Israël, Les Arabes et le Covid-19 : ne plus se tromper d’ennemi au Proche Orient

par Maurice Ruben Hayoun le 30.03.2020

L’idée de ce papier m’est venue par hasard, je n’y pensais guère jusqu’au jour où j’ai écouté le message absolument dément du guide suprême iranien, l’Ayatollah Ali Khamanei.

Il me faut au préalable rappeler l’arrière-plan de cette intervention : les USA du président Trump avaient proposé publiquement aux dirigeants iraniens de leur venir en aide en leur dépêchant vivres, médicaments et matériel médical.

Refus net des Iraniens qui ont ressenti le besoin de se justifier face à leur population qui paie un très lourd tribut à la pandémie.

Alors que ce fléau fait des ravages, même au sein des corps constitués du régime (vice-ministre de la santé, hauts gradés des Gardiens de la révolution, etc…), toute aide est la bienvenue aux yeux d’une population durement frappée par la pandémie.

Quand vous souffrez de cette manière, on ne regarde pas à la nationalité de qui vous aide. Vous acceptez cette aide, surtout lorsque votre maintien en vie en dépend.

Les deux têtes de l’exécutif iranien se sont répartis les rôles : le président de la République Hassan Rouhani a traité les Américains de menteurs, c’est-à-dire de gens peu fiables. Il a donc présenté la question à sa manière, en renversant les faits : si les Américains veulent vraiment nous venir en aide, alors qu’ils commencent par lever les sanctions qui pèsent sur le pays et l’empêchent de s’armer contre le coronavirus…

Comme d’habitude, les cercles dirigeants iraniens ont inversé les rôles, présentant les USA non pas comme la solution du problème mais comme le facteur déclenchant de la crise sanitaire : vous voulez vraiment nous venir en aide, eh bien, cessez de nous assiéger économiquement…

Face à ce que dira peu de temps après le guide suprême iranien , les propos du président Rouhani font figure de discours presque rationnel et mesuré. En effet, le guide a dit qu’il avait refusé l’aide américaine car les USA livreraient des médicaments inadéquats, voire des posions, même s’il n’a pas vraiment prononcé le terme. Mais il a dit que l’aide US serait une sorte de cheval de Troie. Inimaginable, cette diabolisation de l’Amérique.

Il est temps que le Proche Orient rompe avec cet éternel conflit israélo-arabe ou israélo-palestinien. Il est temps que les parties en cause, et notamment l’Iran, retrouvent le sens des réalités et ciblent les vrais problèmes : à savoir l’ignorance, le fanatisme, la maladie et la mort.

Et je mets l’accent sur le dernier élément. Il faut espérer que le régime des Ayatollahs finisse par se laisser convaincre et en vienne à une approche réaliste de la situation : Téhéran n’est visiblement pas en mesure d’inverser la tendance, de freiner la propagation du Covi-19 et d’épargner à sa population de graves tourments à venir.

Du côté israélien et palestinien, même si ce n’est toujours pas la paix, on a pris conscience qu’on est tous dans le même bateau. L’appareil sanitaire israélien a donc ouvert ses hôpitaux et apporté son concours à la population palestinienne de Gaza notamment, sans oublier les Arabes de l’Etat hébreu.

C’ était la meilleure des solutions ; l’infection n’est pas une arme de guerre contre de prétendus ennemis, elle est une menace massive et sérieuse. Tout retard dans la lutte contre elle, tout mauvais raisonnement pourraient entraîner des conséquences incalculables.

Il ne faut plus se tromper d’ennemi ni d’adversaire. C’est le virus qui est l’ennemi. C’est contre lui qu’il faut se liguer, s’unir afin de le combattre efficacement. Israël a bien agi en livrant masques et tests, même aux Palestiniens du Hamas. C’est une question de principe, de comportement éthique…

Ce terme jadis chuchoté par des marginaux dont tous se gaussaient, est redevenu prononçable. Le Premier Ministre Benjamin Netanyahou, accusé de tous les maux, non seulement sur la scène internationale mais même dans son propre pays, a commencé son discours hier par une référence talmudique, reprise par d’autres confessions et qui fait l’honneur de la spiritualité juive : quiconque sauve une vie, sauve le monde tout entier.

Cette phrase admise par tous les partis de la culture juive constitue une avancée majeure dans la philosophie éthique dont le principe premier est l’unité intrinsèque de l’humanité. Même la philosophie grecque, issue de Socrate et de ses commentateurs ou disciples, n’a pas pu aller aussi loin, confinée qu’elle était dans cette répartition inadmissible de l’humanité en Grecs, d’une part en barbares, d’autres part.

Les vieux prophètes d’Israël avaient dès le VIIIe siècle avant Jésus créé le concept de l’humanité historique. Tout en étant les récepteurs de la Révélation du Sinaï, ils accordaient, même aux païens, même aux idolâtres, la même valeur, la même dignité humaine. Depuis cette époque, la tradition juive, secondée dans ce sillage, par le christianisme, n’est jamais revenue sur ce principe majeur, en dépit des persécutions, du déracinement et de cet interminable exil…

Une autre conquête de l’esprit nous est offerte par le chapitre XVIII du livre d’Ezéchiel, c’est la notion d’individualisme religieux : chacun paie pour ce qu’il a commis, aucun transfret de culpabilité n’est possible… Et je rappelle que c’est dans ce même chapitre que se trouve la fameuse phrase : Dieu ne veut pas la mort du pécheur.

Le philosophe allemand bien connu Karl Jaspers a parlé d’un temps axial (Achsenzeit) au cours duquel l’humanité change, aborde un moment unique dans son histoire, un véritable tournant (Wendepunkt), c’est une réédition de ce phénomène que nous souhaitons à tous les belligérants de la planète, et singulièrement au Proche et au Moyen Orient.

Je pourrais multiplier les exemples qui montrent que l’humanité qui se présente à nous est, certes, diverse et variée mais que son origine est la même.

Que l’on croie ou pas, l’homme reste le diadème de la création. L’Autre, nous a appris le philosophe du visage, est un autre nous-même et quand nous le jugeons, nous devons le faire les mains tremblantes.

Le monde que nous vivons ces jours ci ne survivra pas à la défaite de la pandémie. Je sais que maints lecteurs ne sont pas d’accord avec mon avis et m’ont assuré que l’humanité oubliera vite, qu’on continuera comme avant.

Sans vouloir jouer au prophète de malheur, je le dis sans hésiter ; ce serait un véritable suicide. Jamais nous n’oublierons que dans les pays d’Europe les plus développés, du jour au lendemain, des centaines de victimes sont comptabilisées. On ne pourra pas faire comme si rien de tel n’était advenu.

Non seulement, le monde changera mais la solidarité sera plus forte : plus aucun gouvernement, chez nous comme ailleurs, n’osera s’en prendre au budget du ministère de la santé… Même l’Europe qui n’existe pas au niveau de la santé, vient d’abandonner la règle sacro-sainte du déficit qui n’excède pas les 3%. Inimaginable, il y a encore quelques semaines.

Un grand homme d’Etat avait dit un jour que la seule querelle qui vaille est celle de l’Homme Je suis pour un certain anthropocentrisme.

Une leçon que nous avions oubliée mais qu’il est urgent de se remettre en mémoire.

Et de s’inspirer d’un si haut exemple : profitons en car il est très encore rare.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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