce qu’ils visent n’est rien de moins que la place de Moise et d’Aharon, non pas telle qu’elle est mais telle qu’ils l’imaginent: conférant honneurs suprêmes, prébendes et sans doute, pourquoi pas droit de cuissage.
N’est-ce pas cette rumeur qui avait couru à propos de Moïse et de la « femme couchite », racontars dont, hélas, Myriam et Aharon avaient été les relais? Cependant, pour justifier leur coup de force, Korah’ et les siens vont commettre deux erreurs qui leur seront fatales.
D’une part, ils vont imputer à Moïse et à Aharon des visées monarchiques qui n’étaient pas les leurs. Ce qui s’attestera dans le jugement de Dieu auquel chaque protagoniste sera convié sans tarder.
D’autre part, ils vont prétendre que la tâche de Moise et d’Aharon est achevée puisque le peuple d’Israël serait tout entier parvenu à la sainteté, qu’il serait devenu un peuple de «parfaits», ne justifiant plus aucune tutelle. Or, et à moins que, d’eux mêmes, ils ne se soient exclus de ce peuple, leur tentative, par le mauvais esprit dont elle témoigne, en apporte la démonstration exactement inverse.
Le mécanisme mental à l’oeuvre dans ce procès d’intentions n’est rien d’autre que celui de la projection. Autrement dit, Korah’ et sa bande imputent à Moise et à son frère de bas motifs qui sont surtout les leurs.
D’où la réaction que l’on pourrait qualifier de «contre-projective» de Moïse retournant à leur véritable source ces motifs séditieux. Le texte de la paracha en rend compte de façon littérale.
Pour signifier à Moise et à Aharon que c’en était assez de leur « Pouvoir », Korah’ avait dit:
a) « C’en est trop de votre part (rav lakhem )( Nb, 16, 3) ;
à quoi Moïse répliquera, terme à terme, et symétriquement, après avoir essuyé cette salve de griefs et avoir souligné les hautes prérogatives des kéhatites:
b) « C’en est trop de votre part, fils de Lévi ( rav lakhem Bnei Lévi » ( Nb, 16, 7).
Et puisqu’il faut trancher, le jugement de Dieu sera sollicité. Ce qui ne peut manquer de provoquer notre étonnement. Comment Moise et Aharon ont-ils pu solliciter un tel jugement, en impliquant le Créateur dans une querelle où, en somme, ils étaient juges et parties? Deux raisons ici aussi l’expliqueraient.
La querelle ne porte pas sur un objet matériel, ni même sur une question de préséance protocolaire. Elle s’est portée sur un terrain capital: celui de la sainteté, de la kedoucha, celui là même où le Créateur affirme que l’on peut s’approcher de Lui selon la prescription du Lévitique: «Vous serez saints car je suis Saint, l’Eternel votre Dieu» (Lv, 19, 2).
Or quel autre juge sinon le Saint par excellence pourrait trancher une pareille contestation! Mais surtout, en acceptant, comme s’il allait de soi, un jugement de cette sorte, Korah’ et sa bande savaient qu’ils prenaient un risque mortel.
Membres de la tribu de Lévi, comme on y a fortement insisté, ils ne pouvaient ignorer le sort qui fut celui de Nadav et Avihou, les deux premiers fils d’ Aharon, foudroyés aux abords du Saint des Saints pour en avoir approché un feu «autre» qui ne leur avait pas été commandé dans l’exercice de leur sacerdoce.
Korah’ et les siens ne tarderont pas à le vérifier par leur propre chute dans l’abîme qui s’ouvrira de ce fait sous leur pas.
Cependant, comme le Tanakh est d’un seul tenant, les Psaumes nous apprendront que les descendants de Korah’ n’en ont pas été stigmatisés, qu’ils deviendront même des psalmistes de premier rang. Pour bien faire comprendre, s’il en était besoin, que pour quiconque s’y attache parce qu’il le doit, rien n’est irréparable.
Raphaël Draï zatsal, 4 juin 2013
Korah: la terre ouvrira sa « bouche »? Vidéo
La mishna de Pirké Avot nous enseigne que juste avant que ne commence le premier shabbat de l’Humanité, D. a créé des prodiges qu’IL a programmés pour l’Histoire du monde et surtout du Peuple Juif.
L’un de ces dix prodiges est que la Terre ouvrira sa « bouche » pour y engloutir (lors de cette parasha), Korah et toute son assemblée.
Que s’est-il passé ? Nous avons évoqué lors de la parasha de Shelah Lekha le fait que sur les douze explorateurs envoyés en mission en Canaân, dix d’entre eux préoccupés par leur soif d’honneurs, se sont laissé aller à la médisance contre le pays que D. avait décidé de donner à Son peuple.
Ici, Korah[1] se révolte alors qu’aucun motif véritable ne peut servir de base à ce soulèvement et, qui plus est, il incite une partie du peuple à se révolter avec lui. En effet : avant que ne se produisît la faute du veau d’or, il aurait pu se faire que la prise de fonction au Temple soit « tournante » où chaque premier-né aurait pu servir à tour de rôle mais, malheureusement, la faute du veau d’or se produisant et toutes les tribus y étant mêlées en dehors d’Aharon pour les Léviim, il a donc été décidé qu’Aharon et sa descendance seraient « Cohen Gadol ».
Or,Korah, assoiffé d’honneurs, de pouvoirs, de considération, se tourne plein de vindicte vers Moïse pour lui demander ainsi qu’à Aharon de céder leur place.Korah avait déjà, dans le passé, usé de stratagèmes pour s’accaparer une fortune considérable en dérobant à Joseph des codes lui permettant d’accéder aux trésors de l’Egypte
Ici, il prétend qu’il est celui auquel revient le droit de succéder à Aharon. Korah critique Moïse, cet homme que la Torah décrit comme étant l’homme le plus humble que la Terre ait porté et à propos duquel il est écrit qu’il n’y a jamais eu et qu’il n’y aura jamais d’homme de son niveau.
Le nom de Korah est formé de trois lettres : K-R-H (kouf-resh-heth) et ces lettres peuvent former des mots comme KéRaH (la glace) קרחcomme il a été employé pour Amalek, celui qui « nous a surpris » sur la route (en nous attaquant par derrière et en nous refroidissant) mais, ces mêmes lettres disposées dans un ordre différent, l’on peut obtenir un autre mot tel HoKeRחוקר ou investigateur, enquêteur.
Korah s’est donc constitué en fauteur de troubles, en redresseur de torts, il est si imbu de sa personnalité, et de son droit d’être nommé à une fonction prestigieuse, qu’il décide de commencer une mahloket ou controverse.
Encore une fois, la mishna de pirké avot nous enseigne que si une controverse s’engage entre deux personnes ou deux groupes de personnes, cette controverse sera « positive » si elle est « leshem shamayim » ou ne pourra être constructive si elle est conduite pour servir d’autres objectifs comme des intérêts personnels et surtout pour satisfaire à une soif inextinguible d’honneurs.
Les controverses qui divisaient toujours Hillel et Shamay[2] étaient destinées uniquement à guider le public dans l’application des lois et ces querelles n’avaient rien de personnel, bien entendu.
Dans le cas de notre péricope, la querelle est soulevée dans le but de « diviser » le Peuple [3],et de servir des intérêts personnels : soit ôter leurs prérogatives à Aharon et Moïse pour se les faire attribuer et gagner un prestige.
A ce propos, le Hafets Hayim a déclaré à propos des règles sur la médisance que le souci de Korah de rechercher des honneurs a provoqué sa perte car, toute personne qui cherche la querelle ou à provoquer une division fait une très grande faute et peut être appelé rashâ (רשע) et, le Hafets Hayim poursuit en affirmant que les motifs de base de ce genre de querelles sont la haine et la vengeance.
Le peuple, se laissant mener, comme souvent, par des discours de démagogues et sans réfléchir plus avant a encore une fois besoin d’être sauvé par les suppliques de Moïse et d’Aharon qui tombent face contre terre pour prier D de ne pas S’emporter contre le peuple tout entier.
C’est alors que la Terre s’ouvrit et engloutit Korah et ses proches et, c’est là que réside le prodige : la terre se referma aussitôt sur ces personnages tandis que de la Tente d’Assignation « s’échappa » un feu dévorant qui brûla in subito les 250 adeptes de Korah.
Korah, en fin démagogue a tenté de soulever le peuple contre les lois de la Torah en raillant tous les enseignements que la loi orale renferme et il use d’exemples qui tentent à discréditer Moïse et Aharon.
Caroline Elishéva REBOUH
[1]Korah en français se dit Coré mais, il est bon de garder cette appellation hébraïque translittérée pour les explications qui suivront dans le texte de cet article.
[2] Deux Tanayim dont les préoccupations se focalisaient toujours sur l’application des mitsvoth. C’est d’ailleurs du nom de Shamay que vient le mot « se chamailler ».
[3] Le mot mahloketvient du verbe lehalekdiviser.