Kafka, Blumfeld, un célibataire plus très jeune. Et autres textes. Gallimard, folio.

Blumfeld, un célibataire plus très jeune et autres textes

Qui a dit que Kafka excelle dans le genre de la nouvelle ? Les meilleurs critiques littéraires qui l’ont lu en allemand. Mais il faut ajouter de suite que les traductions de quelques nouvelles regroupées dans ce livre sont excellentes, effectuées par les universitaires les plus renommés et les plus compétents. J’ai lu, sans me forcer, l’ensemble des nouvelles et j’y ai retrouvé les thèmes qui constituent la trame des écrits de Kafka, notamment est ce que la vie qu l’on mène, a un sens ? Et les gens que l’on croise dans l’existence, est-ce que nous-mêmes sommes à notre place. C’est le sens de l’existence humaine que veut découvrir Kafka. En faisant, pour s’acquitter de sa tâche, un large détour.

La première nouvelle s’intitule L’instituteur de village est probablement le plus difficile à déchiffrer, il faut recourr à l’exégèse allégorique pour la comprendre ou s’imaginer qu’on l’a vraiment comprise… IL s’agit d’un phénomène qui a secoué l’existence d’un village isolé ; l’apparition d’une taupe géante dont l’homme le plus instruit du lieu a évoqué l’apparition dans un fascicule. Toute la nouvelle tourne autour de cet incident qui va bientôt attirer l’attention sur ce tout petit village que personne ne connaissait avant l’événement.

J’ai l’impression que la taupe qui creuse avec son front, sa tête, figure l’écrivain qui lui aussi excogite à l’aide de son esprit, de son crâne. Mais il n’y a pas que des aspects positifs : l’envie, la jalousie, la concurrence entre écrivains, entre auteurs qui veulent tous occuper la première place. Kafka y fait brièvement allusion par cette phrase sibylline : Le monde est méchant et on lui facilite les choses…

A elle seule, cette phrase résume des centaines de livres d’éthique. Son principe remonte à des temps anciens, notamment aux premiers chapitres de la Bible, charte spirituelle de l’humanité civilisée. Dieu, ayant décidé de noyer son monde sous les eaux du Déluge, motive sa décision par le mal intrinsèque de l’homme. Curieuse attitude, dira Ernest Renan, d’une divinité qui ne trouve pas d’autre moyen d’amender son monde si ce n’est en le… détruisant

Dans toute cette nouvelle qui est assez longue, on peut trouver quelques phrases qui pointent dans la même direction. C’est l’antipode de l’adage biblique, tu aimeras ton prochain comme toi-même. Kafka semble partager le même avis que le père de la psychanalyse pour qui l’effectuation d’un tel commandement relève de l’impossible. Tout en ayant l’air de ne pas y toucher ; Kafka distille son désespoir du genre humain. J’ai sélectionné d’autres citations que je m’abstiens de reproduire dans leur intégralité dans ce bref compte-rendu ; Kafka se demande pourquoi les choses ont-t-elles pris cette tournure ? Et il répond en nous livrant sa perplexité : qu’est ce qui sépare le succès de l’échec, le bonheur du malheur ? Il semble que ces entités antithétiques soient très proches les unes des autres, sans que l’on sache comment s’explique la survenue de l’une ou de l’autre… Il ajoute, je résume : même en ayant commencé avec les meilleures intentions du monde, il arrive que l’on échoue et que le succès ne soit pas au rendez)vous.

La prochaine nouvelle s’intitule Blumfeld, un célibataire plus très jeune. C’est la solitude jointe à l’absence de toute idée d’amour qui en constituent la trame. Un homme seul, dans une désespérante solitude, grimpe chaque jour que Dieu fait les six étages qui le séparent de sa chambre dont il veille sur la propreté sans la moindre concession. La femme qui en a la charge en sait quelque chose. Notre célibataire n’est jamais content et vit selon un schéma que rien ne vient changer. Mais la solitude finit par lui peser, elle lui devient insupportable. Il réfléchit et caresse l’idée de prendre un petit chien pour animal de compagnie. Le chien le saluerait chaque soir lorsqu’il rentrerait de son travail, il introduirait un peu de vie dans ses mornes lendemains qui se suivent et se ressemblent.

La décision est presque prise lorsque tout s’arrête : un chien va introduire une inévitable malpropreté, or on connaît l’attachement obsessionnel de cet homme à la propreté… Curieusement, cet homme pense d’abord à un animal de compagnie au lieu d’espérer trouver l’amour, une solution qui aurait réglé tous ses problèmes… peut-être. Mais il demeure difficile de donner une exégèse globale ou globalisante de cette nouvelle, car le héros ou l’antihéros est victime de la survenue de deux balles qui font du bruit et l’empêchent de mener sa vie en toute tranquillité. Ce jeu entre le célibataire, sa bonne malentendante et le fils de celle-ci comporte des développements que j’ai peine à insérer dans l’économie générale de la nouvelle. Je pense que ces deux balles qui le suivent comme son ombre incarnent sa propre façon d’être. Plus tard, quand il est question du poste de travail de notre homme, Blumfeld, on comprend mieux qu’il s’agit de dépeindre les blocages de la société allemande ou tchèque de l’époque. Cela rappelle la métaphore d’un auteur allemand, Siegfried Crac auer, je crois qui disait que dans le champ social on se tassait devant ce qui est plus élevé que soi et on écrasait ce qui est en dessous (Nach obenn ducken, nach unten drücken)

Toujours la même ambiance, le même esprit dans les textes de Kafka, un peu kafkaïens…

Maurice-Ruben HAYOUN

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires